La grande mascarade (sur le 49-3, les motions de censure et le reste)

Stanczyk – Jan Matejko

« Le soutien de l’extrême droite ne vous aura pas suffit. Mais ce qui s’est passé ce soir, cette alliance que vous ne reniez pas, est grave. Il est temps que la gauche républicaine, socialiste, écologiste, se ressaisisse et quitte un bateau Nupes en pleine dérive ». En un tweet et 48 mots, Olivier Veran, porte-parole du gouvernement, a une nouvelle fois fait l’étalage, mardi dernier, du cynisme et de l’hypocrisie du pouvoir en place. La raison ? Le vote, par le Rassemblement National, de la motion de censure déposée par la NUPES à la suite de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement pour faire adopter son budget sans passer par un vote de l’Assemblée nationale.

Cette séquence n’est finalement que la suite logique dans la stratégie d’un pouvoir minoritaire et qui n’a d’autre choix que la radicalisation s’il souhaite imposer son programme antisocial. La volonté de rapprocher voire de faire coïncider l’extrême-droite avec la NUPES n’est effectivement pas une stratégie nouvelle et si la manœuvre du RN – nous y reviendrons – a bien aidé le gouvernement dans cette approche, celle-ci n’en demeure pas moins une bouffonnerie visant à détourner l’attention de l’état de faiblesse croissant dans lequel se retrouve le monarque présidentiel et sa cour.

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Les jours d’après (sur le 1er tour de la présidentielle et ses suites)

Chemin de fer, soleil couchant – Edward Hopper

Dimanche dernier à 20h, le couperet est donc tombé. Malgré le fol espoir d’une remontada durant la soirée, Jean-Luc Mélenchon a échoué à un peu plus d’un point et de 400 000 voix de Marine Le Pen, ne parvenant ainsi pas à déjouer le scénario prévu par le matraquage médiatique depuis des mois (voire années). Emmanuel Macron a réussi son coup, lui qui a passé son quinquennat à placer la présidente du Rassemblement National en première opposante. Dans une dizaine de jours, les Français et Françaises seront donc appelées à rejouer la finale d’il y a cinq ans.

Il serait pourtant illusoire de penser que cette affiche similaire n’est qu’une simple redite. Entre temps, un mandat s’est écoulé, la haine à l’égard du monarque présidentiel s’est largement accrue, la dédiabolisation du RN aussi et, surtout, une bonne part des personnes qui ont fait barrage en 2017 affirment qu’elles ne le feront pas cette année. L’horizon apparaît comme bien sombre et il y aurait de quoi se morfondre. Il y a toutefois des raisons de se réjouir et de sérieux motifs d’espoirs pour peu que l’on se donne la peine, à gauche, de ne pas gâcher l’occasion.

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La mise sous influence (sur les cabinets de conseil)

Le panthéon, le matin après l’incendie – J.M.W. Turner

[Avant-propos] : Puisqu’il est toujours important de dire d’où l’on parle il me paraît important de préciser dans le cadre de ce billet que j’ai suivi une formation en management des politiques publiques, formation qui mène la majorité de ses étudiants aux métiers du conseil, et que j’ai exercé pendant quelques mois au sein d’un de ces cabinets en qualité de consultant junior.

Depuis quelques jours, l’affaire enfle autour du recours par Emmanuel Macron à des cabinets de conseil tout au fil du quinquennat. Symbolisée par le cabinet McKinsey, cette tendance lourde du quinquennat en train de s’achever a été pointée du doigt par un rapport sénatorial incisif. Le président-candidat qui entendait échapper à la campagne et enjamber les scrutins (présidentiel et législatifs) se retrouvent rattrapé par une réalité qu’il comptait bien mettre sous le tapis. L’incendie déclaré au sein de sa campagne est si puissant que deux ministres se sont présentés en conférence de presse pour tenter de l’éteindre, sans grand succès.

Effectivement, que ça soit Emmanuel Macron ou les personnes qu’il a missionnées pour venir défendre ce bilan, à chaque fois elles tapent magistralement à côté de la cible en se contentant de marteler qu’il existe un code de la commande publique et qu’il n’y a donc eu aucun favoritisme à l’égard d’un ou de plusieurs cabinets. En agissant de la sorte, en judiciarisant le débat, le monarque présidentiel et ses défenseurs n’essayent ni plus ni moins que de dépolitiser la situation, un peu comme s’il ne s’agissait que de savoir si la loi avait été respectée. En réalité, et la question ne se pose pas que sous le quinquennat Macron, le recours à ces cabinets de conseil pour orienter les politiques publiques est l’une des dynamiques qui sont montées en puissance avec l’apparition du New Public Management, bras armé du néolibéralisme. Pour peu que l’on veuille faire preuve de conséquence, il s’agit donc de dépasser les pitoyables dénégations du pouvoir en place pour s’intéresser en profondeur aux effets politique que peut induire l’utilisation de ces cabinets.

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Le grand braquage (sur la confiscation de la campagne présidentielle)

Bateaux hollandais dans la tempête – J.W.M Turner

Dans un peu plus de trois semaines se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. Alors même que la campagne en cours devrait occuper une large part de l’espace médiatique et des débats – l’élection présidentielle demeurant le scrutin phare et l’un des moments de politisation les plus forts dans notre pays – tout ou presque se déroule comme si elle n’avait pas lieu. L’absence de débats collectifs, les polémiques incessantes, l’indigence de la plupart des candidats ainsi que la stratégie d’Emmanuel Macron nous conduisent tout droit vers une élection tronquée.

Il est effectivement assez dramatique de constater qu’une campagne présidentielle arrivant après un tel quinquennat et les multiples bouleversements (Gilets Jaunes, Covid, guerre en Ukraine pour ne citer que les plus évidents) qu’il a engendrés permette si peu d’aborder les sujets de fond alors même que la Vème République est faite de telle sorte que le seul moment où il est vraiment possible de faire infléchir les choses dans un sens ou dans l’autre. Dans un système dit représentatif, une telle aporie est assurément le signe d’une dévitalisation catastrophique du débat public.

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Cyniques complicités (sur le traitement médiatique d’Éric Zemmour)

Ulysse et les Sirènes – John William Waterhouse

Il y a quelques jours, le toujours pas candidat officiel Éric Zemmour a une nouvelle fois fait la une de l’actualité en braquant un fusil d’assaut sur des journalistes dans le cadre d’un salon de vente d’armes. Dans cette nouvelle outrance, le plus marquant n’est pas tant qu’un pré-candidat fasciste fasse joujou avec une arme à feu puisque, après tout, il est question d’une personne qui prône la déportation d’une partie des Français mais bien le fait que les journalistes braqués par le polémiste aient continué à le suivre tout au long du salon comme si de rien n’était.

S’il est vain – et même contre-productif – de réagir à chacune des outrances de Zemmour, l’épisode du fusil d’assaut est très signifiant à propos des relations qu’entretiennent un certain nombre de médias et de journalistes avec lui. Finalement, dans cette atmosphère pré-fasciste dans laquelle nous nous trouvons désormais, l’émergence de ce personnage est moins intéressante que les raisons qui l’ont rendue possible et qui continuent à la rendre possible. Comme presque toujours ce qui compte réside moins dans les individus que dans une réflexion systémique. À ce petit jeu, la responsabilité d’une grande majorité des médias est écrasante dans l’installation d’Éric Zemmour comme personnage central de la vie politique française depuis des semaines.

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Les vents mauvais (sur l’élection présidentielle et la bataille culturelle)

Bâteaux de pêche hollandais dans la tempête – J.M.W Turner

En ce début du mois d’octobre, la campagne présidentielle semble bel et bien lancée. Bien que le scrutin ne se tienne que dans plusieurs mois et que nous ne sachions pas encore qui sera effectivement candidat, la rentrée politique a, sans surprise aucune, initiée les débats autour de cette élection. Plus précisément, le cadre de la campagne est en train d’être petit à petit posé et il risque ensuite d’être extrêmement compliqué, pour ne pas dire impossible, de faire émerger d’autres thèmes structurants que ceux qui auront été définis dans cette période.

Victoire, d’une courte tête, de Yannick Jadot dans la primaire EELV, candidature d’Anne Hidalgo pour un PS qui se rêve ressuscité, montée en puissance d’un Zemmour bien aidé par les médias dominants pendant que le gouvernement prépare sans guère se cacher la candidature d’Emmanuel Macron sur des sujets identitaires, tout est en train de se mettre progressivement en place. Dans cette optique, il importe de s’intéresser à la bataille culturelle et aux idées forces qui risquent fort de structurer la campagne dans les mois à venir puisque c’est bien ces structures qui importent le plus.

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ACAB ou Fuck le 17 (sur la police et sa critique)

Une rue de Paris en mai 1871 – Maximilien Luce

Le week-end dernier s’est tenu l’un des événements politiques annuels les mieux connus de notre pays, la Fête de l’Humanité. Si les débats ont été nombreux – notamment à propos de la présence de Valérie Pécresse ou de Gabriel Attal – il y a sans conteste un élément sur lequel s’est structuré une large part des commentaires, le fameux concert de Soso Maness et sa critique acerbe du film Bac Nord. Le rappeur marseillais a ensuite lancé un «Tout le monde déteste la police » repris par une bonne part du public, ce qui a suscité le courroux des acteurs habituels de la surenchère jusqu’à arriver place Beauvau où Gérald Darmanin a exigé que les partis de gauche condamnent ce qu’il s’était passé.

Si les représentants de la France Insoumise ou du NPA n’ont pas répondu à cette nouvelle outrance du ministre de l’Intérieur, le candidat du Parti Communiste Français (qui n’a plus guère de communiste que le nom actuellement) Fabien Roussel s’est empressé de condamner de manière vindicative le rappeur tout en désignant les forces de l’ordre comme étant des « ouvriers de la sécurité ». Cette polémique nous invite finalement à nous poser la question non seulement de la manière la plus idoine de critiquer l’institution policière mais aussi à mettre en évidence la dérive mortifère pour la démocratie à laquelle nous assistons depuis bien des années maintenant à propos de cette institution.

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Contre la Bienveillance (capitalisme cool et autres fadaises)

Le cheval de Troie – Tiepolo

Dans l’histoire politique et dans le débat d’idées, il arrive assez fréquemment que des concepts se retrouvent détournés soit pour leur faire dire une chose qui n’était pas leur définition à l’origine soit, pire, pour leur faire dire l’inverse de leur sens initial. La laïcité en est un exemple très éloquent mais elle est loin d’être la seule. Parmi les notions préemptées par les capitalistes celle de réforme est peut-être l’une des plus utilisées puisque depuis le tournant néolibéral, celle-ci ne désigne presque exclusivement plus que les mesures allant dans le sens d’une extension du domaine néolibéral.

Depuis quelques temps, le concept de Bienveillance – la majuscule est ici présente pour bien signifier qu’il s’agit de leur Bienveillance, celle des capitalistes – connait une évolution similaire à ceci près que les conséquences peuvent être bien plus perverses et graves. La notion de réforme n’est effectivement pas porteuse d’affects positifs à l’inverse de celle de bienveillance. Aussi est-il beaucoup plus complexe de mener la bataille des idées et des mots sur ce concept si bien que la Bienveillance est progressivement devenue l’un des meilleurs chevaux de Troie de la logique capitaliste néolibérale.

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La grande confusion (à propos du pass sanitaire et de sa contestation)

Bistrot – Edward Hopper

Lundi dernier, après quelques péripéties, le pass sanitaire est finalement entré en vigueur. Aller manger au restaurant, boire un verre en terrasse ou même se rendre à l’hôpital font désormais partie des situations où il est exigé de montrer patte blanche – ou plutôt QR code vert. Si l’extension des restrictions avaient commencé dès le 21 juillet notamment au sein des cinémas et des lieux accueillant plus de 50 personnes, l’instauration officielle du pass sanitaire marque assurément une rupture dans la gestion de la pandémie.

Depuis plusieurs semaines, les manifestations se succèdent les samedis pour protester contre la mise en place d’une telle mesure. Surfant sur celles-ci, un certain nombre de responsables politiques – la plupart se situant sur la droite voire l’extrême-droite de l’échiquier politique – tentent d’occuper l’espace et de récupérer la colère qui est bien présente dans le pays non seulement à l’égard du pass sanitaire mais plus largement sur la gestion de la pandémie par le pouvoir en place. Il serait pourtant à la fois malhonnête et contreproductif de circonscrire la contestation à l’extrême-droite ou aux complotistes. La question qui se pose à la gauche est bel et bien celle de réussir à exister dans cette contestation sans se faire phagocyter par les mouvances brunes et confusionnistes qui sont indéniablement présentes.

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La fausse cécité (à propos de l’abstention et de son traitement)

Dimanche – Edward Hopper

Dimanche dernier s’est tenu le premier tour des élections régionales et départementales. Si les secondes ont été bien moins commentées, un peu comme si elles n’existaient pas vraiment alors même que les départements disposent de certaines compétences importantes, les résultats des élections régionales ont fourni de la matière à débat autour de l’actualité politique. Des propos autour des divers candidats putatifs de Les Républicains aux analyses se projetant sur l’élection présidentielle dans dix mois, les commentaires n’ont pas manqué de fuser depuis dimanche soir. Tout ou presque s’est déroulé comme si l’abstention n’avait pas atteint un niveau historique et que cet évènement n’était pas le principal, sinon le seul, enseignement de ce premier tour de scrutin.

Exactement deux tiers (66,7%) des électeurs inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés. Jamais une élection sous la Vème République n’avait connu un niveau si bas de participation – le référendum sur le quinquennat étant le scrutin qui a le moins mobilisé avec près de 70% d’abstention. Cette abstention massive, qui pose inévitablement la question de la légitimité des futurs exécutifs élus, s’est retrouvée presque partout en France métropolitaine puisque, à l’exception notable de la Corse, elle a dépassé les 60% dans toutes les autres régions. La désertion des urnes est donc désormais un phénomène structurellement ancré dans le pays, ce qui n’est pas sans générer des analyses à la fois erronées et perverses à mes yeux.

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