La grande mascarade (sur le 49-3, les motions de censure et le reste)

Stanczyk – Jan Matejko

« Le soutien de l’extrême droite ne vous aura pas suffit. Mais ce qui s’est passé ce soir, cette alliance que vous ne reniez pas, est grave. Il est temps que la gauche républicaine, socialiste, écologiste, se ressaisisse et quitte un bateau Nupes en pleine dérive ». En un tweet et 48 mots, Olivier Veran, porte-parole du gouvernement, a une nouvelle fois fait l’étalage, mardi dernier, du cynisme et de l’hypocrisie du pouvoir en place. La raison ? Le vote, par le Rassemblement National, de la motion de censure déposée par la NUPES à la suite de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement pour faire adopter son budget sans passer par un vote de l’Assemblée nationale.

Cette séquence n’est finalement que la suite logique dans la stratégie d’un pouvoir minoritaire et qui n’a d’autre choix que la radicalisation s’il souhaite imposer son programme antisocial. La volonté de rapprocher voire de faire coïncider l’extrême-droite avec la NUPES n’est effectivement pas une stratégie nouvelle et si la manœuvre du RN – nous y reviendrons – a bien aidé le gouvernement dans cette approche, celle-ci n’en demeure pas moins une bouffonnerie visant à détourner l’attention de l’état de faiblesse croissant dans lequel se retrouve le monarque présidentiel et sa cour.

L’hypocrisie permanente

Cette stratégie de l’hypocrisie permanente n’est certes pas nouvelle, toutefois elle accélère depuis le lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Pressentant sans doute qu’il aurait des difficultés à obtenir une majorité absolue en raison de la création de la NUPES, Emmanuel Macron n’a pas eu de mots assez durs pour taper dessus quand, dans le même temps, le RN était sinon cajolé au moins laissé tranquille. Cette stratégie mortifère a abouti à la situation que nous connaissons avec 89 députés d’extrême-droite et une candidate du RN qui a atteint un score jamais vu lors du second tour de l’élection présidentielle. Aussi sommes-nous bien obligés de nous interroger sur la véracité de leur hypocrisie – supposément là pour bloquer la gauche et permettre une victoire tranquille. À partir du moment où leurs actes ont pour principale conséquence de rendre chaque jour plus prégnant le risque d’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, est-ce encore de l’hypocrisie ou simplement de la débilité pure ?

Cette hypocrisie se retrouve aisément dans la nature des votes depuis le lancement de l’exercice parlementaire. Les cris d’orfraie poussés par l’absurde majorité (relative) macroniste tentent de faire oublier que c’est bien avec le concours de ses voix que le RN dispose aujourd’hui de plusieurs vice-présidences à l’Assemblée nationale ou que l’adoption d’un bon nombre des projets de loi adoptés depuis le retour des députés dans l’hémicycle s’est faite grâce aux voix d’extrême-droite, en particulier les lois antisociales. Plus drôle encore – si tant est que l’on accepte d’en rire – au moment même où Aurore Bergé et ses clones vociféraient sur la supposée alliance entre le RN et la NUPES, Emmanuel Macron fut le premier chef d’État à se déplacer à Rome pour rendre visite à la fasciste nouvellement nommée présidente du conseil.

La censure de la discorde

Pour mieux saisir l’hystérie qui s’est emparée du débat politique il importe de revenir à l’origine de cet emballement. Comme expliqué plus haut c’est à la suite du vote par le RN de la motion de censure déposée par la NUPES. Celle-ci est consécutive à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution – le fameux 49-3 – qui permet à un gouvernement de faire adopter une projet de loi sans passer par le vote de la représentation nationale. Après des jours de débats et un wagon d’amendements adoptés contre l’avis du gouvernement, le pouvoir en place a décidé de dégainer cet outil, sans doute l’un des plus antidémocratiques de la Vème République.

La réalité, c’est que durant le débat sur le budget qui a eu lieu avant l’activation du 49-3, le gouvernement a été mis en minorité à de multiples reprises. Ce qu’a finalement démontré cette séquence c’est bien la faiblesse du pouvoir en place et son incapacité à faire voter ce qu’il entendait voir adopter. Dans le logiciel macroniste, négocier ou faire des concessions n’existe pas et c’est bien pour ça qu’Elisabeth Borne et Emmanuel Macron ont opté pour le passage en force. Dès lors, que faire sinon déposer une motion de censure pour espérer bloquer un budget vidé de tous les amendements adoptés en séance ? Tenter de faire croire que le vote d’une motion de censure – qui rappelons-le est un simple vote contre un gouvernement – constitue une alliance ou que sais-je est une bouffonnerie absolue. Dans le cadre de la Vème République, à partir du moment où cet outil est dégainé, le seul moyen de bloquer le projet de loi est bel et bien de faire tomber le gouvernement. Ceux qui sont responsables de la situation sont assurément ceux qui y ont recours, pas ceux qui se défendent.

Manigances et louvoiement

Malgré tout, la manœuvre du RN a gêné y compris au sein de la NUPES si l’on en croit les propos rapportés par un article de Mediapart. Il me semble que sur de tels sujets encore plus que sur d’autre il importe d’être conséquent. La conséquence dans le cadre actuel de cette motion de censure est assurément de reconnaître que le parti d’extrême-droite tente de rejouer à échelle réelle les manigances aperçues dans Baron Noir. Voter la motion de censure de la NUPES en l’annonçant avec fracas c’était effectivement s’assurer que LR ne la vote pas – quand bien même le parti de droite l’avait annoncé à de multiples reprises. C’est également une tentative d’enfoncer ces mêmes LR en les positionnant comme supplétifs de Macron et de sa camarilla. Et c’est bien cette réalité qui a émergé : si le gouvernement est encore en place c’est bien parce que LR n’a pas voté cette motion de censure.

La conséquence c’est également accepté que dans les conditions actuelles de l’Assemblée nationale, ce louvoiement et ces manigances sont une condition sine qua non de l’exercice du pouvoir qui a été confié par les Français qui ont voté aux députés. Pour le dire encore plus clairement, nous voilà dans la situation d’une Assemblée sans majorité absolue qui a très peu de chances d’aller au terme de son mandat – et sur ce point Jean-Luc Mélenchon a raison lorsqu’il dit que nous connaissons déjà la date de la chute de ce gouvernement : le jour où LR l’aura décidé. Dès lors, tant que nous ne pouvons pas changer les règles il s’agit de jouer avec et faire tomber un gouvernement, d’autant plus sur un projet de loi aussi important que ne l’est le budget, ne nous engage pas ontologiquement avec l’extrême-droite. Sinon, rien ne sert de déposer une motion de censure à moins d’être friand du théâtre et de la Commedia dell’Arte.

Le retour de la lutte des classes ?

Le grand piège dans lequel le RN a cependant réussi à enfermer le débat politique est bien celui qui consiste à ce que l’ensemble ou presque de la sphère politique couplé aux médias dits dominants ne parlent plus que de cette motion de censure et non pas de ce qui était à censurer. Parce que la réalité est bel et bien que si le RN a voté la motion de censure de la NUPES tout ou presque les éloigne de la politique économique de l’alliance de gauche – comme le démontrent assez bien leurs différents votes depuis le début de la mandature. Substituer au débat de fond des discussions stériles sur la forme là est sans doute la meilleure des techniques du pouvoir en place. Si le pays est dans un état de tension très important, c’est bien parce que nous sommes jetés dans une situation plus vue depuis extrêmement longtemps.

La conjonction du retour d’une inflation galopante et d’un capital radicalisé par quatre décennies de néolibéralisme font effectivement l’effet d’une poudrière hautement inflammable. Alors même que les salaires réels ne cessent de fondre sous le double effet de l’inflation et du refus forcené d’augmenter les salaires, Emmanuel Macron se permet de cracher à la figure de toutes les personnes qui éprouvent des difficultés en expliquant qu’il défend la « France du travail et du mérite » tout en évacuant toute conférence sur les salaires. Le capital se trouve dans un état de surpuissance quasi absolue du fait des 40 ans de néolibéralisme que nous venons de vivre si bien qu’il ne souhaite plus négocier. Dans le même temps, l’inflation rend très prégnante la divergence d’intérêts entre le salariat et le capital. De quoi y voir les conditions d’un retour d’une conscience de classe ?

Transformer le bordel en opportunité

Une fois que l’on a dit tout cela, il s’agit encore une fois d’être conséquent. Comment faire en sorte que cette colère qui monte dans le pays ne soit pas détournée comme l’extrême-droite sait si bien le faire ? Elle peut compter sur le concours du pouvoir en place qui n’a peur que d’une seule chose, la véritable coalisation des forces sociales. Préparer la suite paraît être une impérieuse nécessité aux risques d’aller vers de très grandes déconvenues. Cette suite ne peut se dérouler que dans la rue ou que dans l’Assemblée, en l’état actuel des choses il paraît primordial d’avancer sur les deux jambes.

Une grève générale ne se décrète pas, jamais. Par contre elle se prépare et la bataille culturelle est sans doute aujourd’hui un peu plus facile à mener qu’hier. Le retour de l’inflation permet effectivement de rendre concret le conflit d’intérêts entre les possédants et la classe laborieuse. Au plus le gouvernement refusera une augmentation des salaires au plus les salaires réels diminueront et au plus la colère risque fort de croître. Dans le même temps il importe assurément de préparer l’après dissolution. À quoi nous servirait une belle et grande grève générale si après la dissolution le RN obtient encore plus de députés ? Rien. Aller à l’idéal tout en comprenant le réel, encore et toujours selon les mots de Jaurès.

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