Samuel Etienne doit-il débattre avec le Rassemblement National ?

Il a l’air vraiment sympa ce Samuel Etienne. Le sémillant présentateur d’une émission grand public sur France 3 est désormais streamer politique. Il a parfaitement réussi ce grand écart entre Questions pour un champion et Twitch, entre retraités et jeunesse.

Dernière trouvaille de l’idole des jeunes ? Inviter François Hollande pour un petit live Twitch à la cool dans la salle à manger. Les extraits tournent rapidement sur les réseaux numériques dans lesquels Samuel Etienne s’est fait une place de choix. Le ton est badin, l’ambiance détendue.

La poulie présidentielle de Manuel Valls et Emmanuel Macron peut tranquillement dérouler son nouveau style de punchlineur déjà entrevu dans une autre émission politique de haute volée animée par Yann Barthès, l’idole des jeunes des années 2010.

Faut-il parler aux fachos ?

Le succès est indéniable et Samuel Etienne semble désormais sollicité par plusieurs figures politiques pour prendre part à l’expérience « twitcher avec Samuel Etienne ». Dernière rumeur en date : le Rassemblement national, par le truchement de Marine Le Pen, ne serait pas perturbé à l’idée de discuter avec le streamer en herbe.

Très vite, le débat est posé. Le sens de la mesure s’évapore aussi rapidement que l’argent public entre les mains de Laurent Wauquiez et les fils Twitter prennent feu. Samuel Etienne doit-il parler avec Marine Le Pen ?

Pourquoi promouvoir les idées d’extrême droite alors qu’elles bénéficient d’une chaîne d’information continue qui s’en charge très bien ? Pourquoi donner le micro à l’extrême droite quand la droite extrême qui nous gouverne puise dans son répertoire idéologique ?

Ces questions sont légitimes et les arguments qui les accompagnent sont souvent pertinents.

Cela étant, refuser d’accueillir une figure du RN dans une émission rassemblant une large audience n’est pas sans risque. Le discours onnepeutplusriendiriste ne manque pas de ressurgir rapidement, charriant son lot de leçons farfelues sur la démocratie et la censure.

Ne refusons pas de débattre avec l’extrême droite, mais refusons qu’elle le fasse avec des journalistes paillassons

Le sujet est éminemment plus complexe que ce débat binaire entre pseudo-démocrates béni-oui-oui et censeurs tyranniques d’une extrême droite mise au ban.

L’extrême droite a désormais pignon sur rue et il faut déconstruire minutieusement tous les discours laissant penser qu’elle serait isolée et bâillonnée.

La chaine de Vincent Bolloré, Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, les nombreuses invitations dans les matinales quotidiennes sont autant de preuves tangibles d’une extrême droite omniprésente dans les sphères les plus élevées de notre système médiatico-politique.

Pour autant, ne serait-il pas intéressant de discuter et débattre sérieusement avec des représentant.es de cette extrême droite ?

Laisser Marine Le Pen déblatérer devant un passe plat comme Laurent Delahousse ou Yann Barthès n’est évidemment pas digne du débat public que méritent les citoyen.nes de ce pays.

En revanche, mettre Madame Le Pen face à ses incohérences et s’appliquer à déconstruire son programme politique ne peut pas être nocif au débat public.

L’exercice est complexe, les pièges nombreux. Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, qu’on ne peut guère soupçonner d’être des journalistes paillassons, ont peiné face à un Emmanuel Macron maître dans l’art d’éviter les questions. Bien que les deux journalistes aient semblé parfois bien dociles, cette interview en longueur avait bien mis en lumière toute la difficulté inhérente à une interview politique couvrant de nombreux thèmes.

Dès lors, si Samuel Etienne accepte de débattre – et pas simplement de tenir le crachoir – avec des hommes et des femmes politiques, y compris d’extrême droite, il lui sera nécessaire d’inviter également des spécialistes de chaque thématique afin d’éviter l’inévitable piège de l’interview généraliste superficielle.

D’Alternatives Economiques à Mediapart en passant par Reporterre, le milieu médiatique ne manque pas de spécialistes de qualité sur divers thèmes.  Il n’appartient donc qu’à Samuel Etienne, et à celles et ceux qui le suivent, de déterminer ce que doit être une interview politique de bonne facture.

En tant que représentant du service public, il serait fort appréciable que Samuel Etienne donne une leçon de journalisme à M. Delahousse tout en ayant l’ouverture d’esprit et l’humilité de promouvoir des journalistes spécialistes de chacun des thèmes qui seront abordés.

Prouvez-nous que cela est possible.

Crédits photo : Twitter @SamuelEtienne

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