La mise sous influence (sur les cabinets de conseil)

Le panthéon, le matin après l’incendie – J.M.W. Turner

[Avant-propos] : Puisqu’il est toujours important de dire d’où l’on parle il me paraît important de préciser dans le cadre de ce billet que j’ai suivi une formation en management des politiques publiques, formation qui mène la majorité de ses étudiants aux métiers du conseil, et que j’ai exercé pendant quelques mois au sein d’un de ces cabinets en qualité de consultant junior.

Depuis quelques jours, l’affaire enfle autour du recours par Emmanuel Macron à des cabinets de conseil tout au fil du quinquennat. Symbolisée par le cabinet McKinsey, cette tendance lourde du quinquennat en train de s’achever a été pointée du doigt par un rapport sénatorial incisif. Le président-candidat qui entendait échapper à la campagne et enjamber les scrutins (présidentiel et législatifs) se retrouvent rattrapé par une réalité qu’il comptait bien mettre sous le tapis. L’incendie déclaré au sein de sa campagne est si puissant que deux ministres se sont présentés en conférence de presse pour tenter de l’éteindre, sans grand succès.

Effectivement, que ça soit Emmanuel Macron ou les personnes qu’il a missionnées pour venir défendre ce bilan, à chaque fois elles tapent magistralement à côté de la cible en se contentant de marteler qu’il existe un code de la commande publique et qu’il n’y a donc eu aucun favoritisme à l’égard d’un ou de plusieurs cabinets. En agissant de la sorte, en judiciarisant le débat, le monarque présidentiel et ses défenseurs n’essayent ni plus ni moins que de dépolitiser la situation, un peu comme s’il ne s’agissait que de savoir si la loi avait été respectée. En réalité, et la question ne se pose pas que sous le quinquennat Macron, le recours à ces cabinets de conseil pour orienter les politiques publiques est l’une des dynamiques qui sont montées en puissance avec l’apparition du New Public Management, bras armé du néolibéralisme. Pour peu que l’on veuille faire preuve de conséquence, il s’agit donc de dépasser les pitoyables dénégations du pouvoir en place pour s’intéresser en profondeur aux effets politique que peut induire l’utilisation de ces cabinets.

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La grande confusion (à propos du pass sanitaire et de sa contestation)

Bistrot – Edward Hopper

Lundi dernier, après quelques péripéties, le pass sanitaire est finalement entré en vigueur. Aller manger au restaurant, boire un verre en terrasse ou même se rendre à l’hôpital font désormais partie des situations où il est exigé de montrer patte blanche – ou plutôt QR code vert. Si l’extension des restrictions avaient commencé dès le 21 juillet notamment au sein des cinémas et des lieux accueillant plus de 50 personnes, l’instauration officielle du pass sanitaire marque assurément une rupture dans la gestion de la pandémie.

Depuis plusieurs semaines, les manifestations se succèdent les samedis pour protester contre la mise en place d’une telle mesure. Surfant sur celles-ci, un certain nombre de responsables politiques – la plupart se situant sur la droite voire l’extrême-droite de l’échiquier politique – tentent d’occuper l’espace et de récupérer la colère qui est bien présente dans le pays non seulement à l’égard du pass sanitaire mais plus largement sur la gestion de la pandémie par le pouvoir en place. Il serait pourtant à la fois malhonnête et contreproductif de circonscrire la contestation à l’extrême-droite ou aux complotistes. La question qui se pose à la gauche est bel et bien celle de réussir à exister dans cette contestation sans se faire phagocyter par les mouvances brunes et confusionnistes qui sont indéniablement présentes.

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La grande imposture (sur la romantisation de l’ascension sociale)

La grotte de Calypso – Jan Brueghel l’Ancien

Alors même que la situation d’une grande partie des étudiantes et étudiants est très préoccupante, le gouvernement préfère discuter avec des influenceurs. Cela en dit assurément très long sur la manière dont le pouvoir envisage la représentativité et s’acharne à rester dans une certaine zone de confort. Plus largement, cette séquence politico-médiatique nous démontre une nouvelle fois à quel point toute une partie de la population peut se retrouver invisibilisée dans un simulacre de représentation. Cette dynamique ne concerne bien évidemment pas seulement les étudiants, l’on pourrait dérouler à l’envi la liste des faux représentants mis en avant par l’ordre établi pour ne pas discuter avec les principales personnes concernées.

À ce petit jeu, un grand nombre des figures médiatiques prétendant représenter les personnes ayant connu une ascension sociale ne font pas exception. Encore une fois, il ne s’agit pas tant de s’attarder sur les personnes que de s’intéresser aux dynamiques profondes ainsi qu’aux structures qui sont bien plus assurément les éléments qui nous enseignent le plus de choses. Il n’en demeure pas moins vrai que la plupart des profils mis en avant participent à une forme de romantisation de l’ascension sociale (quand il ne s’agit pas purement et simplement de mensonges) qui, en soulignant des parcours particuliers, se vide de tout discours réellement critique et offensif à l’égard de l’ordre établi. Une imposture en somme, qu’il convient d’urgemment déconstruire pour mieux critiquer ledit ordre.

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LFP – Mediapro : Incompétence ou révélation d’une gouvernance problématique

Le Zemsto déjeune – Grigori Miassoïedov

C’est l’information qui a émaillé la journée d’hier en France, et qui dépasse le microcosme du football. Mediapro et son offre à près de 800 millions d’euros pour les droits TV du foot français ne paiera pas et ferme sa chaine. Après des semaines, des longues semaines d’échanges et de fuite en avant, le couperet est tombé, la L1 en premier lieu et la LFP en globalité entrent dans l’obscurité, avec un Prêt garanti d’État (PGE) sur les bras et des recettes de billetteries à zéro. Pour beaucoup, c’est l’amateurisme et l’avidité de la LFP et du syndicat Premier Ligue qui sont les seules responsables. Vraiment ?

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Réponse au Covid et idéologie néolibérale

Le cheval de Troie – Tiepolo

Il y a quelques jours, Jean Castex a tenu une conférence de presse pour évoquer les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Au cours de celle-ci, il a expliqué que l’économie française allait à nouveau connaitre un recul de son PIB lors du 4ème trimestre de l’année en cours. S’il est encore trop tôt pour parler de récession – qui est techniquement définie comme deux trimestres ou plus consécutifs avec une croissance négative – les perspectives floues autorisent à penser qu’il se pourrait bien qu’une telle évolution ne surgisse à nouveau. Face à la colère des commerçants, face à la pauvreté qui s’accroit, face au scepticisme des citoyens vis-à-vis des mesures prises, le Premier ministre n’a opposé que du flou, ajoutant de l’incertitude à l’incertitude.

Depuis le début de cette crise sanitaire (qui se muera de manière quasi-certaine en violente crise économique et sociale), l’exécutif, notamment par la voix d’Emmanuel Macron n’a eu de cesse de proclamer l’importance des mesures prises pour maintenir l’économie française. Plan de relance de 100 milliards d’€, chômage partiel, prêts garantis par l’État (dits PGE), le pouvoir en place s’entête à affirmer qu’il propose l’une des réponses économiques les plus ambitieuses de la planète. Pourtant, loin de rompre avec la logique qu’il mène depuis son arrivée au pouvoir – contrairement à ce qu’il avait laissé sous-entendre lors de sa première allocution le 12 mars dernier – Emmanuel Macron offre une réponse néolibérale à la crise que nous traversons.

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La politique de l’offre en quelques lignes

Allégorie de la Pologne vaincue (ou Le Prométhée polonais) – Horace Vernet

Il y a quelques jours, le gouvernement a présenté son plan de relance pour lutter contre les effets économiques et sociaux de la crise sanitaire que nous traversons. Avec les 100 milliards d’€ proposés, le pouvoir en place a expliqué qu’il soutenait ainsi l’économie et qu’il préservait le tissu social du pays, durement frappé par le confinement dont les répercussions risquent de se faire sentir encore longtemps. À l’annonce dudit plan, le MEDEF s’est, par la voix de son président, félicité d’avoir été entendu et affirmé en substance que ce plan correspondait presque en tous points à ce qu’il attendait. Sans surprise, l’exécutif poursuit la politique qu’il mène depuis son arrivée au pouvoir, à savoir une politique tournée vers les entreprises, une politique de l’offre.

Dès lors, le plan de relance apparait comme éminemment critiquable tant il semble n’être qu’un plan de financement des entreprises. Ce choix fait par le pouvoir en place ne doit guère étonner puisque des ordonnances sur le droit du travail à ce plan de relance en passant par toute une litanie de mesures prises entre temps, l’objectif n’a pas varié d’un pouce : donner toujours plus de pouvoir au patronat vis-à-vis des salariés. Cette politique de l’offre qui se poursuit au moment du plan de relance est pourtant loin d’avoir fait la preuve de son efficacité.

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Avec le télétravail, le retour des jours heureux ?

Bureau dans une petite ville – Edward Hopper

Avec la fin du confinement et la probable disparition de la pandémie dans un horizon plus ou moins proche, nombreuses sont les personnes à parler désormais du « monde d’après ». Si je n’ai personnellement aucune certitude sur le côté bénéfique de la société qui émergera de cette crise sanitaire, économique et sociale, il y a pourtant un point sur lequel je suis presque sûr que les choses vont drastiquement changer, le télétravail. La crise sanitaire et le confinement ont effectivement favorisé, pour une partie de la population, la pratique du télétravail.

Cette pratique, nous le verrons, était assez peu répandue en France et, si la grève de la RATP courant décembre et janvier derniers, avait déjà poussé les employeurs à accorder ce droit au télétravail à leurs employés, avec le confinement les choses sont passées à un niveau supérieur. Nombreux sont ceux à voir dans ce qu’il s’est produit ces dernières semaines un formidable accélérateur sur la question et expliquent qu’il n’y a que des avantages au télétravail. S’il existe des avantages indéniables, il me semble également que des éléments néfastes sont générés par cette généralisation du télétravail, l’objet de cette réflexion est d’essayer de recenser ces éléments (sans, bien sûr, prétendre à l’exhaustivité).

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