Le grand braquage (sur la confiscation de la campagne présidentielle)

Bateaux hollandais dans la tempête – J.W.M Turner

Dans un peu plus de trois semaines se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. Alors même que la campagne en cours devrait occuper une large part de l’espace médiatique et des débats – l’élection présidentielle demeurant le scrutin phare et l’un des moments de politisation les plus forts dans notre pays – tout ou presque se déroule comme si elle n’avait pas lieu. L’absence de débats collectifs, les polémiques incessantes, l’indigence de la plupart des candidats ainsi que la stratégie d’Emmanuel Macron nous conduisent tout droit vers une élection tronquée.

Il est effectivement assez dramatique de constater qu’une campagne présidentielle arrivant après un tel quinquennat et les multiples bouleversements (Gilets Jaunes, Covid, guerre en Ukraine pour ne citer que les plus évidents) qu’il a engendrés permette si peu d’aborder les sujets de fond alors même que la Vème République est faite de telle sorte que le seul moment où il est vraiment possible de faire infléchir les choses dans un sens ou dans l’autre. Dans un système dit représentatif, une telle aporie est assurément le signe d’une dévitalisation catastrophique du débat public.

La pauvreté des débats

Ces derniers jours, l’un des éléments qui a le plus fait parler a sans conteste été le refus d’Emmanuel Macron de participer à un grand débat comme ceux auxquels les candidats avaient dû se plier en 2017. Arguant de sa qualité de président de la République – et faisant preuve de la même morgue que tout au long du quinquennat – le monarque présidentiel se paye même le luxe de programmer des interviews solitaires le jour où ledit débat était prévu. La mise de côté de certains candidats par l’émission organisée sur TF1 (qui, pour certains, sont crédités de plus d’intentions de vote que la candidate du PS, Anne Hidalgo) participe également de cette dynamique.

Cette absence de débat collectif serait moins dommageable si les autres débats qui ont pu avoir lieu étaient d’une bonne tenue. 2017 fut, en effet, une exception sur cette question du débat réunissant l’ensemble des candidats. En revanche, cette année les débats rythmant la campagne sont d’une indigence rare. Alors même que les enjeux sont bien plus importants et profonds qu’il y a cinq ans, aucun d’entre eux ou presque n’est abordé – la polémique et les petites phrases sur la viande ou le pinard bien français faisant office de ligne de démarcation pour certains. La campagne de 2017 avait, elle, posé de vraies questions économiques et sociales notamment avec la mise en question de l’ordre néolibéral. Si l’aboutissement de cette campagne a été frustrant avec l’apparition de quatre blocs à peu près égaux mais un pouvoir sans partage pour Emmanuel Macron du fait du système institutionnel, elle avait eu le mérite d’engendrer de vraies lignes de rupture.

L’absence de travail de fond

L’une des raisons principales de cette indigence proprement stupéfiante est assurément l’absence de travail de fond d’une grande partie des candidats et candidates présentes dans cette campagne. Parmi les forces importantes – comprendre qui semblent avoir une chance d’accéder au second tour – le seul candidat disposant d’un programme solide, construit et cohérent est sans conteste Jean-Luc Mélenchon. Le représentant de la France Insoumise compte d’ailleurs sur ce point pour convaincre les abstentionnistes. Pour le reste des candidats ayant une chance de l’emporter, le vide intersidéral n’est pas loin.

Certes, tous les candidats et candidates ont présenté leurs mesures mais il est évident que pour une bonne part d’entre eux presque aucun travail de fond n’a été effectué et qu’ils se contentent de répéter les poncifs néolibéraux si caricaturaux qu’il serait possible de faire une sorte de bingo de ces absurdités et d’en faire un jeu de société. La conséquence de cette pauvreté dans la réflexion est assurément la préférence de l’ensemble des candidats pour la petite phrase, la polémique stérile et autres rodomontades absolument ridicules.

Stratégie de la chaise vide et tentative d’enjambement

Dans ce marasme général, le cas d’Emmanuel Macron mérite qu’on s’y attarde quelque peu. Il est effectivement le premier responsable de cet état de fait. Souhaitant profiter à plein régime du fameux « effet drapeau » consécutif à la guerre en Ukraine, le locataire de l’Élysée pratique allègrement la stratégie de la chaise vide, tout acquis à sa volonté d’enjamber l’élection présidentielle. Son refus forcené de débattre, sa déclaration de candidature tardive, sa volonté de brouiller les pistes entre le président et le candidat – il a notamment expliqué qu’il ne pourrait pas faire campagne comme il le voudrait – tout cela participe d’une dynamique détestable et d’une petite musique qui voudrait que sa réélection ne soit qu’une formalité.

Cette stratégie de la tacite reconduction est proprement insupportable dans la mesure où il choisit savamment les médias dans lesquels s’exprimer, sachant par avance qu’il ne sera pas mis en difficulté sur son bilan. À cet égard, la responsabilité d’une bonne part des médias dits dominants est écrasante dans ce déni de démocratie. Un système représentatif où le principal représentant refuse de se soumettre à un examen de son bilan et à des débats – tout en narguant le monde entier en disant que l’on peut venir le chercher si on le souhaite – est assurément un système profondément malade.

L’illégitimité qui vient

Dans de telles conditions, si Emmanuel Macron venait à être réélu il est clair que le procès en illégitimité serait présent. Lui-même semble d’ailleurs en être convaincu puisque, d’après le Canard Enchaîné, il envisagerait de dissoudre l’Assemblée Nationale au lendemain de son élection pour que les élections législatives se tiennent deux semaines plus tôt que dans le calendrier actuel. Tout ceci participe évidemment de sa stratégie d’enjambement et démontre s’il le fallait encore qu’il n’a rien d’un démocrate.

Ce pouvoir termine son quinquennat dans un état de détestation rarement vu dans la Vème République et avait déjà accédé au pouvoir dans des conditions particulières qui posaient la question de sa légitimité politique. En cas de réélection au vu de cette campagne catastrophique, la question n’en serait que décuplée et il y a fort à parier que l’état du pays durant cette deuxième mandature serait particulièrement brûlant. Sans doute cette campagne est-elle le meilleur exemple possible pour illustrer l’inanité de la Vème République, ce système d’un autre temps qui arrive complètement à bout de souffle et risque à très court terme de nous mener à l’abîme fasciste.

Démobilisation et enracinement de l’ordre établi

La conséquence la plus dramatique de cette campagne dramatique est assurément la démobilisation qu’elle peut engendrer. Si 2017 avait été un fort moment de politisation notamment du fait des débats de fond qui avaient pu avoir lieu, la campagne de cette année semble plutôt agir comme un repoussoir tant les petites piques et les polémiques grotesques occupent une place importante. C’est peut-être là l’objectif final recherché par les forces du système en place.

Quel est effectivement le meilleur carburant de l’ordre établi sinon la démobilisation des masses ? La campagne actuelle, qui traite de sujets tellement éloignés de la réalité des Français, fait tout ou presque pour les dégoûter du jeu électoral – et il serait bien compréhensible qu’une bonne part des électeurs se détournent de ce cirque. C’est pourtant peut-être le moment où nous avons besoin de mobiliser le plus de monde possible tant pour les élections à venir que pour les luttes qui suivront. Il est sans doute grand temps, dans cette nuit démocratique, de rallumer les étoiles.

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