Le piège européen (à propos de l’UE et du clivage gauche-droite)

Le cheval de Troie – Tiepolo

Le 18 décembre dernier, C à vous recevait pour l’ultime émission d’une année 2020 particulière Jordan Bardella. Le vice-président du Rassemblement National et tête de file des députés européens de son parti y a effectué une annonce qui, de manière surprenante, n’a pas fait plus réagir que cela alors même qu’il s’agit peut-être de la déclaration politique majeure de cette fin d’année. En annonçant effectivement que le RN abandonnait la volonté de sortir de l’euro et a fortiori de l’UE, le jeune cadre du parti d’extrême-droite a marqué une rupture. Tout le monde ou presque a encore en tête le pathétique naufrage de Marine Le Pen sur la question monétaire lors de son débat d’entre-deux tours en 2017, voilà donc que son parti enterre l’une de ses mesures phares dans l’indifférence presque totale.

Évidemment, la rupture n’est pas totale en cela que nous avions eu un certain nombre de présages de ce changement de paradigme. Il n’en demeure pas moins que la mue qu’est en train de finaliser le RN semble être le point final de la prétendue dédiabolisation enclenchée par Marine Le Pen depuis son accession à la présidence du parti – du point de vue des élites économiques c’est d’ailleurs bien dans ce changement de position sur la question économique que réside la véritable dédiabolisation. Cette question européenne est également l’un des éléments fondamentaux qui empêchent l’émergence d’une coalition de gauche dans le pays puisque beaucoup des électeurs de Benoît Hamon expliquaient ne pas envisager le bulletin Mélenchon en 2017 en raison de son positionnement vis-à-vis de l’UE. En d’autres termes, la question européenne s’apparente à un piège faisant obstacle à la réinstauration du clivage gauche-droite.

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L’UE, l’Italie et le symptomatique bras de fer

Passée quelque peu inaperçue de ce côté-ci des Alpes en raison du mouvement des Gilets Jaunes, l’actualité italienne est pourtant brûlante à bien des égards. Alors que tous les yeux européens, ou presque, sont effectivement rivés sur le Royaume-Uni et sur la fragilité de Theresa May ainsi que sur la potentialité d’un hard Brexit, l’Italie fait figure de deuxième foyer menaçant au sein de l’Union Européenne en cela qu’elle est, depuis des semaines, engagée dans un bras de fer l’opposant à la Commission européenne à propos du budget présenté par la majorité composée de la Ligue et du mouvement 5 Etoiles.

Vertement critiquée depuis son accession au pouvoir, la coalition semble aujourd’hui vivre ce que l’on pourrait définir comme un mouvement de vérité. Se définissant tous les deux comme des partis antisystème et critiques de l’Union Européenne et de ses règles, les deux partis au pouvoir en Italie voient désormais leurs critiques et leurs positions se heurter à la réalité d’une Commission européenne ayant fermement décidé qu’elle ne souhaitait laisser aucune marge de manœuvre budgétaire au gouvernement italien. Dès lors, tenter de comprendre de quoi cette volonté forcenée de ne laisser aucune marge à la coalition au pouvoir en Italie est le symptôme est, me semble-t-il, la première étape pour comprendre les motivations profondes de l’Union Européenne actuelle et de son bras politique armé qu’est la Commission européenne.

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Emmanuel Macron, les élections européennes et le grand enfumage

Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron répondait frontalement à Matteo Salvini et Victor Orban qui, lors d’un sommet bilatéral, avaient attaqué sans prononcer son nom le locataire de l’Elysée. La raison de cette opposition réside principalement sur les postures des uns et de l’autre sur la question de l’immigration. Bien mal en point à l’échelle nationale – l’affaire Benalla, les démissions de Collomb et Hulot et bien d’autres événements viennent effectivement assombrir son début de quinquennat – Monsieur Macron voit certainement dans les élections européennes à venir en mai prochain un moyen à la fois d’asseoir son parti et en même temps de s’offrir une bouffée d’oxygène.

A la manière d’un Chirac mal en point sur la scène nationale et cherchant à se revigorer sur la scène internationale, Emmanuel Macron pourrait pourtant subir un échec similaire (bien que sans doute moins cuisant) que celui subi par Chirac avec le référendum de 2005 sur la constitution européenne. Tout acquis à la stratégie qui lui a permis de se retrouver à l’Elysée, Emmanuel Macron tente donc de la déployer à l’échelle européenne en se présentant comme le leader naturel des forces dites progressistes face aux démocraties « illibérales » symbolisées par Orban et Salvini principalement – le président français profite de la timidité de la CDU en Allemagne soumise à la poussée de l’AFD et vise très clairement à faire exploser la droite européenne (le PPE) après les élections européennes. Ce clivage est pourtant un leurre qu’il nous faut urgemment déconstruire afin d’éviter le piège tendu à la fois par Macron et par Salvini/Orban. Lire la suite

Aquarius, l’effroyable symbole

Depuis lundi, l’Union Européenne et plus particulièrement Malte, l’Italie, la France et l’Espagne sont au cœur d’une polémique effroyable, le genre d’évènements qui vient rappeler si besoin était l’inhumanité dont est capable l’être humain. L’Aquarius, ce bateau affrété par l’ONG SOS Méditerranée qui sauve des exilés de la noyade, est effectivement au cœur d’une tempête politico-diplomatique avec à son bord 629 personnes dont une bonne part de mineurs isolés et de femmes enceintes. Le nouveau ministre de l’intérieur italien – et dirigeant du parti d’extrême-droite la Ligue (ex-Ligue du Nord) – Matteo Salvini a en effet refusé d’accueillir le bateau dans un port italien, rejetant la responsabilité de l’accueil du navire sur Malte.

En expliquant que c’était à la petite île d’accueillir le bateau de SOS Méditerranée, Matteo Salvini a indéniablement réalisé un coup de force à la fois à destination de son électorat et de l’Union Européenne. Tout au long de la campagne italienne, le leader de la Ligue s’est appliqué à parler des exilés en des termes déshumanisants et racistes. Désormais au pouvoir, Salvini a mis en place ce qu’il avait annoncé et par la même occasion s’est échiné à envoyer un message aux autres pays européens, réactivant la crise au sein de l’union à propos de cette question. Malgré la proposition de la Corse d’accueillir le navire, c’est finalement l’Espagne et Valence qui ont ouvert leurs portes à l’Aquarius et aux exilés qu’il transporte. En ce sens, il ne me parait pas exagéré de voir dans l’Aquarius un triple symbole : celui du cynisme du gouvernement français, celui de l’hypocrisie à la fois du gouvernement et d’une bonne part de la société en France mais aussi celui de la démission définitive de l’UE. Lire la suite

La crise italienne, énième révélateur de l’autoritarisme de l’UE

Depuis dimanche dernier, l’UE a été rattrapée par la crise politique italienne. Ce qui ne constituait qu’une hypothèse jusque-là s’est soudainement matérialisé avec fracas durant les sept minutes de déclaration du président Sergio Mattarella qui venait d’opposer son veto à la formation du gouvernement proposé par le mouvement 5 étoiles et la Ligue que devait diriger Giuseppe Conte. « La désignation d’un ministre de l’Economie constitue toujours un message immédiat en direction des opérateurs économiques et financiers. J’ai demandé que soit indiquée une figure compétente, qui ne soit pas vue comme soutenant une ligne pouvant provoquer la sortie de l’Italie de l’euro », c’est avec ces termes que le locataire du palais du Quirinal a justifié sa décision que beaucoup d’observateurs analysent comme étant une interprétation très extensive de la Constitution italienne.

Les sources de cette crise politique remontent aux résultats des élections générales italiennes qui, le 5 mars dernier, n’ont pas donné de majorité claire au sein de la Camera des deiputati (la chambre des députés en version française), équivalent de l’Assemblée nationale. Le mouvement 5 étoiles, arrivé largement en tête, s’est finalement allié à la formation d’extrême-droite de la Ligue (l’ancienne Ligue du Nord) et les deux formations se sont entendues sur un programme de gouvernement qui fait la part belle au parti d’extrême-droite sur la question de l’immigration, nous y reviendrons. Ce véritable coup de force institutionnel réalisé par le président Mattarella – même s’il a depuis accepté la formation d’un autre gouvernement – s’inscrit finalement dans la logique qui gouverne cette Union Européenne à la dérive : le refus de toute alternative à sa politique économique et le suprême mépris avec laquelle elle traite les élections.

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Les élections en Italie, la GroKo et le fil d’Ariane de la désagrégation de l’UE

Dimanche se sont tenus deux évènements politiques majeurs au sein de l’Union Européenne. En Allemagne, les militants du SPD étaient appelés à se prononcer sur le fait de former une nouvelle grande coalition – Grosse Koalition en allemand, abrégée en GroKo – avec la CDU/CSU de Madame Merkel. Ils ont majoritairement voté pour le oui (66%) et la première économie de l’Union Européenne va connaître une nouvelle coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates après celles de 2005 et de 2013. Même si les militants du SPD ont répondu favorablement à cette demande de coalition, le score du oui est plus faible que lors de la précédente demande et un véritable mouvement d’opposition à cette logique semble s’être mis en place au sein du parti.

Le même jour, les Italiens étaient appelés aux urnes pour renouveler tout à la fois la Camera (équivalent de l’Assemblée Nationale) et le Sénat. En pleine tourmente électorale depuis le referendum perdu et le départ de Matteo Renzi, le Parti Démocrate a connu une lourde défaite. Alors qu’il était majoritaire dans la Camera sortante, le voilà relégué à un peu moins de 19% des suffrages – sur 95% des bulletins exprimés – et renvoyé, sans doute, à l’opposition. Toutefois, le grand résultat de ces élections italiennes, outre la cinglante défaite du PD, est assurément la victoire des partis dits contestataires. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S), fondé par Beppe Grillo, arrive effectivement en tête avec près de 32% des suffrages. Dans la coalition de droite, c’est la Ligue, ex-Ligue du Nord et parti d’extrême-droite, qui est en tête avec près de 18% des suffrages. Si la coalition Ligue du Nord – Forza Italia (de Berlusconi) -Fratelli d’Italia arrive bien en tête, cette poussée sans précédent des deux mouvements contestataires est ce qui marque le plus. L’on pourrait croire ces deux éléments totalement indépendants, je crois pourtant qu’ils sont le révélateur du fil d’Ariane qui parcourt l’UE actuellement et qui est celui de sa désagrégation et du risque d’implosion.

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Réorientation de l’UE, la grande tartufferie

Le week-end dernier, au Mans, Benoît Hamon a dévoilé le nouveau nom de son mouvement, Génération∙s. Au-delà de la simple présentation du nouveau nom, ce week-end a été l’occasion de mettre en débat la charte fondatrice du mouvement. Le candidat malheureux du PS à l’élection présidentielle a expliqué concevoir son mouvement non pas comme un parti – puisque le « mouvement politique » est la grande mode actuellement – comme l’une des composantes de la gauche française et a appelé à des débats qu’il espère fructueux notamment avec la France Insoumise. Au micro de France Inter lundi matin, Benoît Hamon a en effet expliqué qu’il ne voyait pas forcément de frontière imperméable entre son mouvement et celui dont le candidat a été Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière présidentielle.

Nicolas Demorand, qui l’interrogeait sur France Inter, a soulevé cette question en abordant le sujet de l’Union Européenne. Selon l’animateur radio, l’UE est effectivement ce qui sépare définitivement Benoît Hamon de la France Insoumise. L’ancien candidat à la présidentielle, s’il a répondu qu’il ne voyait pas de frontière imperméable, a néanmoins réaffirmé la position qui était la sienne sur l’Union Européenne, position qui n’a pas varié d’un iota depuis la campagne électorale : il faut réorienter cette UE et stopper le néolibéralisme ambiant ainsi que les politiques austéritaires, si possible sans changer les traités. Je crois personnellement que cette position est au mieux incohérente au pire totalement cynique quand on connait le fonctionnement de l’Union Européenne. Lire la suite

Les indépendantistes catalans et le spectre de Syriza

A une époque pas si lointaine, il était de bon ton de rapprocher la Grèce de l’Espagne. Les médias allemands, à commencer par le tabloïd Bild, se plaisaient à ranger les deux pays dans ce qu’ils appelaient le « club med » de manière méprisante et hautaine. Si les deux pays ont souvent été rapprochés, c’était, au début, eu égard à leur situation budgétaire. L’Espagne comme la Grèce ont en effet bénéficié d’une « aide » de la Troïka (BCE – Commission Européenne – FMI) pour obtenir des fonds en échange desquels les pays ont dû mettre en place de très dures politiques austéritaires aux conséquences désastreuses pour les populations des deux pays, en particulier pour les plus pauvres. Toutefois, si l’on a continué pendant quelques temps de rapprocher les deux pays c’est bien plus parce que, à la fois dans la péninsule ibérique et dans le pays hellénistique, ont surgi des mouvements politique farouchement opposés à l’austérité et qui ont été soit en passe de prendre le pouvoir (Podemos en Espagne bien que cela reste à nuancer) soit ont pris le pouvoir (Syriza en Grèce).

Nous avons alors pu voir un espoir poindre, celui de la création d’une coalition anti-austérité en Europe. Malheureusement, Alexis Tsipras et Syriza ont rapidement capitulé sans même livrer de réel combat face à l’UE et Podemos a très rapidement dit qu’il n’avait pas pour ambition d’entrer dans un bras de fer. Il me semble qu’aujourd’hui encore l’on peut faire un parallèle entre les deux pays mais pas pour les mêmes raisons. Je crois en effet, pour paraphraser Marx et Engels, qu’en termes de stratégie, un spectre hante les indépendantistes catalans, celui de Syriza. Il ne s’agit pas ici de donner un avis (qui serait bien peu pertinent comme je l’ai dit hier) sur la question de l’indépendance de la Catalogne mais bien plus de tenter une analyse comparée des erreurs stratégiques de Syriza et des indépendantises catalans, qui semblent fortement se rapprocher. Lire la suite

La crise catalane, hallali de l’Etat de droit en Europe ?

Bien que d’aucuns tentent de faire croire l’inverse, voilà plusieurs mois que la crise catalane est au centre des débats politiques en Espagne. Elle a même été l’un des sujets les plus importants au cours de la dernière campagne électorale (pour les élections générales) et est l’une des raisons pour laquelle le PSOE et Podemos n’ont pas réussi à s’allier pour prendre le pouvoir, laissant les manettes à Mariano Rajoy. Le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol, l’équivalent du PS français, leur logo est d’ailleurs très proche) est effectivement un farouche partisan de l’unité espagnol tandis que Podemos, sans être pro-indépendantiste, défend le droit à l’autodétermination et donc de facto au referendum en Catalogne, position que symbolise parfaitement Ada Colau, la maire rebelle de Barcelone dont la liste Barcelona en Comú est soutenue par Podemos.

Pour quiconque n’était pas au courant de l’importance de cette crise catalane dans la vie politique espagnole, l’organisation du referendum le 1er octobre dernier aura véritablement joué le rôle de révélateur. Face aux coups de menton martiaux de Mariano Rajoy et de son gouvernement, les indépendantistes catalans ont maintenu et organisé leur referendum sous les coups et la brutalité de la guardia civil bien connue pour sa violence (je ne reviendrai pas ici sur les réactions effarouchées de ce côté-ci des Pyrénées venant des mêmes personnes qui ne trouvent rien à redire des agissements de notre police mais il y aurait tout un papier à faire sur cette indignation sélective). Depuis ce referendum, c’est un véritable bras de fer qui s’est mis en place entre Rajoy d’un côté et les indépendantistes de l’autre sans que cela n’émeuve grand monde. Chose qui me paraît hautement inquiétante. Lire la suite

Le « modèle » allemand sanctionné

Dimanche avaient lieu les élections fédérales allemande. Angela Merkel, chancelière depuis 2005, briguait un 4ème mandat consécutif à la chancellerie allemande et, si tout se passe comme prévu, elle devrait rempiler pour quatre années de plus dans la machine à laver – le surnom donné par les Allemands au siège de la chancellerie – bien que les négociations risquent d’être très ardues, nous y reviendrons. A en croire beaucoup de médias et de titres que j’ai pu voir passer, sur Twitter notamment, les résultats de ces élections seraient la preuve qu’Angela Merkel est parvenue à « gagner » une nouvelle fois les élections allemandes. C’est une manière de voir les choses puisque la CDU/CSU (Christlich Demokratische Union, l’union chrétienne-démocrate, de droite) a récolté près de 33% des voix, obtenant ainsi 246 sièges au Bundestag (le parlement allemand).

Je suis personnellement bien plus enclin à adopter un regard plus critique sur ces élections. La CDU/CSU est certes arrivée en tête mais elle réalise l’un de ses pires scores depuis l’après-guerre. Si elle s’est imposée, c’est avant tout selon moi parce que le SPD (Socialdemokratische Parteil Deutschland, le parti social-démocrate) s’est écroulé réalisant le pire score de son histoire. Le fameux « modèle » allemand tant loué de ce côté-ci du Rhin a été lourdement sanctionné par les électeurs allemands puisque la « Große Koalition », la coalition rassemblant la CDU/CSU et le SPD a été farouchement rejetée par les Allemands. C’est bel et bien un véritable séisme politique qui a touché l’Allemagne dimanche soir puisque celle-ci était jusqu’alors épargnée par des dynamiques communes à toute l’Europe. Beaucoup mettaient cette singularité sur le compte du « modèle » allemand, à la fois politique et économique. Nous voyons aujourd’hui que l’Allemagne n’est évidemment pas immunisée contre ces phénomènes de montée en puissance de l’extrême-droite, de délitement de la social-démocratie et d’effondrement du bipartisme. Lire la suite