Corruption, fraude fiscale et affairisme, l’ombre menaçante (2/4): penser de manière systémique

Le mythe des brebis galeuses

 

A chaque affaire de corruption, de fraude fiscale ou de népotisme c’est sempiternellement la même rengaine qui se met en place : la personne prise la main dans le sac est un mouton noir et ne représente en rien l’ensemble de ses collègues. Pas plus tard que lors de l’affaire Fillon nous avons vu cette logique se mettre en place tant le candidat de Les Républicains à la présidentielle a été voué aux gémonies dès lors que les premières informations à son propos sont sorties dans la presse. Ce mécanisme de protection qu’a mis en place la caste qui dirige notre pays – celui de désigner le fautif comme un mouton noir – a été très bien décrit par René Girard dans La Violence et le sacré, c’est la logique multiséculaire du bouc émissaire. Dans son œuvre, le philosophe passe par le détour du pharmakos de la Grèce antique pour expliquer cette logique. Dans la Grèce Antique, il était une personne qui représente à la fois le poison et le remède. Concrètement il s’agissait de faire parader le pharmakos dans la ville afin qu’il draine tous les éléments négatifs avant d’être expulsé de la cité. Finalement, il agit comme une forme de paratonnerre puisqu’il attire à lui toutes les choses néfastes afin d’éviter à la cité de subir le courroux divin. A ce titre Œdipe fait figure de modèle puisqu’après s’être crevé les yeux il s’enfuit de Thèbes pour lui éviter de subir la malédiction qui lui est promise. Tout porte à croire que tous ceux qui sont pris en flagrant délit de corruption ou de fraude fiscale de Monsieur Carignon à Monsieur Fillon en passant par Monsieur Cahuzac et tant d’autres jouent le rôle de pharmakos pour la caste en place. Lire la suite

Corruption, fraude fiscale et affairisme, l’ombre menaçante (1/4): la nuit sombre et menaçante

Il est des livres dont la lecture provoque en vous un haut-le-cœur de dégoût, une irrépressible rage et une profonde envie de révolte. Ainsi en est-il de Corruption, l’excellent livre d’Antoine Peillon dont je conseille la lecture à chacun. Faisant suite aux 600 milliards qui manquent à la France, l’ouvrage évoque pêle-mêle la corruption, la fraude fiscale, le népotisme ou encore l’affairisme pour dresser un constat glaçant de la situation de notre système à la fois économique et politique. Ce système est rongé par ces vices qui le font pourrir de l’intérieur depuis bien trop d’années. Loin de refluer, cette logique gagne en influence chaque jour. Pour paraphraser Marx et Engels, l’on pourrait dire qu’une ombre hante notre pays, celle de la corruption, de la fraude fiscale et de l’affairisme. Emmanuel Macron s’est d’ailleurs engagé à mettre en place une loi de la moralisation de la vie publique et les premiers éléments qui ont été présentés, bien qu’imparfaits et insuffisants, sont encourageants à mon sens – j’y reviendrai dans un prochain billet. Il faut dire que la campagne présidentielle qui s’est terminée il y a un peu plus d’un mois aura été l’occasion de montrer à quel point cette logique gangrène notre République. Deux candidats soupçonnés de détournement de fonds publics, un autre soutenu et financé par des lobbies en tous genre – lobbies qui ont depuis fait leur entrée dans les ministères et les cabinets – rarement une élection présidentielle avait rassemblé autant de symboles des problèmes qui minent notre pays et notre République, la Res Publica, la chose commune.

Face à ce sentiment d’urgence qui se fait chaque jour plus pressant que convient-il donc de faire pour nous, simples citoyens ? Nommer les choses me semble être un préalable plus que nécessaire si nous souhaitons réellement nous battre contre cette logique mortifère qui régit et gouverne notre pays. Nous sommes, je le crois, dans une époque orwellienne au cours de laquelle les mots sont utilisés à tort et à travers pour désigner tout et n’importe quoi si bien que le langage tend à devenir inopérant pour décrire les situations que nous vivons. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde » aurait dit Albert Camus. Il me semble qu’aujourd’hui plus que jamais cette phrase demeure vraie. Il nous faut faire comme Orwell le journaliste qui décrivait crument la réalité des choses sous peine de tomber dans une forme de totalitarisme doux au sein duquel la République n’aurait plus de république que le nom. Sans doute est-ce là une déformation liée à mes lectures et études mais je suis intimement convaincu que pour lutter contre un phénomène il faut d’abord l’avoir nommé puis analysé. C’est donc la modeste ambition de ce dossier que de parvenir à mettre un mot sur ces grandes tendances qui parcourent notre société depuis des décennies et participent à son délitement. Aussi me paraît-il fondamental de dresser avant tout un constat sans concession sur la situation dans notre pays. Cela doit nécessairement être le préalable qui permettra ensuite de penser les choses de manière systémique puis de tenter de dépasser la question morale à laquelle on tente de limiter les débats dès lors que l’on parle de corruption, de népotisme, d’affairisme ou encore de fraude fiscale. In fine cette démarche doit permettre d’aboutir à des actions franches et concrètes pour lutter contre ces logiques morbides. Lesdites actions ne sauraient se limiter à quelques élus mais concernent bien évidemment l’ensemble de la société. Dans le cas contraire, celles-ci ne seraient que des impasses et des apories. Lire la suite

La bataille des villes (4/4): la longue route semée d’embûches

Le piège de la personnalisation

 

Nous l’avons vu dès le début de ce dossier, réinventer le municipalisme français pour ensuite réinventer notre démocratie suggère de se détacher – au moins en partie – du système représentatif, qui porte en lui-même les germes d’une désobéissance des élus vis-à-vis de leurs électeurs. Toutefois, si l’on regarde ce qui s’est produit en Espagne dans les villes où les confluences ont été portées au pouvoir (notamment à Barcelone et à Madrid), on constate que les plateformes citoyennes l’ont également emporté car leur tête de gondole était une personnalité civile charismatique et qui a su porter l’espérance. Manuela Carmena à Madrid était connue comme une juge antifranquiste et jouissait d’une popularité exorbitante de la même manière que la lutte contre le mal-logement et les expulsions locatives avaient fait d’Ada Colau une figure barcelonaise incontournable. Depuis leur entrée en fonction, ces deux maires s’efforcent de ne pas personnaliser le pouvoir mais le fait est que leur personne a joué un rôle non négligeable dans la victoire aux municipales et donc dans l’établissement de ce que l’on appelle les mairies rebelles. Comment, dès lors, éviter une hyper personnalisation de ces confluences alors même que la victoire est parfois intimement liée à leur leader ? Lire la suite

La bataille des villes (3/4): réinventer le municipalisme français

Confluence et intersectionnalité

 

Réinventer le municipalisme français suggère d’emblée d’aborder l’échéance électorale de manière différente de ce qui se fait actuellement par les partis. C’est précisément ici que les notions de confluence et d’intersectionnalité entrent en jeu puisque la première permet de faire émerger des coalitions de personnes pleinement concernées par la deuxième. L’intersectionnalité est cette notion qui s’intéresse aux phénomènes discriminatoires qui peuvent frapper tel ou tel type de population. Popularisé par Angela Davies aux Etats-Unis, le concept met en exergue le fait qu’une même personne peut subir de multiples types de discrimination. Celui-ci peut permettre, en outre, de faire converger les luttes comme Nuit Debout souhaitait le faire au printemps dernier. Toutefois, si une logique de confluence a toutes les chances d’aboutir dans beaucoup de municipalités françaises, il faut garder à l’esprit qu’on ne décrète ni la convergence ni la confluence. Au contraire, celle-ci ne peut être que le fruit d’un travail de fond et long de convergence progressive entre différents mouvements sociaux, associatifs ou même partisans. En Espagne, les confluences victorieuses l’ont été parce qu’elles ne se sont fermées aucune porte de telle sorte que certains partis pouvaient y participer – à la condition bien sûr de se plier aux règles communes. Seule une démarche réellement collective de co-construction peut permettre d’atteindre l’objectif qui est à la fois simple dans sa définition et très ambitieux dans sa réalisation : réinventer le municipalisme à la française. Lire la suite

La bataille des villes (2/4): le terreau et la graine plantée

La FAGE ou le discret coup de tonnerre

 

Il y a quelques semaines – le 29 novembre pour être précis – la FAGE (Fédération des Associations Générales Etudiantes) est arrivée en tête des élections des CROUS devançant ainsi l’UNEF (l’Union National des Etudiants de France). C’est dans une indifférence quasi-totale que ce bouleversement a frappé le syndicalisme étudiant. L’UNEF était en effet le premier syndicat étudiant depuis des décennies et le fait qu’il ait été supplanté par la FAGE pourrait bien avoir des conséquences en dehors du simple cadre étudiant. Au-delà du caractère historique de cette victoire pour le petit monde des instances universitaires, celle-ci en dit effectivement long sur les dynamiques à l’œuvre dans notre pays et sur l’avenir de la politique française. La FAGE est un syndicat relativement jeune puisque fondé dans les années 1980 et détonne dans le paysage étudiant. Au milieu des autres syndicats très politisés dont l’UNEF est la tête de gondole, celle-ci pratique un apolitisme qui tranche. Si la FAGE est surtout connue pour les soirées arrosées qu’elle organise un peu partout en France, c’est un autre élément qui lui a valu la victoire : le fait d’être dans l’action contrairement à nombre de syndicats étudiants qui se contentent de servir de relais à des partis, à commencer par l’UNEF. En ce sens, la victoire récente de la FAGE est la récompense d’une forme de pragmatisme et de l’action de terrain. En parallèle, le syndicat se garde bien de prendre position sur les grandes questions politiques et sociales – leur neutralité lors du conflit autour de la Loi travail est là pour en témoigner. Lire la suite

La bataille des villes (1/4): entre déprime et espoir

Notre démocratie est malade. Gravement malade. On ne compte plus les symptômes qui attestent de cette maladie qui ronge notre système politique et qui, un jour, livrera peut-être le pays à des troubles bien profonds. De l’abstention galopante à l’impuissance (feinte ou réelle) des élus à faire face aux maux qui frappent notre société en passant par la désertion des partis politiques, nombreux sont les indicateurs qui viennent souligner la profonde crise démocratique que traverse notre pays. 2017 sera une année importante en termes électoraux puisqu’elle verra se tenir la présidentielle puis les législatives. Un nombre conséquent de candidats nous promettent une révolution s’ils sont élus. Si pour certains cela peut paraître relativement crédible (Mélenchon par exemple) pour d’autres, en revanche, la révolution promise a de grandes chances de n’être qu’un tour sur soi pour revenir au point de départ ou, pire, accentuer la crise déjà présente. Lorsque François Fillon affirme qu’il veut gouverner par ordonnances, il ne fait que s’inscrire dans la lignée de la Vème République qui veut que le président-monarque dispose de tous les pouvoirs ou presque. Il est assez dramatique de voir à quel point le monde politicien semble être sourd aux appels de la population à une meilleure démocratie et il est assez navrant – pour ne pas dire plus – de voir les acteurs de ce monde verrouiller un système dont beaucoup de Français ne veulent plus.

Face à ce constat ahurissant que convient-il de dire ou de faire ? Revenir à la définition première du mot crise me semble être un préalable pertinent. Etymologiquement, le terme crise signifiait deux choses à la fois : en latin il renvoie à une « manifestation grave d’une maladie » tandis qu’en grec il se rapporte au choix. En ce sens, il est pleinement pertinent de parler aujourd’hui de crise démocratique dans la mesure où notre démocratie souffre d’une maladie qui me semble grave tant la défiance monte telle une marée et que nous nous retrouvons à la croisée des chemins, au moment d’un choix décisif pour notre avenir. « La crise, écrivait Antonio Gramsci, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». En d’autres termes, la crise est ce moment de transition entre le crépuscule d’un monde et l’aube d’un autre. Nous voilà jetés dans un tel moment. Quoi de plus logique pour aller dans le sens d’une démocratie plus proche des citoyens que de passer par l’échelon des villes ? L’Espagne en a fait l’expérience et, bien que des limites certaines se fassent sentir, il y a des réussites tangibles et concrètes. Il ne s’agit évidemment pas de copier bêtement ce qui a pu se faire en Espagne mais plutôt de s’inspirer de cela tout en adaptant la logique aux spécificités françaises – un jacobinisme exacerbé notamment. A l’heure où l’équivalent du sorpaso – comprendre le dépassement de la social-démocratie par une gauche radicale au sens premier du terme – a de très fortes chances de se produire dans quelques mois, je crois qu’une fenêtre de tir historique s’est ouverte afin de réinventer le municipalisme français pour mieux faire évoluer notre système exténué et à bout de souffle. Et si finalement la date la plus importante n’était pas 2017 mais 2020 ? C’est la modeste ambition de ce dossier que d’exposer le pourquoi et le comment d’une telle conviction. Lire la suite

Alep, notre Guernica (4/4): l’ensauvagement du monde

Le terrorisme va commencer

 

Le titre de cette sous-partie peut heurter voire même choquer. Nombreux seront sans doute ceux qui rétorqueront que depuis bientôt deux ans – et l’attaque de Charlie Hebdo – le terrorisme est bien ancré dans les sociétés occidentales en général et française en particulier. Depuis plus longtemps encore, le Moyen-Orient est frappé durement par ces attaques meurtrières. Il ne s’agit évidemment pas de nier toutes les victimes passées du terrorisme mais si j’utilise l’assertion « le terrorisme va commencer » c’est pour affirmer que le terrorisme de grande ampleur va sans doute débuter avec la chute d’Alep. En premier lieu en Syrie. Bachar Al Assad et Vladimir Poutine nous expliquent qu’ils ont bombardé des terroristes mais comme l’explique brillamment Denis Sieffert dans son édito publié par Politis, depuis la nuit des temps les insurgés sont catalogués comme terroristes. La réalité, c’est que l’attaque sanglante contre Alep possèdent toutes les caractéristiques pour libérer les puissances du terrorisme de grande échelle : martyr de civils, ressentiment monstrueux à l’égard des Russes mais aussi de toute la communauté internationale qui a regardé sans rien faire, côtoiement de la barbarie la plus totale, tout est réuni pour que des survivants d’Alep basculent dans l’action violente. Pendant que Poutine et Al Assad assassinaient des civils à Alep au nom de la guerre contre le terrorisme, les vrais terroristes reprenaient, eux, la ville de Palmyre. Nombreux sont les analystes qui nous expliquent que la reprise d’Alep par le régime marque un tournant décisif dans la guerre en Syrie. Je crois au contraire qu’elle marque simplement une étape dans ce conflit. Le terrorisme va réellement démarrer à Alep et dans une guérilla du faible au fort, ce n’est quasiment jamais le fort qui l’emporte, l’histoire nous le montre. Lire la suite

Alep, notre Guernica (3/4): la tragédie venue de plus loin

Le triomphe de l’absurde

 

« L’absurde, écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. C’est cela qu’il ne faut pas oublier ». Plus loin, il ajoute : « Je suis donc fondé à dire que le sentiment de l’absurdité ne naît pas du simple examen d’un fait ou d’une impression mais qu’il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation ». En ce sens, il me semble que tout le conflit en Syrie est un puissant moment d’absurde camusien. Qu’est donc ce conflit – et depuis quelques jours Alep en est le symbole le plus éclatant – sinon un appel lancé par une population qui ne rencontre qu’un silence déraisonnable de la part de la communauté internationale ? Il peut, en effet, être confortable et même rassurant de se dire que l’horreur vient de surgir en Syrie sous les bombes russes et les couteaux iraniens. C’est cependant faire fi de la réalité des faits. Voilà désormais près de six années que ce conflit sanglant a commencé et l’horreur est montée graduellement. Il y a eu comme un divorce entre la population syrienne et ce que l’on appelle pompeusement la communauté internationale. A l’inverse, nulle trace de l’absurde entre le régime syrien et Vladimir Poutine. Le président russe n’a pas ignoré l’appel de son allié et s’est porté à son secours pour l’empêcher d’être balayé. Les massacres aux armes chimiques étaient censés constituer une ligne rouge et il n’en fut rien. Voilà désormais des années que nous répondons par un silence assourdissant à l’appel lancé par l’humanité. Lire la suite

Alep, notre Guernica (2/4): le miroir tendu

Humanité dans l’atrocité versus inhumaine humanité

Le postulat défendu ici est le suivant : l’indifférence dont nous faisons preuve vis-à-vis du martyr d’Alep cache quelque chose de plus profond. Ce n’est sans doute simplement pas notre impuissance qui a cédé le pas à une froide indifférence. Je pense au contraire que c’est précisément parce qu’Alep nous tend un miroir qui reflète une humanité monstrueuse que nous détournons le regard. Depuis des mois et des mois, une nuit semble s’être faite sur la deuxième ville syrienne. Pourtant, sous les bombes russes et les tirs de mortier syriens, les Aleppins ont conservé leur humanité. Ils sont le visage et la voix de la dignité humaine. Tels les héros de La Peste, les Aleppins s’entraident face au fléau qui s’abat sur eux. Ils ont décidé, à leur échelle, de n’être ni victime ni bourreau. Les casques blancs sont là pour en témoigner. Alep est en ce moment-même l’un des endroits les plus sombres de cette planète mais est-ce pour autant que les ombres ont tout recouvert dans la ville ? Assurément pas. C’est parfois des endroits les plus sombres que jaillissent les lumières les plus éclatantes et les plus impressionnantes. Alep est actuellement l’un de ces endroits. De ces familles qui partagent la pitance à cet homme qui fait le tour d’Alep Est pour distribuer de l’eau (électricité et eau courantes ne sont plus disponibles depuis longtemps dans la ville), les Aleppins montrent à l’humanité qui détourne le regard qu’ils ont su demeurer humains, profondément humains, dans cette tragédie funeste qui les frappe. Il ne s’agit assurément pas d’idéaliser la totalité de la population aleppine. Oui près d’un tiers des rebelles sont issus des rangs du terrorisme islamiste mais dans la ville en quarantaine, l’humanité n’a pas encore disparu. Lire la suite

Alep, notre Guernica (1/4): et l’humanité s’effondra…

Aujourd’hui Alep est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu une notification sur mon téléphone : « Alep reprise par l’armée syrienne. Exactions en cours. Pas de trêve ». Cela ne veut rien dire, c’était peut-être hier. Le 12 décembre 2016 restera dans l’Histoire comme le jour où nous avons vu Alep être reprise par le régime de Bachar Al Assad soutenu par Vladimir Poutine et par l’Iran. Nous avons vu et nous avons entendu les Aleppins crier leur détresse, nous dire adieu après des mois et des mois de lutte face à un adversaire qui était bien plus puissant qu’eux. En ce funeste jour de décembre, les troupes d’Al Assad sont donc entrées dans la ville en commettant les exactions les plus terribles selon de nombreux observateurs et témoins présents sur place. Ce ne sont ni la haine, ni la colère, ni la rage qui me pousse à rédiger ce dossier mais bien plus assurément la honte. La honte d’avoir été impuissant face à ce carnage qui s’est produit sous nos yeux. La honte face à la lâcheté de nos dirigeants. La honte face à notre froide indifférence. La honte face au fameux « plus jamais ça » bafoué une fois de plus. La honte déjà présente du moment où mes enfants me demanderont comment nous avons pu laisser faire ça sans rien faire, sans rien dire. Le régime syrien et son allié russe avaient annoncé une trêve humanitaire pour permettre aux civils de fuir. Mais les mêmes qui ont bombardé et massacré les Aleppins exigeaient de gérer les corridors humanitaires. Sans surprise cette trêve a fait long feu et hier les bombardements faisaient toujours rage alors que des milliers de civils étaient encore présents dans la ville, parfois des enfants isolés comme l’indiquait l’UNICEF.

Les porte-parole de l’ONU ont eu cette phrase à la fois lumineuse et terrible mardi soir à Genève lorsqu’ils ont affirmé que « l’humanité [semblait] s’être totalement effondrée Alep ». Oui l’humanité s’est effondrée à Alep, elle est venue se fracasser sur le mur de la Realpolitik et du cynisme le plus abject. L’ONU elle-même a sans doute vu sa mort définitive dans le destin de la deuxième ville de Syrie – nous y reviendrons en quatrième partie. Pourtant, ma génération est celle qui se demandait comment celle de ses grands-parents avait pu regarder l’Espagne sombrer devant elle par peur d’intervenir face à Hitler, celle qui se demandait comment la génération de ses parents avait pu détourner le regard de Srebrenica, du Rwanda, du Biafra. Nous proclamions d’une même voix « plus jamais ça » et nous affirmions avec aplomb qu’à l’heure d’internet et des réseaux sociaux nous ne laisserions pas arriver un tel drame. La réalité c’est qu’Alep est et restera comme la trace indélébile sur notre génération tout comme Guernica avait marqué la génération de nos grands-parents et le Rwanda celle de nos parents. Alors oui la honte ressentie est légitime mais elle ne doit pas non plus tout occulter. Tenter d’aller plus loin que la simple consternation pour mieux saisir les mécanismes qui ont abouti à cela est peut-être le meilleur moyen de rendre hommage aux valeureux Aleppins en même temps que le chemin le plus sûr pour éviter de nouveaux carnages tout en montrant l’insoutenable réalité de ce qu’il s’est produit à Alep durant ces années de guerre totale. C’est la modeste ambition des quelques lignes de ce dossier. Lire la suite