Emmanuel Macron et les médias français passés au révélateur Poutine

Décidément, Vladimir Poutine semble prendre un malin plaisir à jouer le rôle de révélateur pour les Présidents de la République française. Avec Nicolas Sarkozy il avait fait montre de sa poigne comme l’avait expliqué un documentaire s’intéressant au président russe et diffusé il y a quelques mois sur France 2. De manière plus directe, il avait renvoyé François Hollande à son statut de Président souffrant d’une indécision chronique lors d’une séquence diplomatique à propos de la Syrie. En choisissant de recevoir Vladimir Poutine au château de Versailles après l’avoir vertement critiqué durant la campagne présidentielle – et critiqué par la même occasion et par procuration ses trois principaux adversaires – Emmanuel Macron a de nouveau offert le rôle de cavalier de l’apocalypse au président de la fédération de Russie.

Apocalypse est ici à prendre dans son sens étymologique à savoir celui de la révélation. Il me semble, en effet, que cette réception à Versailles – venant conclure une séquence diplomatique de la part de notre Président – nous dit bien des choses sur le nouveau locataire de l’Elysée. Toutefois, loin de ne concerner que lui-même, le révélateur Poutine a également eu un effet sur les médias dits dominants (ou mainstream) dans notre pays. Il faut dire que Poutine a tellement polarisé à la fois l’attention des médias et les positions géopolitiques durant la campagne présidentielle qu’il ne pouvait en être autrement lorsque celui-ci serait reçu en France, peu importe le vainqueur de l’élection présidentielle. Lire la suite

Poutine, Trump et le manichéisme primaire

La semaine dernière, dans la nuit de jeudi à vendredi en France, Donald Trump a donné l’ordre de bombarder la base militaire syrienne de Shayrat. Ladite base avait, quelques jours plus tôt, été le point de départ des avions syriens ayant mené une attaque chimique mardi dernier et dont les images sont effroyables. Quelques jours plus tôt, pourtant, Donald Trump semblait avoir fait le choix d’impliquer Bachar Al Assad dans le processus de transition. Au vu de l’imprévisibilité du président américain, il ne serait guère étonnant que d’ici quelques jours, il fasse de nouveau volte-face – d’autant plus que l’attaque menée contre la base de Shayrat est avant tout symbolique et que ladite base est à nouveau opérationnelle. Le lendemain du bombardement américain, François Hollande et Angela Merkel se sont empressés de dire que celui-ci avait été une bonne chose. Sur les réseaux sociaux, j’ai vu Raphael Glucksmann accuser en creux qui osent émettre une critique sur ce bombardement d’être des suppôts d’Assad et Poutine. L’essayiste a en effet tweeté : « Certains sont bien + vocaux pour critiquer des frappes US sur 1 base militaire que lors de la destruction d’Alep par les Russes. #ChoixClair ».

Beaucoup se sont exaltés au moment de ce bombardement et j’avoue ne pas vraiment comprendre comment on peut éprouver des réactions de joie alors même que l’industrie de la guerre est en route. Cette exaltation qui montait m’a rappelé l’éditorial du grand Albert Camus dans Combat le 8 août 1945 à la suite du bombardement d’Hiroshima : «la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie ». L’intellectuel ajoute plus loin « en attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles ». Je le rejoins sur ce point. Je trouve indécent de célébrer une découverte qui sert avant tout la destruction. Pour aller plus loin, et adapter cette indignation au temps présent, je trouve indécent de célébrer une mort et abject de chercher à justifier l’assassinat ou le meurtre quand la recherche de la paix devrait seule nous guider. Lire la suite

Alep, notre Guernica (3/4): la tragédie venue de plus loin

Le triomphe de l’absurde

 

« L’absurde, écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. C’est cela qu’il ne faut pas oublier ». Plus loin, il ajoute : « Je suis donc fondé à dire que le sentiment de l’absurdité ne naît pas du simple examen d’un fait ou d’une impression mais qu’il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation ». En ce sens, il me semble que tout le conflit en Syrie est un puissant moment d’absurde camusien. Qu’est donc ce conflit – et depuis quelques jours Alep en est le symbole le plus éclatant – sinon un appel lancé par une population qui ne rencontre qu’un silence déraisonnable de la part de la communauté internationale ? Il peut, en effet, être confortable et même rassurant de se dire que l’horreur vient de surgir en Syrie sous les bombes russes et les couteaux iraniens. C’est cependant faire fi de la réalité des faits. Voilà désormais près de six années que ce conflit sanglant a commencé et l’horreur est montée graduellement. Il y a eu comme un divorce entre la population syrienne et ce que l’on appelle pompeusement la communauté internationale. A l’inverse, nulle trace de l’absurde entre le régime syrien et Vladimir Poutine. Le président russe n’a pas ignoré l’appel de son allié et s’est porté à son secours pour l’empêcher d’être balayé. Les massacres aux armes chimiques étaient censés constituer une ligne rouge et il n’en fut rien. Voilà désormais des années que nous répondons par un silence assourdissant à l’appel lancé par l’humanité. Lire la suite

Alep et notre silence criminel

« Alep est libre ». Difficile de ne pas rester interloqué face à cette affirmation que l’on entend fleurir depuis quelques jours. Le potentiel orwellien d’une telle phrase est presque maximal tant elle semble être en décalage avec la réalité qu’elle prétend décrire. Depuis le fameux « la guerre c’est la paix » dans 1984 on n’avait pas fait mieux. Parler de libération pour décrire le processus de destruction méthodique et d’assassinat de civils qui a eu lieu dans la ville relève de l’indécence la plus totale en même temps que d’une forme de déni. Que le régime syrien et son allié russe plastronnent en parlant de libération, quoi de plus normal ? Qu’une partie des médias lui emboîte le pas relève au moins du scandale, sinon de la faute professionnelle et morale.

Samedi, le maire d’Alep Est était à Paris et des rassemblements ont eu lieu un peu partout en France en soutien aux Aleppins forcés de vivre l’enfer sur Terre depuis désormais des mois et des mois. Le soutien affiché est certes nécessaire mais il m’apparaît bien tardif et, surtout, absolument pas suffisant. De la même manière, l’appel de parlementaires – et le départ de certains d’entre eux en Syrie avec l’édile aleppin – arrive bien tard quand le supplice de la ville martyr est chaque jour plus terrible. Il me semble qu’il est grand temps de relire Pourquoi je hais l’indifférence du penseur italien Antonio Gramsci pour mieux saisir à quel point nous avons été criminels par nos silences et notre indifférence, par nos réactions et notre dédain face à ce qui restera assurément comme le Guernica de notre époque. Lire la suite