Alep, notre Guernica (4/4): l’ensauvagement du monde

Le terrorisme va commencer

 

Le titre de cette sous-partie peut heurter voire même choquer. Nombreux seront sans doute ceux qui rétorqueront que depuis bientôt deux ans – et l’attaque de Charlie Hebdo – le terrorisme est bien ancré dans les sociétés occidentales en général et française en particulier. Depuis plus longtemps encore, le Moyen-Orient est frappé durement par ces attaques meurtrières. Il ne s’agit évidemment pas de nier toutes les victimes passées du terrorisme mais si j’utilise l’assertion « le terrorisme va commencer » c’est pour affirmer que le terrorisme de grande ampleur va sans doute débuter avec la chute d’Alep. En premier lieu en Syrie. Bachar Al Assad et Vladimir Poutine nous expliquent qu’ils ont bombardé des terroristes mais comme l’explique brillamment Denis Sieffert dans son édito publié par Politis, depuis la nuit des temps les insurgés sont catalogués comme terroristes. La réalité, c’est que l’attaque sanglante contre Alep possèdent toutes les caractéristiques pour libérer les puissances du terrorisme de grande échelle : martyr de civils, ressentiment monstrueux à l’égard des Russes mais aussi de toute la communauté internationale qui a regardé sans rien faire, côtoiement de la barbarie la plus totale, tout est réuni pour que des survivants d’Alep basculent dans l’action violente. Pendant que Poutine et Al Assad assassinaient des civils à Alep au nom de la guerre contre le terrorisme, les vrais terroristes reprenaient, eux, la ville de Palmyre. Nombreux sont les analystes qui nous expliquent que la reprise d’Alep par le régime marque un tournant décisif dans la guerre en Syrie. Je crois au contraire qu’elle marque simplement une étape dans ce conflit. Le terrorisme va réellement démarrer à Alep et dans une guérilla du faible au fort, ce n’est quasiment jamais le fort qui l’emporte, l’histoire nous le montre.

Si le terrorisme va commencer en Syrie, celui-ci a toutes les chances de réellement débuter dans le monde entier également. Ces dernières semaines nous avons assisté à une accélération extraordinaire des attaques, signe d’une forme de dynamique mortifère chaque jour plus puissante. Ceci est lié à plusieurs causes. La première est mécanique : plus un groupe terroriste est acculé sur ses terres, plus il tente de commettre des attentats partout sur la planète pour montrer qu’il n’est pas tant à l’agonie que ce que prétendent ses adversaires. Daech étant en phase de retraite sur son propre terrain, il y a fort à parier qu’il va tout faire pour multiplier les attentats un peu partout sur la planète et plus précisément en Allemagne actuellement dans la mesure où elle est le pays qui a accueilli le plus de migrants et que le but de Daech est bien de fracturer les sociétés occidentales. En revanche, la situation géopolitique en Syrie peut générer également une autre forme de terrorisme, plus puissant et potentiellement bien plus déstabilisateur que celui de Daech. Nous l’avons vu à l’œuvre avant-hier lorsqu’un jeune policier turc a abattu froidement l’ambassadeur russe en Turquie. On pourrait n’y voir qu’un épiphénomène mais je crois au contraire que cet attentat – bien plus que celui de Berlin à mon sens – est symptomatique des troubles qui risquent malheureusement de se produire à la suite de la stratégie du pourrissement décidée par à peu près tous les acteurs à Alep.

 

Alep, tombeau de l’ONU

 

La résolution votée il y a quelques jours à l’unanimité par le conseil de sécurité de l’ONU – résolution qui prévoit l’envoi d’observateurs à Alep pour vérifier que l’évacuation des civils se déroulent de manière décente et humaine – ressemble énormément à un chant du cygne de l’organisation internationale qui vient sans doute de se discréditer à jamais avec la crise aleppine. La résolution elle-même semble être une victoire à la Pyrrhus pour l’ONU. Certes elle a été adoptée à l’unanimité mais à quel prix ? Ladite résolution a été vidée de quasiment toutes les composantes contraignantes pour éviter un énième veto russe et, surtout, celle-ci est symbolique des carences profondes de l’ONU : alors que la situation à Alep est d’une urgence extrême, les palabres onusiens ont fait trainer les choses en longueur, ce qui a eu pour conséquence de laisser les Aleppins livrés à eux-mêmes face aux militaires et miliciens pro-régime. La devise de l’ONU pourrait bien être « il est urgent de ne rien faire » tant l’institution semble n’être capable de rien pour endiguer les conflits armés et faire prospérer la paix – ce qui est sa mission première.

Ne nous leurrons pas toutefois, si Alep constitue le tombeau de l’ONU c’est bien parce que celle-ci n’a eu de cesse au cours de son histoire de se démarquer par son impuissance et son absence d’influence à l’échelle internationale. C’est parce que l’institution a pris de multiples balles dans la tête par le passé qu’elle se retrouve aujourd’hui achevée par ce qu’il se passe à Alep. Incapable de peser au cours de la Guerre froide, réagissant sur le tard lors du génocide au Rwanda, coupable lors de la guerre de Bosnie ou encore impuissante à faire appliquer ses résolutions à Israël, l’ONU s’est progressivement transformé en nouvelle SDN, cette société des nations qui s’était révélée bien être bien incapable d’endiguer la montée des fascismes allemand, italien et nippon et donc d’empêcher la Deuxième guerre mondiale. De la même manière, en 2003, l’institution a été incapable de peser sur les Etats-Unis pour les empêcher d’intervenir unilatéralement en Irak avec les conséquences que l’on connaît. Finalement, si l’ONU est en passe de devenir obsolète c’est sans doute parce qu’elle a été créée à une période où un certain ordre du monde existait et qu’aujourd’hui un tout nouvel ordre du monde est en train d’émerger sous nos yeux impuissants.

 

 

L’affreux nouvel ordre du monde

 

La résolution votée à l’unanimité pourrait laisser présager d’une forme de compromis qui serait de retour. Il n’en est, à mes yeux, rien. Ce que nous voyons peu à peu s’esquisser sous nos yeux horrifiés et impuissants, c’est un nouvel ordre mondial qui est affreux. La violence semble être devenue la nouvelle donne la mieux partagée à l’échelle du monde. Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine à la tête de trois des Etats les plus puissants de la planète sont là pour en témoigner. Le premier n’a eu de cesse d’utiliser des formules violentes lors de sa campagne. Le deuxième est en train de faire rentrer la Chine dans la cour des très violents de par ses positions agressives dans le bassin asiatique. Le troisième enfin ne cache plus son virage autoritaire et nationaliste. L’heure n’est plus aux simples rodomontades mais bien à l’affrontement presque ouvert entre puissances. Ne faut-il pas voir dans les propos de Trump sur Taiwan une provocation violente à l’égard de la Chine ? Ne faut-il pas comprendre l’action de Poutine en Ukraine ou en Syrie comme la volonté de montrer aux Etats-Unis que la Russie n’entend plus se laisser faire et compte bien se replacer au centre de l’échiquier mondial ? Ne faut-il pas saisir derrière les positions chinoises en Mer de Chine la volonté de devenir une superpuissance à très court terme ?

Ce qui semble se mettre en place à échelle mondiale c’est une – très paradoxale – internationale des nationalismes et la lame de fond qui parcourt la planète ne s’arrête pas aux trois pays évoqués précédemment. D’Orban en Hongrie à la montée en puissance des néonazis en Grèce, du surgissement de l’AfD en Allemagne aux résultats du Front National en France, le Vieux continent est lui aussi traversé par cette vague nationaliste et xénophobe qui participe grandement de cet affreux nouvel ordre mondial. On ne compte plus en effet les provocations lancées à l’encontre de tel ou tel pays, les imprécations contre la paix qui ne serait qu’une lubie de bobo, les appels à un autoritarisme qui serait plus efficace et plus à même de protéger les populations. Nous assistons impuissants à ce que Gramsci appelait les effets morbides spécifiques des temps de crise où « le vieux monde se meurt et le jeune monde hésite à naître ». Les monstres évoqués par le philosophe italiens semblent prendre un peu plus corps chaque jour sans que nous puissions réellement contrer le phénomène. Sommes-nous condamnés à voir ce nouvel ordre mondial émerger sans rien dire ni rien faire ? Assurément pas. Comme Hannibal Barca qui allait vers Rome, nous trouverons un chemin pour sortir de l’ornière ou nous en créerons un.

 

Nous voilà donc arrivés au terme de ce dossier. Celui-ci ne prétend pas détenir la vérité mais avait la modeste ambition d’essayer de saisir la complexité d’un conflit que nous avons trop tendance à résumer de façon binaire et simpliste. Alep est à la fois la conséquence d’années d’errements et de parcours diplomatique erratique et un symbole du nouvel ordre mondial s’esquissant sous nos yeux. Alep représente en quelque sorte la catastrophe grecque – le renversement – puisqu’elle semble inaugurer un nouveau monde. Plus tard, les livres d’histoire jugeront sans doute sévèrement notre attitude collective face à ce drame qu’est Alep (et plus largement la Syrie). Ce jour-là tout le monde s’accordera à dire que des massacres horribles ont eu lieu. Mais ce jour-là, notre humanité se sera envolé depuis longtemps. Il est compliqué de conclure un dossier aussi grave que celui-ci alors je me contenterai de deux mots simples mais je crois forts : pardon Alep.

 

Partie I: Et l’humanité s’effondra…

Partie II: Le miroir tendu

Partie III: La tragédie venue de plus loin

Partie IV: L’ensauvagement du monde

5 commentaires sur “Alep, notre Guernica (4/4): l’ensauvagement du monde

    • Hola,
      Très bien écrit mais pas assez de solutions trop simpliste de déballer nous se qu’on demande se sont des portes de secours.
      A bonne entendeur.

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      • Salut et merci ! Je pense qu’avant d’élaborer des solutions il faut déjà avoir une bonne analayse de ce qu’il se passe. C’est ma modeste participation à cette analyse ce papier. D’autres suivront sur les propositions évidemment

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