La bataille des villes (1/4): entre déprime et espoir

Notre démocratie est malade. Gravement malade. On ne compte plus les symptômes qui attestent de cette maladie qui ronge notre système politique et qui, un jour, livrera peut-être le pays à des troubles bien profonds. De l’abstention galopante à l’impuissance (feinte ou réelle) des élus à faire face aux maux qui frappent notre société en passant par la désertion des partis politiques, nombreux sont les indicateurs qui viennent souligner la profonde crise démocratique que traverse notre pays. 2017 sera une année importante en termes électoraux puisqu’elle verra se tenir la présidentielle puis les législatives. Un nombre conséquent de candidats nous promettent une révolution s’ils sont élus. Si pour certains cela peut paraître relativement crédible (Mélenchon par exemple) pour d’autres, en revanche, la révolution promise a de grandes chances de n’être qu’un tour sur soi pour revenir au point de départ ou, pire, accentuer la crise déjà présente. Lorsque François Fillon affirme qu’il veut gouverner par ordonnances, il ne fait que s’inscrire dans la lignée de la Vème République qui veut que le président-monarque dispose de tous les pouvoirs ou presque. Il est assez dramatique de voir à quel point le monde politicien semble être sourd aux appels de la population à une meilleure démocratie et il est assez navrant – pour ne pas dire plus – de voir les acteurs de ce monde verrouiller un système dont beaucoup de Français ne veulent plus.

Face à ce constat ahurissant que convient-il de dire ou de faire ? Revenir à la définition première du mot crise me semble être un préalable pertinent. Etymologiquement, le terme crise signifiait deux choses à la fois : en latin il renvoie à une « manifestation grave d’une maladie » tandis qu’en grec il se rapporte au choix. En ce sens, il est pleinement pertinent de parler aujourd’hui de crise démocratique dans la mesure où notre démocratie souffre d’une maladie qui me semble grave tant la défiance monte telle une marée et que nous nous retrouvons à la croisée des chemins, au moment d’un choix décisif pour notre avenir. « La crise, écrivait Antonio Gramsci, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». En d’autres termes, la crise est ce moment de transition entre le crépuscule d’un monde et l’aube d’un autre. Nous voilà jetés dans un tel moment. Quoi de plus logique pour aller dans le sens d’une démocratie plus proche des citoyens que de passer par l’échelon des villes ? L’Espagne en a fait l’expérience et, bien que des limites certaines se fassent sentir, il y a des réussites tangibles et concrètes. Il ne s’agit évidemment pas de copier bêtement ce qui a pu se faire en Espagne mais plutôt de s’inspirer de cela tout en adaptant la logique aux spécificités françaises – un jacobinisme exacerbé notamment. A l’heure où l’équivalent du sorpaso – comprendre le dépassement de la social-démocratie par une gauche radicale au sens premier du terme – a de très fortes chances de se produire dans quelques mois, je crois qu’une fenêtre de tir historique s’est ouverte afin de réinventer le municipalisme français pour mieux faire évoluer notre système exténué et à bout de souffle. Et si finalement la date la plus importante n’était pas 2017 mais 2020 ? C’est la modeste ambition de ce dossier que d’exposer le pourquoi et le comment d’une telle conviction.

 

La caste honnie

 

C’est l’histoire d’un divorce avec fracas, d’une faille qui n’a eu de cesse de tirailler le pays, d’une fracture qui s’agrandit à chaque élection. Cette histoire c’est celle de la défiance de la population à l’égard de la caste politicienne. Il y a quelques semaines, Jérôme Cahuzac était condamné à trois ans de prison ferme en première instance – il a fait appel depuis. Peu de temps après, Christine Lagarde comparaissait devant la Cour de Justice de la République pour l’arrangement LCL/Bernard Tapie. La directrice du FMI a été jugée coupable mais dispensée de peine. Deux exemples parmi d’autres qui viennent souligner le niveau de défiance présent dans le pays à l’encontre d’une classe politicienne qui semble totalement déconnectée de la réalité et de la vie quotidienne des Français. Evidemment la situation qui est celle que nous vivons aujourd’hui n’est pas le fruit du hasard mais découle de nombreuses années d’éloignement entre les deux pôles que sont les politiciens et les citoyens. Dès 2002, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle présageait de ce divorce à la fois inéluctable et violent. Inéluctable car les irresponsables responsables politiques ont beau jeu de dire à chaque élection qu’ils ont « entendu le message des Français » et que « plus rien ne sera jamais comme avant ». La réalité c’est qu’une fois les soirées électorales passées – parfois même au beau milieu de celles-ci – la politique à la papa revient et le même jeu de dupe où chacun porte un masque reprend. La farce se répète inlassablement et les dindons ne sont pas à chercher du côté de l’Assemblée nationale ou du Sénat mais bien parmi ceux que nous croisons tous les jours.

Finalement, ce divorce était nécessaire au sens philosophique du terme – comprenez qui ne pouvait pas ne pas être ou être autrement. C’est en effet le système représentatif qui porte en lui-même les germes de cette trahison des élus vis-à-vis de leurs électeurs. Une rapide mise en perspective historique permet en effet de montrer que le système représentatif n’a que deux siècles et que loin d’être démocratique il a été la ruse ultime pour les tenants du maintien d’une forme d’oligarchie après la Révolution. L’abbé Sieyes lui-même se méfiait de la démocratie et a plaidé pour la mise en place du système représentatif, le mieux capable d’infantiliser le peuple afin de l’anesthésier. La grande prouesse de ce système de gouvernement est de s’être imposé dans l’inconscient collectif comme la seule démocratie valable alors même qu’il la neutralise. Nombreux sont en effet les penseurs à considérer que nous vivons bien plus dans un système oligarchique – où une infime minorité se partage les pouvoirs à la fois politiques et économiques – que dans un système démocratique. Nous ne vivons pas, en effet, dans un système régi par et pour le peuple et en ce sens, il est tout à fait normal que la caste politicienne se retrouve honnie puisqu’elle défend bien plus ses intérêts propres que les intérêts de ceux qui la portent au pouvoir ou l’intérêt général. C’est finalement ce que Michel Serres, Jacques Rancière ou encore plus profondément Pierre Ronsanvallon dans Le Parlement des invisibles expliquent depuis des années. La défiance à l’égard de cette caste provient éminemment du fait que nous ne vivons pas dans une « démocratie continue » ainsi que l’appelle de ses vœux le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Il est d’ailleurs assez drôle de constater que tous les candidats ou presque à l’élection présidentielle tentent de jouer sur cette défiance en s’autoproclamant candidats antisystème, preuve en est qu’il faut bien changer le système dans sa globalité et pas seulement les personnes.

 

Un peuple d’oubliés

 

Le pendant direct de cette caste honnie ou plutôt la raison d’être de cette défiance démesurée à l’égard d’un système qui ne représente plus que lui-même, c’est ce peuple d’oubliés qui souffre chaque jour non seulement des conditions qui sont les siennes mais également du mépris et de la morgue auxquels il doit faire face. « Ils ne nous représentent pas » scandaient avec force les Indignés espagnol sur la Puerta del Sol de Madrid et partout dans la péninsule. Et c’est précisément à ce point que nous sommes arrivés aussi en France. La caste politicienne ne représente plus personne sinon elle-même et ses affidés. La dernière bouffonnerie dans la vie politique française reste sans conteste l’émergence d’Emmanuel Macron le candidat antisystème qui a été conseiller économique du Président puis Ministre de l’Economie. Dans son sillage, même s’il faut faire attention à ne pas trop simplifier, il entraîne en grande majorité les gagnants de la mondialisation, ceux qui ont tout intérêt à ce que le système politico-économique tel qu’il existe aujourd’hui perdure voire s’accentue. En regard de ceux qu’on appelle les insiders de l’autre côté de l’Atlantique se trouve une autre partie de la population, bien plus nombreuse et ultra-majoritaire, celle des outsiders, ceux qui sont les perdants de la mondialisation et qui ont notamment fourni le gros de l’électorat de Trump il y a quelques semaines.

Un récent rapport (qui porte sur l’année 2015) a montré que la pauvreté avait encore augmenté dans notre pays, la dernière enquête PISA a souligné que la France était encore bonnet d’âne en termes d’inégalités scolaires. C’est bien simple, notre pays est celui où la classe sociale conditionne le plus la réussite scolaire. En somme, dis-moi ce que ton père fait et je te dirai ce que tu feras plus tard. Les candidats ont beau jeu de s’appuyer sur cette majorité silencieuse telle qu’ils l’appellent sans jamais adopter la moindre mesure qui va dans le sens de ces personnes mais la réalité c’est bien qu’une grande partie du peuple français est à la fois oubliée et méprisée par la caste politicienne en place. Parler de majorité silencieuse est d’ailleurs potentiellement porteur de confusion. Ce peuple d’oubliés n’est en effet pas une masse uniforme mais bien plus un groupe hétérogène et protéiforme relié par le simple fait d’être oubliés par ceux qui mènent la politique de notre pays. Quel point commun en effet entre les habitants des quartiers populaires laissés à l’abandon et frappés de plein fouet par la discrimination et la population rurale qui se sent complètement abandonnée ? Aucun sinon le fait d’être oublié par ceux qui façonnent la politique du pays. Tout le défi – et il est immense ne nous en cachons pas – est de faire prendre conscience à ces populations que leurs intérêts sont liés et qu’elles sont toutes victimes d’une certaine manière d’appréhender la politique dans notre pays et d’un système économique qui les relèguent au deuxième voire troisième plan. C’est bien pour cela que l’échelon local me semble particulièrement pertinent afin de pouvoir créer des convergences d’abord dans des territoires homogènes puis à plus grande échelle mais nous y reviendrons dans les deux dernières parties de ce dossier. A ce stade, ce qu’il faut retenir c’est finalement une forme de dichotomie qui semble voir le jour entre d’une part une caste politicienne complètement déconnectée et un peuple d’oubliés qui souffrent chaque jour un peu plus. Nous le voyons donc, pour reprendre un autre slogan des Indignés espagnols, ce n’est pas une crise c’est le système.

 

Une dépolitisation, quelle dépolitisation ?

 

Cette défiance croissante face à la caste politicienne entraîne des commentaires risibles de la part des grands médias. Nous ne passons pas une semaine sans entendre que les Français sont dépolitisés, qu’ils ne croient pas en la politique ou qu’ils sont totalement indifférents aux grandes questions qui parcourent notre époque. Je crois au contraire qu’une telle analyse est à la fois partielle et partiale. Les Français ne sont pas dépolitisés. Certes ils se détournent du système politicien ainsi que le montre l’abstention galopante mais la politique et la démocratie se résument-elles simplement aux élections ? On touche ici l’un des grands vices de notre système représentatif qui considère que la politique ne réside que dans le choix de représentants. En somme il s’agit d’aller voter une fois tous les cinq ou six ans puis de ne plus rien faire durant le mandat. Dès lors il est aisé de comprendre pourquoi beaucoup considèrent que les Français sont dépolitisés. Toutefois, la dépolitisation mène à l’infantilisation puisqu’en affirmant que les Français sont dépolitisés, les médias et les politiciens nous expliquent en creux qu’on peut décider pour eux puisqu’après tout ils n’en auraient pas grand-chose à faire. La réalité c’est que nous sommes prisonniers d’institutions pensées au XXème siècle et qui reposait sur un mode de communication et d’information bien plus vieux alors que nous vivons à l’ère d’Internet et des flux d’informations.

La notion de politique a finalement été préemptée par les politiciens et les partis politiques alors même qu’elle est la propriété de chacun. Qu’est la politique sinon le fait de s’occuper de la vie de la Cité ? En ce sens, chacun d’entre nous fait de la politique au quotidien, parfois même sans s’en rendre compte. On ne compte plus le nombre de Français engagés dans des associations ni ceux qui sont venus en aide aux migrants et qui pallient les failles d’un Etat qui ne veut plus remplir les rôles qui sont les siens. Qu’est-ce donc que toutes ces actions sinon de la politique, la politique dans son expression la plus noble ? Il faut nous réapproprier cette notion et ne plus la laisser dans les mains de quelques spécialistes qui prétendent connaître tout sur tout et qui en réalité ne connaissent rien. Il y a en ce moment dans notre pays une formidable ébullition citoyenne. Des civics tech aux actions spontanées, des associations aux groupes de réflexion, des manifestations aux occupations d’espace public, les Français font de la politique par millions. Ils irriguent le débat intellectuel et ne se contentent plus des élections comme simple catharsis de leur démocratie. Quand le sage montre la lune l’idiot regarde le doigt dit un célèbre proverbe, il est grand temps d’expliquer aux grands médias qui ne regardent que les taux de participation aux élections ou la défiance généralisée envers une caste dont ils font partie de regarder plus en profondeur, de jeter un coup d’œil à tous ces rallumeurs d’étoiles qui agissent au quotidien pour tenter de faire revivre la démocratie dans notre pays. L’engagement de Français par millions dans des causes qui, parfois, les dépassent n’est pas un simple folklore ou un simple apparat. Il est au contraire une véritable lame de fond qui montre que nous sommes loin d’être aussi dépolitisés que ce que certains voudraient que l’on soit. C’est précisément cette politisation invisible aux yeux des grands pontes de notre société qui forme le terreau favorable pour réinventer le municipalisme français d’abord, notre système politique dans sa globalité ensuite. Plantons la graine dans ce terreau fertile, elle ne manquera pas de donner une forêt.

 

Partie I: Entre déprime et espoir

Partie II: Le terreau et la graine plantée

Partie III: Réinventer le municipalisme français

Partie IV: La longue route semée d’embûches

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