De Nuit Debout aux gilets jaunes, le fil d’Ariane de l’action directe

Voilà désormais une dizaine de jours que la France vit au rythme des gilets jaunes et de leurs actions diverses et variées. Si les incidents qui ont émaillé la journée de samedi ont retenu l’attention, c’est à un véritable mouvement de fond que nous assistons. Bien qu’Emmanuel Macron ait tenté de répondre aux revendications des gilets jaunes dans un discours qui, semble-t-il, était assez fade et creux, il est peu probable que les mots adressés par le locataire de l’Elysée affaiblissent le mouvement – un affaiblissement qui pourrait venir de l’intérieur avec l’autodésignation de représentants du mouvement. Il n’en demeure pas moins que c’est à un mouvement à la fois inédit et protéiforme que nous assistons depuis quelques semaines.

Nombreux ont été les analystes ou les personnalités politiques à tenter d’analyser ou de capter le message desdits gilets jaunes, sans réelle réussite. Il faut dire que les revendications des personnes mobilisées sont extrêmement diverses et que le seul mot d’ordre qui semble se détacher soit le désormais repris presque partout en France « Macron démission ». Cette difficulté à saisir les revendications du mouvement est sans doute inhérente à la forme même de la mobilisation, aux profils des personnes mobilisées (qui semble-t-il ne sont pas des manifestants habituels) ainsi qu’à la grande variété desdites revendications. Pourtant, il ne me parait pas absurde d’affirmer que ce qui importe le plus n’est pas tant les revendications du mouvement que ce qu’il nous révèle en entrant en résonnance avec d’autres mouvements récents dans le pays dans le sens où il s’inscrit dans la continuité de bien des mouvements sociaux très récents. Lire la suite

La bataille des villes (2/4): le terreau et la graine plantée

La FAGE ou le discret coup de tonnerre

 

Il y a quelques semaines – le 29 novembre pour être précis – la FAGE (Fédération des Associations Générales Etudiantes) est arrivée en tête des élections des CROUS devançant ainsi l’UNEF (l’Union National des Etudiants de France). C’est dans une indifférence quasi-totale que ce bouleversement a frappé le syndicalisme étudiant. L’UNEF était en effet le premier syndicat étudiant depuis des décennies et le fait qu’il ait été supplanté par la FAGE pourrait bien avoir des conséquences en dehors du simple cadre étudiant. Au-delà du caractère historique de cette victoire pour le petit monde des instances universitaires, celle-ci en dit effectivement long sur les dynamiques à l’œuvre dans notre pays et sur l’avenir de la politique française. La FAGE est un syndicat relativement jeune puisque fondé dans les années 1980 et détonne dans le paysage étudiant. Au milieu des autres syndicats très politisés dont l’UNEF est la tête de gondole, celle-ci pratique un apolitisme qui tranche. Si la FAGE est surtout connue pour les soirées arrosées qu’elle organise un peu partout en France, c’est un autre élément qui lui a valu la victoire : le fait d’être dans l’action contrairement à nombre de syndicats étudiants qui se contentent de servir de relais à des partis, à commencer par l’UNEF. En ce sens, la victoire récente de la FAGE est la récompense d’une forme de pragmatisme et de l’action de terrain. En parallèle, le syndicat se garde bien de prendre position sur les grandes questions politiques et sociales – leur neutralité lors du conflit autour de la Loi travail est là pour en témoigner. Lire la suite

Pour une République sociale (1/4): le constat d’un échec patent

Sans surprise, la motion de censure déposée par la droite et le centre n’a pas fait tomber le gouvernement de Manuel Valls. La loi travail est donc adoptée en première lecture et commence sa navette parlementaire vers le Sénat. Nulle surprise dans ce résultat puisque les soi-disant frondeurs ont fait preuve d’une lâcheté qu’on leur connaissait déjà. Ils ont évidemment beau jeu de venir expliquer la bouche en cœur qu’ils ne voulaient pas voter avec la droite tandis que la droite explique l’inverse. Aussi voit-on clairement apparaitre que personne ne souhaitait réellement la chute de ce gouvernement et que dans ce bal des Tartuffe qui a eu lieu la semaine dernière à l’Assemblée, les cocus dans l’histoire restent les électeurs de François Hollande et des députés socialistes qui avaient tous été élus sur un programme radicalement différent que ce que met en place cette loi. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur l’utilisation du 49-3 et d’affirmer qu’il constituait pour moi un hideux chant du cygne de toute la classe politique française et l’apocalypse, la révélation, s’il le fallait d’un système politique complètement à bout de souffle. Que s’agit-il de faire désormais ? De continuer à contester cette loi ? Sans doute. De se borner à la seule contestation ? Certainement pas. Comme l’a noté très intelligemment Yves-Charles Grandjeat dans L’Autorité en question, paru en 2005, se contenter de contester l’autorité revient paradoxalement à la renforcer.

En ne nous définissant que par rapport à elle, nous ne faisons finalement que légitimer un cadre tacite, celui de sa domination. Si nous voulons que l’ébullition que connaît le pays débouche sur autre chose que sur un énième revers – plus cuisant que les précédents car l’exaspération et l’espoir d’un changement sont aujourd’hui plus grands – il nous faut nous concentrer sur la construction d’une alternative. A quoi cela revient-il ? A refuser le cadre imposé depuis tant d’année. Non nous ne voulons plus nous contenter de contester, de critiquer, de revendiquer. Nous voulons au contraire construire en dehors de leur cadre afin de changer profondément et durablement les choses. Alors oui, ce projet est ambitieux et ne peut prendre forme que sur le temps long. Il nous faudra nous réconcilier avec la logique de long terme et avec la complexité. « A force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, nous avons oublié l’urgence de l’essentiel » disait Edgar Morin. Voilà cette urgence qui nous rattrape et qui nous somme de composer avec elle, de l’intégrer dans nos schémas de pensée et d’en faire notre plus grand appui pour passer de cette République qui n’a plus de République que le nom à une République sociale digne de ce nom qui se préoccupe de l’humain plutôt que des statistiques, qui assure la liberté et l’égalité en les faisant marcher ensemble plutôt qu’en les opposant et qui prend en compte la question de l’environnement avant celle des profits. Lire la suite

Nuit Debout ou la difficile convergence

Samedi prochain, la Nuit Debout fêtera son premier mois d’existence. Pour l’occasion – et pour la fête du travail – le lendemain un grand rassemblement est prévu à Paris. Sont attendus les participants de toutes les Nuits Debout de France. Malgré les critiques parfois acerbes des politiques, malgré l’épisode Finkielkraut et malgré les nombreux appels des éditorialistes à mettre fin à « la farce », le mouvement se maintient et s’est même étendu géographiquement un peu partout en France. Cette relative réussite et longévité est à souligner dans un pays qui n’est plus habitué à ce genre de mouvement social. Peu importe sur quoi débouchera le mouvement, le simple fait que des Français se réunissent un peu partout pour débattre, discuter et échanger est signifiant en lui-même.

Toutefois, peut-on pour autant dire que Nuit Debout est une franche réussite ? Il ne me semble pas, du moins pas pour le moment. Les frictions qui sont apparues récemment à l’occasion du débat sur la suite à donner au mouvement ont souligné cet état de fait. François Ruffin, dans un discours, avait regretté la relative homogénéité de l’assemblée et avait exhorté à sortir de l’entre soi pour donner un souffle nouveau au mouvement. Force est aujourd’hui de constater que le mouvement peine à s’élargir. S’il a su se répandre géographiquement, le mouvement peine à s’étendre à d’autres catégories sociales. Les quartiers et banlieues populaires tout comme la France périphérique manquent cruellement à l’appel, ce qui marque d’une manière ou d’une autre une forme d’échec du mouvement. L’échec à l’égard des quartiers populaires est criant. Lire la suite

Stalingrad, symbole de la déchéance

La dernière saillie de Manuel Valls, celle qui affirme la prééminence de la question identitaire sur la question sociale, a une cible toute désignée : les salafistes. Evidemment dans la bouche d’un Premier ministre aussi hypocrite que belliqueux le terme est ambivalent. Lorsque l’on entend ses propos à l’égard des femmes voilées faut-il comprendre qu’elles seraient toutes plus ou moins salafistes ? Mais, par extension et tel un coup de billard à plusieurs bandes, sa sortie médiatique – qui acte l’arrivée d’une certaine extrême-droite au pouvoir soit dit en passant – vise les migrants et réfugiés. Dans la droite ligne de son infâme discours de Munich, voilà le Premier ministre qui jette la suspicion sur tous les réfugiés.

Ecrire sur le sujet des réfugiés c’est bien mais tenter d’agir avec ses modestes moyens c’est mieux. C’est pourquoi hier, alors que j’étais sur la place de la République et qu’un appel a été fait pour aller aider certains réfugiés à construire leur campement de fortune sous le métro de Stalingrad, j’ai décidé d’aller avec bien d’autres participer modestement à cette tâche. De République à Stalingrad il faut passer par Jaurès. Le symbole est fort entre la Res Publica, le bien commun, l’unificateur du socialisme français farouchement hostile à la colonisation et la place qui porte le nom d’une des premières grosses défaites des forces de l’Axe. Et pourtant, à Stalingrad, la défaite c’est notre pays qui la subit de plein fouet en laissant ces personnes dans la rue, en envoyant ses CRS pour les gazer et les matraquer. Est-ce donc ça l’égalité et la fraternité ? Lire la suite

La Nuit Debout n’est qu’un début

« Aujourd’hui nous changeons les règles du jeu ». Peut-être que d’ici trois mois cette phrase sera oubliée par tout le monde et reléguée aux oubliettes. Il se pourrait aussi que dans cent ans les manuels d’histoire parlent de cette phrase comme de la première pierre de l’édifice insurrectionnel qui semble se mettre en place en France actuellement. Cette phrase a été prononcée par Frédéric Lordon ce jeudi 31 mars lors de son discours introductif à la Nuit Debout sur la place de la République. Ce rassemblement ayant pour but de faire converger les différentes luttes qui traversent la société s’inspirait sans s’en cacher du mouvement des Indignés espagnols ainsi que l’a montré le slogan « El pueblo unido jamás serà vencido » – le peuple uni ne sera jamais vaincu en version française – entonné à de nombreuses reprises dans la soirée.

Cette soirée, placée sous le signe de la fête et de la lutte, n’est que le début du mouvement pour ses instigateurs – l’autorisation de la préfecture s’étend, en effet, sur trois jours. Pour paraphraser Churchill, la mobilisation contre la loi El Khomri n’est pas la fin, ni même le début de la fin, tout au plus est-elle peut-être la fin du début. Personnellement, j’y vois simplement le commencement d’un mouvement, d’un rassemblement plus vu en France depuis de nombreuses années voire décennies, à savoir l’unification de toutes les luttes : des salariés précarisés aux étudiants angoissés, des chômeurs embourbés dans la fange de la pauvreté aux retraités qui peinent à survivre, tous les opprimés de notre peuple commencent à s’unifier, pour le plus grand malheur et la plus grande hantise du pouvoir. Et quel symbole plus puissant que cette place de la République, cette Res Publica, ce bien commun pour commencer la lutte ? Lire la suite