Les théories du complot en quelques lignes

Bâteaux de pêche hollandais dans la tempête – J.M.W Turner

À la faveur de la crise sanitaire liée au Covid-19, de nombreuses théories du complot ont vu le jour. En France notamment, où le surgissement médiatique de Didier Raoult couplé à l’état avancé de décomposition de la crédibilité du pouvoir en place a joué à plein régime, nous avons pu voir ci et là des théories alambiquées se répandre. S’il ne s’agit pas ici de centrer l’analyse sur le nouveau coronavirus, la séquence que nous vivons depuis plusieurs mois est propice à l’étude de ce phénomène. Bien évidemment, l’existence de théories complotistes n’est pas née avec la crise sanitaire et de telles théories sont présentes depuis longtemps. Toutefois, la montée en puissance des réseaux sociaux et, surtout, la perte quasi-totale de crédit des gouvernements partout sur la planète ont participé à un accroissement de celles-ci.

Avant d’aller plus loin dans le développement, il importe, me semble-t-il, de définir ce que l’on entend par complot. Si l’on s’en tient aux deux définitions données par le CNRTL, les complots ont en commun d’être secrètement élaborés entre plusieurs personnes, ce qui laisse une interprétation assez large. Il y a quelques mois, un Manière de voir était consacré aux complots et au sein du magazine se logeait une phrase très pertinente. Elle expliquait qu’en matière de complots, il y a deux écueils : celui d’en voir partout et celui d’en voir nulle part. La profusion des théories du complot depuis quelques années est bien plus un symptôme de l’état de décomposition politique qu’autre chose à mes yeux. Si rien n’est fait pour déconstruire cette dynamique, elle pourrait s’avérer à la fois dangereuse et nous écarter de la seule lutte qui vaille, celle contre les superstructures qui régissent la société.

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C’était Mababa, le papet marseillais

En ce jour habituellement dévolu aux canulars en tous genres et autres facéties, il est quasi-certain que très peu (pour ne pas dire aucun) des suiveurs de l’OM voire même des Marseillais de naissance, d’adoption ou à distance auront le cœur à faire des blagues, alors même que la Cité phocéenne est d’habitude plutôt joviale. Depuis quelques jours Marseille était devenue l’un des centres d’attention à propos de l’épidémie de Covid-19 avec le surgissement médiatique de Didier Raoult et du débat à propos de l’hydroxychloroquine. Tout le monde ou presque à Marseille a émis un avis sur cette question alors même que, reconnaissons-le, personne ou presque ne connait rien sur le sujet. Voilà ma ville de nouveau sous les feux des projecteurs pour des raisons bien plus tristes cette fois-ci.

Hier, tard dans la soirée, un véritable séisme symbolique a frappé Marseille, un coup de tonnerre aussi puissant qu’était la voix de Mababa Diouf lorsqu’il tonnait en interview, jouant avec les mots et les expressions de la langue de Molière comme peu d’acteurs du monde du foot. En apprenant la mort de l’ancien président de l’OM, les hommages ont été unanimes ou presque sur les réseaux sociaux et les divers médias, preuve de la valeur de celui qui a présidé aux destinées du club pendant quatre années et demie. Plus tôt dans l’après-midi nous apprenions que Pape était dans un état critique, hospitalisé à Dakar. Ce départ foudroyant met Marseille en deuil et une grande partie du football français en émoi tant Monsieur Pape Diouf était reconnu et respecté par tous ou presque. Si son vrai prénom était Mababa, il était connu sous le nom de Pape, sans doute pas un hasard dans une ville où l’on prononçait celui-ci souvent avec un accent sur le e final et où le mot Papet fait référence à un grand-père ou un vieil homme que l’on traite avec respect et déférence.

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La ZAD en quelques lignes

Il y a quelques jours, alors que la crise du coronavirus débutait, le gouvernement a annoncé qu’il reportait à une date ultérieure la privatisation d’Aéroports de Paris. Expliquant que les marchés financiers étaient au plus bas et que ce n’était donc pas le bon moment pour vendre – ce qui est d’une logique implacable – la caste au pouvoir s’est bien gardée de parler du nombre de signatures soutenant le référendum d’initiative populaire. Si celles-ci n’ont pas atteint les 10% du corps électoral nécessaire, plus d’un million de signatures ont été enregistrées sur la plateforme (et ce, en dépit de tous les freins mis en place par le pouvoir), ce qui est la barre dont Emmanuel Macron avait parlée durant le grand débat.

Nous verrons donc si la privatisation a bien lieu plus tard mais il y a fort à parier qu’il s’agirait là d’une grosse épine dans le pied du pouvoir. Finalement, les questions aéroportuaires pourraient bien être celles où le monarque présidentiel et sa cour auront le plus reculé à la fin du quinquennat. Il est effectivement important de se rappeler que les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ont obtenu une victoire relative en forçant la suppression du projet d’aéroport (relative parce que la ZAD a ensuite été expulsée avec force et fracas). Il s’agit toutefois d’un phénomène qui est très intéressant, de voir comment une mobilisation citoyenne et locale a permis le retrait d’un grand projet d’infrastructures. Si la ZAD en question est la plus connue de France, elle est loin d’être la seule et c’est bien la logique même de ZAD qui me parait intéressante à étudier tant dans ce qu’elle dit de la lutte que pour les horizons qu’elle semble ouvrir.

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Après le 10 novembre, éviter l’impasse

Il se pourrait bien que lorsque l’on se penchera sur les années 2010-2020 avec un peu de recul, le 10 novembre 2019 fasse figure de point de bascule. Dimanche dernier, une marche importante sinon massive a effectivement eu lieu dans Paris à l’appel d’un certain nombre de personnes après une tribune publiée dans Libération. Malgré, nous y reviendrons, la diabolisation effrénée qui a précédé la manifestation, malgré les divisions à gauche à son propos, malgré le fait qu’il s’agissait d’une première édition, l’on peut parler d’une réussite. Ceci est sans doute le signe de l’atteinte d’une forme de seuil, du type dont parle Frédéric Lordon dans Les Affects de la politique, ces franchissements qui précipitent des changements importants.

L’atmosphère hystérique du pays à l’égard de l’islam et des musulmans s’est en effet accentuée depuis quelques semaines, du discours d’Eric Zemmour appelant à la guerre civile à mots à peines voilés à l’interview d’Emmanuel Macron à Valeurs Actuelles en passant par l’appel à une société de surveillance ou l’humiliation devant son fils d’une mère portant le voile accompagnatrice d’une sortie scolaire sans parler des tirs essuyés par une mosquée à Bayonne. Faut-il pour autant se contenter de la marche de dimanche ? Je ne le crois pas, je suis au contraire de ceux qui considèrent que celle-ci, pour paraphraser Churchill, n’est ni la fin ni même le début de la fin, tout juste est-ce peut-être la fin du début, et encore. Il s’agit donc d’accentuer le mouvement en l’élargissant et en permettant ainsi une réponse globale à l’attaque menée par la caste néolibérale au pouvoir depuis des décennies dans ce pays et qui n’a de cesse d’agiter le chiffon musulman pour faire passer sa casse sociale.

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Vers la fin du capitalisme ?

Il y a deux ans, au moment de la campagne pour l’élection présidentielle, Benoît Hamon a décidé d’axer l’ensemble de sa campagne ou presque sur le bouleversement que représentent selon lui la robotisation et la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Ledit bouleversement est tout à la fois sociétal et économique, en cela qu’il représente, à n’en pas douter, l’un des défis les plus complexes qu’a eu à affronter la civilisation humaine depuis longtemps. Raillé pour sa proposition d’instauration d’une taxe robot, vilipendé tant à sa gauche qu’à sa droite lorsqu’il a évoqué l’instauration d’un revenu universel d’activité (il y aurait des milliers de lignes à écrire sur ce seul sujet), le candidat socialiste à l’élection présidentielle n’a guère été pris au sérieux sur ce sujet et son score famélique à l’issue du premier tour a justifié, selon certains, le fait de ranger au placard les problématiques qu’il avait évoquées.

Si je suis loin d’être en phase avec le positionnement politique global de Benoît Hamon, il me parait plus qu’intéressant de se plonger dans la grille de lecture qu’il a proposée par rapport à ces questions de robotisation et d’intelligence artificielle dans la mesure où elles me semblent être primordiales pour penser le futur et notamment le remodelage du système économique en place depuis des siècles, le capitalisme. Bien que relativement peu ambitieuses, les mesures proposées par le désormais président de Générations fournissent un point de départ intéressant pour réfléchir aux implications à venir de ce qu’il faut bien placer sous le vocable de révolution. Plus précisément, il me parait évident que le capitalisme est voué à disparaitre sous les coups de boutoir de cette révolution puisque celle-ci met à mal l’un de ses fondements, la dissociation entre la propriété du capital et du travail.

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Christchurch ou le miroir tendu

Il y a une semaine, la Nouvelle-Zélande connaissait l’horreur d’un attentat terroriste sur son territoire. Peu après 13h30, heure locale, les mosquées Masjid al-Noor et Linwoord de Christchurch sont la cible d’un attentat d’extrême-droite prenant pour cible des croyants musulmans alors en pleine prière du vendredi. Le fait que Brenton Tarrant, le terroriste australien d’extrême-droite, filme et diffuse en direct le massacre – la vidéo n’a été que très peu vue en direct mais a fait l’objet d’une prolifération virale sur les réseaux sociaux malgré les multiples suppressions et bannissement de compte de la part de Twitter, Facebook et consorts – joue évidemment dans l’état de sidération que cet attentat a provoqué. Cette composante ne suffit pour autant pas à expliquer les raisons qui font de cet attentat une forme de franchissement de seuil.

En massacrant 49 personnes selon le bilan annoncé par la Première ministre néo-zélandaise, le terroriste a commis la plus grande tuerie visant spécifiquement des musulmans dans un pays occidental. Se réclamant ouvertement de certaines théories nées et présentes en France dans le manifeste qu’il a rendu public en lien avec son attentat, Brenton Tarrant a indéniablement entrainé une vague de gêne chez bien des commentateurs français, nous y reviendrons. Si ladite gêne ne m’intéresse pas particulièrement, la place importante occupée dans son passage à l’acte par certaines des théories qui ont vu le jour en France en même temps que la situation particulière du pays nous oblige, me semble-t-il, à nous intéresser plus profondément à ces idées et ce climat nauséabonds qui montent en France.

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Médias, le point de non-retour

Samedi, le neuvième acte du mouvement des Gilets jaunes a marqué un fort regain de la mobilisation à en croire les observateurs – pour clarifier les choses je ne crois pas un mot des commentaires sur la mobilisation provenant des médias dits dominants mais il me semble que s’intéresser à la tendance qu’ils soulignent (hausse ou baisse) peut être pertinent – si bien que des médias comme BFM TV ont semblé être déçus de la réussite de cet acte IX (par exemple, BFM a tweeté « mobilisation en hausse, violences en baisse » un peu par dépit). Contrairement au samedi précédent, pas d’images chocs montrant des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, tout juste un blindé de la gendarmerie qui s’est embourbé dans une plaque en verre près de l’arc de triomphe.

La principale image choc de cet acte, par-delà les belles images de mobilisation un peu partout en France et particulièrement à Bourges et sur la place de la Bastille à Paris, a concerné des journalistes de LCI violemment attaqués à Rouen malgré la présence d’agents de sécurité à leur côté. Si cette image a marqué, c’est bien évidemment par sa violence extrême – n’hésitons pas à appeler les choses par leur nom et donc à y voir une tentative de lynchage mais également une aide apportée par des Gilets jaunes aux personnes attaquées – mais aussi parce qu’elle a agi comme une forme de révélateur de la défiance extrême qui frappe les journalistes et les médias (dans un amalgame que j’essayerai de déconstruire quelque peu), défiance dont le mouvement des Gilets jaunes semble être un catalyseur tant le mépris mutuel entre les deux groupes semble enraciné.

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De quoi les arrêtés anti-mendicité sont-ils le symptôme ?

Alors que l’exécutif a présenté son plan anti-pauvreté la semaine dernière après l’avoir reporté à de multiples reprises, dans une forme de message implicite affirmant que la pauvreté était le cadet des soucis de la caste au pouvoir qui préfère s’empresser de supprimer l’ISF ou d’instaurer un impôt forfaitaire pour mieux faire des cadeaux aux plus fortunés de ce pays, la ville de Besançon a fait la une de l’actualité cet été en raison de la publication d’un arrêté anti-mendicité par la mairie. Il faut dire que le symbole est à la fois puissant et désespérant quand la ville de Victor Hugo, auteur des Misérables et sans doute plus grand écrivain français ayant traité de la vie des petites gens avec Emile Zola, décide de chasser les sans-abris de ses rues comme si faire la manche était un délit.

Cette culpabilisation des personnes sans-abris ne fait finalement que s’inscrire dans la logique qui gouverne ce pays, celle qui se cache derrière le mythe de la responsabilisation qui explique aux dominés que s’ils le sont c’est qu’ils l’ont bien cherché – après tout peut-être suffirait-il aux sans-abris de traverser la rue pour trouver un toit tout comme il suffit aux chômeurs de passer sur le trottoir d’en face pour trouver un emploi. Il va sans dire que ces odieux arrêtés anti-mendicité présentant la misère comme un délit ne sont pas nouveaux. Il faut, me semble-t-il, toutefois convenir que leur prolifération n’est pas anodine et que celle-ci nous dit bien des choses sur la société dans laquelle nous vivons. Lire la suite

Arnaud Beltrame, Mireille Knoll et les forces du manichéisme

Il y a quelques semaines, notre pays a été endeuillé par l’attentat de Trèbes et le meurtre de Mireille Knoll à Paris. Cette semaine sanglante a été symbolisée par le visage de deux victimes pour des raisons différentes. Mireille Knoll tout d’abord, cette vieille femme juive, a provoqué l’émotion d’une immense majorité des Français tant son meurtre ou son assassinat – la justice aura la charge de le définir – a marqué par sa violence et ses circonstances (le fait que le meurtrier/assassin présumé connaissait sa victime notamment). Arnaud Beltrame a lui marqué la France en raison de son héroïsme. En choisissant d’échanger sa vie contre celle d’une personne otage du terroriste, le colonel a, comme l’a bien exprimé Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, inversé la symbolique que voulait porter le terroriste.

Si l’émotion fut unanime, celle-ci a rapidement été chassée par des débats et mesquineries politiciennes. Le rassemblement qu’aurait pu appeler de tels événements a prestement été remisé au placard en raison des paroles, des actes et des décisions de toute une galaxie de personnes n’hésitant pas, tels des charognards, à faire leur beurre sur le dos de dépouilles encore chaude. Il est assez dramatique de constater que les mois passent, que les évènements se reproduisent et que certains continuent à mener cette politique de la terre brûlée qui n’a aucun respect pour les victimes et ne vise qu’à diviser pour mieux faire avancer ses vues politiciennes de bas étage. Lire la suite

De quoi la classe moyenne est-elle le nom ?

Il y a quelques semaines, le salaire moyen des Français a été révélé. S’élevant à 2250€ nets mensuels, celui-ci a prestement été utilisé par tout une catégorie de personnes pour appuyer l’argument selon lequel tout allait bien dans le meilleur des mondes possibles en France, dans un exercice que le Pangloss de Voltaire n’aurait sans doute pas renié. En dépit des fragilités inhérentes à cet indicateur, ces personnes n’ont pas hésité à claironner que ce résultat était la preuve que la classe moyenne se maintenait dans notre pays. Parce que, pour paraphraser Engels et Marx, l’on pourrait dire qu’un spectre hante l’Europe et plus particulièrement la France, celui de la disparition de la classe moyenne. Aussi est-il primordial pour les personnes au pouvoir de faire perdurer ce mythe de la classe moyenne.

Dans la Grèce Antique, le mythe – qui dérive de muthos – définissait le domaine de l’opinion fausse, de la rumeur, du discours de circonstance. En somme, le mythe est le discours non-raisonné, qui se veut être une forme de fable. Par opposition, le logos était, lui, le discours raisonné. C’est précisément le passage du muthos au logos qui a posé la pierre fondatrice des philosophes de la Grèce Antique. De la même manière, la classe moyenne a tout du mythe, de cet élément un peu fourre tout au sein duquel tout le monde se retrouve. Pourtant, les contours de ladite classe moyenne sont flous à souhait, ce qui n’est pas un hasard selon moi. La classe moyenne est assurément le meilleur instrument socialement coercitif qui a été créé par le capitalisme néolibéral pour contrôler les masses, en particulier les classes populaires. Il est temps de sortir de la caverne et de déconstruire cette fable. Lire la suite