Marseille, casino minable

Parfois il arrive que la réalité rattrape la fiction. Il semblerait qu’à Marseille nous soyons en train de vivre un tel phénomène. Dans la série éponyme de Netflix, le maire de la ville Raymond Taro, joué par Depardieu, souhaite mettre en place une marina sur l’emplacement du J4 en y plaçant notamment un casino pour « revitaliser la ville ». C’est précisément ce qu’envisage de faire Jean-Claude Gaudin lui qui souhaite transformer la Villa Méditerranée en casino qui « apportera argent et touristes » à la ville. Si la réalité rejoint la fiction, je doute fortement qu’elle la rejoigne jusqu’au bout. Dans la série, en effet, le 1er adjoint au maire joué par Magimel refuse la mise en place de la marina. On peine à imaginer sans pouffer Dominique Tian faire de même.

Alors certes, le premier édile de la ville a semblé amorcer un rétropédalage hier au micro de France Inter. Il a expliqué que le casino ne se ferait pas forcément en lieu et place de la Villa Méditerranée mais qu’il restait convaincu du bien-fondé d’une telle démarche. Toutefois, dans le même temps Christian Estrosi a réaffirmé que la région avait bel et bien l’intention de se séparer de la Villa Méditerranée qui serait trop « couteuse ». Dans ce jeu de billard à plusieurs bandes, comme bien souvent dans les affaires marseillaises, le flou et l’enfumage semblent être de mise. En réalité, peu importe que le casino remplace ou pas la Villa Méditerranée, le simple fait que Monsieur Gaudin y ait pensé est signifiant en lui-même. Loin de n’être qu’une volonté isolée, celle-ci s’inscrit dans une logique présente depuis de nombreuses années et qui aboutit aujourd’hui à accroître la schizophrénie de la ville entre vitrine clinquante pour touristes et pauvreté toujours plus grande pour les habitants. Lire la suite

Discriminations, ce si pervers rapport

Au cours des dernières semaines, le sujet des discriminations s’est immiscé dans l’actualité avec une intensité rare. Pas moins de deux rapports et d’une intervention du défenseur des droits sont, en effet, venus agrémenter les sujets d’informations. C’est d’abord le défenseur des droits qui s’est alarmé de la persistance des discriminations présentes dans la société française. Son étude a démontré que les personnes de couleurs noires sont très souvent ramenées à leur couleur de peau quand les personnes arabes sont, elles, réduites à leur religion (musulmane) réelle ou supposée. C’est ensuite un rapport de la Cnesco (le Conseil national d’évaluation du système scolaire) qui a publié un rapport issu d’une étude longue de plusieurs années et qui démontre que l’école accentue « les inégalités sociales et de migrations ».

Toutefois, le rapport qui a le plus fait parler – bien que le sujet des discriminations n’a pas non plus été au cœur de l’actualité, n’en demandez pas trop – est sans conteste le rapport publié par France Stratégie et qui démontre que les discriminations représentent un manque à gagner pour l’économie du pays (les discriminations représenteraient un coût compris entre 3 et 14% du PIB). Si ce rapport a été accueilli de manière enthousiaste par certains, par beaucoup même, il me semble que celui-ci est particulièrement pervers. Pervers est ici pris dans son sens originel à savoir une chose qui semble bénéfique mais qui se révèle maligne sur le moyen ou le long terme. Alors oui, un tel rapport peut peut-être faire changer les choses mais pour des fins qui ne sont pas nobles. Lire la suite

Jérôme Kerviel, Icare des temps modernes

Vendredi dernier, la justice a enfin reconnu la responsabilité de la Société Générale dans la fameuse affaire Kerviel. En ramenant l’amende de l’ancien trader de 4,9 Milliards (montant des pertes imputées à Jérôme Kerviel par la Société Générale)  à 1 Million d’euros, le tribunal a fini par souligner que l’ancien trader était loin d’être le seul responsable des pertes colossales subies par la banque. Depuis huit ans et le déclenchement de cette affaire, les principaux protagonistes – à savoir la Société Générale d’un côté et Jérôme Kerviel de l’autre – n’ont eu de cesse de se rejeter la faute dans une espèce de ping-pong un peu malsain. La technique est rôdée et bien connue, il s’agit de noircir l’autre pour mieux se blanchir soi-même.

Depuis 2008, en effet, nous avons vu se succéder les arguments de l’un et des autres, arguments qui affirmaient successivement que la banque ne savait rien ou au contraire que Kerviel agissait avec l’accord au moins tacite de ses supérieurs hiérarchiques. A l’heure où la finance spéculative et le trading de haute fréquence a mis à genoux la Grèce, l’a dépecée et continue de le faire au quotidien – éprouvant chaque jour un peu plus un peuple qui reste digne dans cette épreuve abominable – il ne me paraît pas insensé de rapprocher le parcours de Jérôme Kerviel à un épisode de la mythologie grecque, celui d’Icare. Finalement, n’est-ce pas précisément cela le postmodernisme ? Détruire une partie du passé (ici Athènes et la Grèce Antique) en utilisant contre elle ses propres références. Lire la suite

La directive des travailleurs détachés, symbole des failles de l’UE

Il y a quelques jours, les 27 pays de l’Union Européenne se sont réunis – le Royaume-Uni n’était pas convié en raison du vote de juin dernier sur le Brexit – pour tenter de réenclencher la machine européenne selon l’expression consacrée. Après le discours crépusculaire sur l’état de l’union prononcé par Jean-Claude Juncker, ce sommet n’a semble-t-il abouti à rien de concret alors même que tout le monde s’accorde à dire que l’UE est au milieu de plusieurs crises qui pourraient bien finir par la mener à l’éclatement. Le Premier ministre italien a d’ailleurs fustigé un sommet qui n’a été qu’une « occasion perdue » selon ses termes.

Et pourtant, à l’issue du vote britannique de fin juin, tous les dirigeants européens ou presque s’exclamaient la bouche en cœur qu’il fallait des changements profonds pour sauver l’Union. La torpeur de l’été a, semble-t-il, chassé ces quelques velléités pour refaire place à l’air de Lampedusa poussé à l’extrême : il faut que rien ne change pour que rien ne change. L’été et la rentrée n’ont pourtant pas été avares en sujets de questionnement pour l’UE entre le refus d’Apple de payer les 13 Milliards d’euros dus à l’Irlande et polémique sur les travailleurs détachés un peu partout sur le continent. Lire la suite

Emmanuel Macron, le marcheur (en col) blanc

Emmanuel Macron a donc fini par quitter son poste de ministre de l’Economie la semaine dernière. Le voilà qui « retrouve [sa] liberté » pour continuer le « combat » selon ses propres termes. Attendu de tous, ce départ n’en fait pas moins la une de tous les médias ou presque qui ne nous parlent que de cette démission depuis le milieu de la semaine dernière. Voilà que chacun y va de son petit commentaire pour désigner l’attitude et l’action du désormais ex-ministre : déserteur, infidèle, lâche pour les uns, il serait au contraire cohérent, courageux, audacieux selon d’autres. Les éléments de langage sont rodés de part et d’autre dans ce qui ressemble à un théâtre de dupes.

Le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de ses critiques pour décrire le désormais probable futur candidat à l’élection présidentielle est tiré de l’Antiquité romaine. Nombreux sont ceux à le traiter de Brutus comme si la farce qui se joue devant nos yeux depuis des mois avait quelque chose à voir avec l’histoire romaine. Quelle personne sensée peut voir dans Emmanuel Macron l’avatar de Brutus et surtout dans François Hollande celui de César ? Toutefois, des petites phrases lancées tout au fil de sa présence à Bercy à sa démission de la semaine dernière en passant par son meeting du 12 juillet dernier à la Mutualité au cours duquel il a annoncé qu’il souhaitait mener En Marche! (son mouvement) à la victoire, Emmanuel Macron nous dit indiscutablement quelque chose de notre système politique actuel. Lire la suite

La libéralisation du marché des autocars ou le grand enfumage

Dimanche dernier, le 31 juillet, l’émission Capital a diffusé un reportage sur les autocars « nouveau moyen low cost » de partir en vacances. Ledit reportage tentait bien de rendre compte des bons côtés et des mauvais côtés de cette nouvelle pratique, notamment en montrant comment les géants du secteur (Isilines, Flixbus, Mégabus, etc.) faisaient subir une pression monumentale à tous leurs sous-traitants et les dérives que cette nouvelle tendance pouvait entrainer comme le fait que des conducteurs sans permis sont chauffeurs – conséquence de l’impossibilité légale des compagnies à contrôler le nombre de points sur les permis des chauffeurs. Toutefois – et comme pour toute production intellectuelle ou médiatique – un large biais était présent dans ce reportage.

Dans cette ode aux autocars que nous a proposé Capital, l’accent était en effet mis sur l’avantage procuré par la libéralisation du marché des autocars à savoir celui de permettre à des personnes aux revenus modestes de pouvoir se déplacer et partir en vacances ou rentrer plus régulièrement chez elles (pour les étudiants notamment). Ironie de l’histoire, dimanche était l’anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès, celui-là même qui dans son célèbre Discours à la jeunesse de 1903 que le « courage c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». En ce sens et selon moi, le reportage de Capital ne révèle qu’une vérité partielle et partiale à l’égard de la question des autocars. Lire la suite

Loi travail et masques fracassés

Mercredi, dans l’indifférence presque générale, Manuel Valls a de nouveau utilisé l’article 49 alinéa 3 de notre constitution pour faire adopter la loi Travail. Voilà donc l’épilogue – politicien tout du moins – d’une bataille engagée en mai et dans lequel l’exécutif a laissé plus que des plumes, généré plus que des rancœurs et provoqué des violences, symboliques et physiques, de part et d’autre. Comme lors de la deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale aucune motion de censure n’a été dégainée pour tenter de contrer le texte – et de faire tomber Manuel Valls et son gouvernement. En réalité, lors de cette troisième lecture la menace d’une motion de censure n’a jamais pesé sur le Premier ministre et son gouvernement.

Les débats au sein de l’hémicycle – ou les simulacres de débats plutôt – à propos de la loi El Khomri auront finalement suivi une évolution linéaire dans la baisse de la contestation, feinte ou réelle, à ce projet de loi gouvernemental. En première lecture la droite avait déposé une motion de censure et l’aile gauche du PS alliée aux communistes et écologistes avait tenté d’en déposer une, manquant opportunément le coche à deux signatures près. Même cirque lors de la deuxième lecture du côté de l’aile gauche de l’Assemblée et aucune motion de censure déposée par la droite. Et hier, aucune tentative de déposer une motion de censure même du côté gauche de l’hémicycle alors même que les opposants au texte ont publié une tribune signée par 58 députés, soit le chiffre fatidique. Dans ce théâtre, les Tartuffe ont perdu leurs masques hier. Et nous ne nous en plaindrons pas. Lire la suite

Le redémarrage de l’Histoire

Il y a presque 25 ans, en 1992 plus précisément, paraissait un ouvrage de Francis Fukuyama qu’on a longtemps considéré comme une réponse à la théorie du choc des civilisations chère à Samuel Huntington. La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, essai du politologue américain est d’ailleurs considéré comme une œuvre majeure du XXème siècle. Souvent caricaturée, la pensée de Fukuyama n’est pas une réponse au choc des civilisations et n’affirme pas, comme on l’a trop souvent écrit, que les guerres sont derrière nous. S’inspirant des thèses d’Alexandre Kojève sur la « fin de l’histoire », Fukuyama affirme que la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme.

Fukuyama est par ailleurs conscient que la chute du Mur, la dislocation du bloc de l’Est va entraîner d’importants troubles : la fin de l’Histoire ne signifie pas selon lui l’absence de conflits, mais plutôt la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale, lequel ne constituerait pas seulement l’horizon indépassable de notre temps mais se réaliserait effectivement. Pendant une vingtaine d’années, sa prophétie s’est réalisée : la course des anciennes démocraties populaires vers la démocratie et l’économie de marché ainsi que le rôle de gendarme libéral joué par le FMI ont fortement contribué à corroborer la thèse d’une fin de l’Histoire, comprenez l’avènement de la démocratie et du libéralisme sur lesquels on ne pourrait plus revenir, en somme la mondialisation heureuse défendue par Alain Minc et ses acolytes. Pourtant, les évènements récents nous montrent que l’empire n’est pas aussi total qu’on le pensait et qu’il peut même être touché en son cœur. Lire la suite

Hollande et Valls, poissons pilotes de la droite

Hier sous les coups de 15h30 nous apprenions que les frondeurs n’étaient pas parvenus à déposer une motion de censure « de gauche » pour s’opposer à l’usage du 49-3 effectué par Manuel Valls mardi. Si, comme le disait Marx, l’Histoire se répète toujours passant de la comédie à la tragédie, il semblerait qu’en France le disque soit rayé. Après le simulacre de mai dernier – au cours duquel les frondeurs ne voulaient pas voter la motion de censure « de droite » sans parvenir à déposer leur propre motion de censure – nous avons eu droit à une répétition de ce cirque grandeur nature : Manuel Valls a de nouveau recouru au 49-3 et les frondeurs n’ont à nouveau pas pu déposer leur motion de censure faute de députés suffisants.

Pour l’exécutif, en revanche, il semblerait bel et bien que la phrase de Marx s’applique puisque le comique de mai a laissé place au tragique de juillet. La surprise est en effet venu des rangs de la droite qui, par la voix de Christian Jacob, a annoncé dès mardi qu’elle ne déposerait pas de motion de censure à la suite du 49-3 dégainé par le Premier ministre. Le leader des députés Les Républicains a expliqué que son parti ne souhaitait plus participer à cette « mascarade » et avait décidé de laisser Manuel Valls « se débrouiller avec son champ de ruines ». Les masques sont donc tombés peu à peu, si tant est qu’il le fallait encore, mardi puis mercredi et les acteurs hypocrites se trouvent désormais à découvert, de part et d’autre de l’hémicycle.

Postures et impostures  

Pour bien saisir le jeu de dupes auquel se sont livrés le gouvernement (Manuel Valls en particulier), les frondeurs et l’opposition de droite il faut remonter le fil des débats sur cette fameuse Loi Travail. Dès le 10 mai, le Président de la République autorise le Premier ministre à recourir au 49-3 par crainte de ne pas avoir de majorité sur le texte soumis à l’Assemblée. S’enclenche dès lors la première partie de poker menteur entre le gouvernement, les frondeurs et Les Républicains. Motion de censure déposée à droite, tentative de motion de censure des frondeurs alliés aux écologistes et aux communistes et refus de voter la motion déposée par la droite, voilà ce qui a rythmé la première utilisation du 49-3 à propos de la Loi El Khomri.

Dans ce jeu de billard à plusieurs bandes, la sincérité n’a jamais été de mise. Entre un Premier ministre qui n’a eu de cesse de cultiver son image autoritaire durant toute la séquence politique, une opposition qui a déposé une motion de censure en priant de tous ses vœux pour qu’elle ne soit pas votée et des frondeurs qui ont feint de jouer les rebelles en sachant dès le départ que leur motion de censure n’avait aucune chance d’être déposée, personne n’a joué franc jeu et tout ce beau monde, pour des raisons purement politiciennes, a joué au théâtre avec l’argent public, comme d’habitude en somme. Une fois les postures mises à jour, il est assez aisé de comprendre le degré d’imposture de ces guignols au sens premier du terme. Finalement, les jeux du cirque ne sont pas si loin.

L’autoroute sans péage de la droite

Dernier exemple de cette stratégie de la posture, la position de Manuel Valls vis-à-vis de l’amendement proposé par Olivier Faure sur le verrouillage du taux de majoration des heures supplémentaires. Alors que les frondeurs avaient annoncé qu’ils voteraient la loi – qui serait restée mauvaise malgré cet amendement selon moi – si ledit amendement était adopté, le Premier ministre, se rêvant sans doute en Clémenceau du XXIème siècle, a rejeté d’un revers de main la proposition de compromis, expliquant qu’il s’agissait même d’une compromission. En agissant de la sorte, le pompier pyromane qui loge à Matignon espérait sans doute définitivement séparer les deux gauches « irréconciliables » selon l’expression qu’il utilise depuis un moment désormais. Malheureusement pour lui, et pour François Hollande, il n’avait sans doute pas anticipé la réaction de Les Républicains qui, pour une fois, ont plutôt joué finement le coup.

Voilà la droite qui doit remercier chaudement le Président et le Premier ministre puisqu’ils viennent non seulement de lui ouvrir un boulevard électoral en même temps qu’une autoroute sur le débat d’idées. En choisissant de laisser Valls se débrouiller avec son « champ de ruines », la droite fait le pari d’une implosion du PS avant même l’élection présidentielle de 2017. En déposant une motion de censure, il y aurait pu avoir un risque de renversement de ce gouvernement et donc un risque de crise politique majeure. En se mettant en retrait, la droite fait le choix de s’occuper de sa primaire et de laisser le PS face à lui-même dans une crise interne violente, une sorte de guerre ouverte. Le pari fait par la droite est que la primaire du PS aboutisse à une guerre de tranchées et pourquoi pas à une nuit des longs couteaux. Outre ce boulevard électoral c’est avant tout sur le champ des idées que l’exécutif a ouvert un boulevard à la droite. A entendre le gouvernement répéter que la droite revenue au pouvoir serait bien plus libérale on oublierait presque que si les candidats à la primaire proposent cela c’est avant tout parce que ce gouvernement dit de gauche leur a ouvert la voie et a pris des mesures libérales dont rêvaient les membres de Les Républicains sans oser le faire.

Finalement, nous le voyons bien, le débat sur la loi travail va sans doute laisser des traces à droite comme à gauche au vu des postures et des impostures induites par ledit débat. Dans ce cirque qu’est devenu l’Assemblée nationale, les masques sont tombés par dizaines voire par centaines au vu et au su de tout un chacun. Dans cette mascarade qui a eu lieu, pour reprendre les termes de Christian Jacob, en incluant bien évidemment la droite, il est peu probable que quiconque en sorte grandi. En regard des pitreries effectuées jour après jour par ceux qui sont censés nous représenter, il y a fort à parier qu’au soir du 22 avril 2017, l’abstention atteindra des sommets jamais atteints.

Goodbye Britain !

La catastrophe – du grec katastrophế,  le renversement – a bien eu lieu. Les Britanniques ont donc voté pour le « leave », comprenez pour un départ de l’Union Européenne. Malgré les menaces, Emmanuel Macron et Jean-Claude Juncker en tête, malgré la campagne médiatique et malgré les sondages qui annonçaient une courte mais réelle victoire du camp du « in », le peuple britannique a décidé de choisir par lui-même comme les Grecs en leur temps, nous y reviendrons. Jusque tard dans la nuit le résultat fut incertain. Les premiers sondages donnaient le « in » vainqueur avec 52% des voix et Nigel Farage reconnaissait que le camp du « in » avait de l’avance en se fondant sur les bookmakers et les traders. Les premiers bulletins dépouillés sont venus doucher l’enthousiasme des partisans d’un maintien puisque le « leave » talonnait de très près le « in »  à Newcastle, pourtant bastion des anti-Brexit.

Tout au fil de la nuit, les courbes se sont croisées pour finalement s’écarter définitivement l’une de l’autre sous les coups de 6 heures avec l’avantage certain pris par le « leave ». Au cours de cette nuit, j’ai eu l’impression de vivre un moment d’Histoire, ce genre de moments qui façonnent l’avenir et qui marquent une rupture. Oui, nous vivons – et nous allons vivre au cours des prochains mois – une période historique. Pour la première fois, l’UE recule. Jamais elle n’a été si proche du précipice et peu importe l’avenir, le statut quo au sein de l’Union ne sera plus possible. L’annonce de la tenue du référendum était l’ouverture du cadenas de la boîte de Pandore, le vote en faveur du Brexit ouvre en grand ladite boite pour faire advenir l’apocalypse, c’est-à-dire la révélation de tous les maux de cette Union qui n’en est plus vraiment une. Et quelle meilleure nation que la Grande-Bretagne pour prendre le rôle de Pandore ?

Les décors écroulés

Dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus décrit bien, sans le vouloir, le moment que nous vivons actuellement au sein de l’UE : « Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement ».

Les décors sont en train de s’écrouler de toutes parts au sein de l’Union. Les tristes oripeaux ne cachent plus rien, nous voilà entrés dans une période trouble et incertaine. Personne, aujourd’hui, ne peut dire ce qu’il adviendra de l’UE. Eclatement ? Fédéralisme ? Ni l’un ni l’autre ? Bien malin celui qui pourra prédire ce qu’il se passera. La seule certitude, et elle est de taille, c’est que plus rien ne pourra être comme avant. Effet domino ou renforcement de l’intégration, peu importe la décision qui sera prise, ce 24 juin 2016 marque une rupture sans précédent dans l’Union Européenne. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir user de propagande, parfois guerrière par l’intermédiaire de Monsieur Juncker (qui a traité de « déserteurs » les personnes favorables au Brexit comme si nous vivions une guerre), du côté de l’UE. Et voilà que le roi est nu, il n’y a qu’à voir les éditos épouvantés et les mines déconfites sur les plateaux télé pour comprendre que le ciel vient de leur tomber sur la tête. Forts de leur autorité conférée par les médias dominants, ils pensaient qu’il suffisait de répéter leur antienne pour convaincre la population idiote du bien fondé de leurs propos. Las, les voilà désarmés face à la fin de non-recevoir opposée par une majorité du peuple britannique.

Grexit versus Brexit

Il y a un an, quasiment jour pour jour, un autre référendum se tenait. C’était le fameux référendum grec sur la poursuite de l’austérité. Que n’a-t-on pas entendu à ce moment-là ? Que le peuple grec pouvait bien voter s’il le voulait mais que cela n’aurait aucun effet, qu’il ne pouvait y avoir de démocratie en dehors des traités, que l’UE ne négocierait pas et ne ferait aucune concession, que la Grèce serait expulsée de l’Union si elle votait pour le non. Les Grecs ont pourtant placé le non largement en tête au soir de leur référendum. Nous pensions qu’il s’agissait d’un séisme mais il n’en fut rien. Tsipras n’obtint rien et obtempéra à ce que lui imposaient ses « partenaires », trahissant le peuple grec au passage. Au vu de ces évènements nous pensions donc que l’UE demeurait puissante peu importe les demandes, fussent-elles les plus extravagantes.

Et pourtant, 6 mois plus tard, la Grande-Bretagne, par l’intermédiaire de David Cameron, obtenait des concessions absolument faramineuses et qui allaient à l’encontre de toute Europe sociale (possibilité de ne plus verser d’allocations aux étrangers, même des pays membres, par exemple). « Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » écrivait Jean de la Fontaine dans Les Animaux malades de la peste et nous voyons que cette logique a encore cours aujourd’hui dans l’UE. La Grèce qui ne pèse que 2% de l’économie européenne n’a pas été écoutée mais la Grande-Bretagne, première place financière de l’Union a vu toutes ses revendications acceptées par l’UE. Permettez-moi de rajouter à l’alternative puissant/misérable une autre alternative : libéral/non libéral.

L’ultime échec de François Hollande

Par ricochet, la victoire du « leave » et les concessions obtenues par Cameron avant le référendum ressurgissent sur François Hollande pour mieux souligner sa pusillanimité et ses multiples trahisons. Lui qui nous expliquait qu’on ne pouvait changer d’orientation en Europe alors qu’il avait promis une renégociation du TSCG (Traité sur la stabilité la coopération et la gouvernance) durant la campagne de 2012 voit tous ses mensonges révélés au grand jour. Finalement ce Brexit est marqué du sceau de l’ironie. C’est dans le pays de Margaret Thatcher, Madame TINA (There is no alternative) qu’une alternative – renégociation ou sortie – a vu le jour. Ironie encore quand on sait que la Grande-Bretagne devait prendre prochainement la présidence de l’UE, comme un symbole de cette Union qui n’a plus aucune logique. Plus ironique encore, la Grande-Bretagne est sans doute, avec l’Allemagne, le pays le plus en phase avec la politique libérale menée à échelle européenne et c’est pourtant elle qui met un grand coup de canif dans le projet de grand marché contre lequel nous mettait déjà en garde, en son temps, Pierre Mendès France quand il affirmait que le projet des pères fondateurs « [était] basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes».

Le Brexit rebat complètement les cartes dans les rapports de force au sein de l’Union. La montée de Podemos en Espagne et du Mouvement 5 Etoiles en Italie laisse suggérer la possibilité d’un front anti-austérité. L’année dernière déjà, François Hollande avait eu l’occasion lors de la crise grecque de se rallier à cette cause. Loin d’aider Tsipras il a plutôt été Caïn pour lui en lui infligeant le coup de grâce. Le départ de la Grande-Bretagne est une occasion sans précédent pour la France de peser de tout son poids pour réorienter l’Union vers plus de solidarité et de travail en commun, une occasion de briser les chaines de l’austérité qui mettent plus bas que terre les peuples grecs, espagnols, italiens et qui guettent les Français. Ce vote britannique dément vigoureusement la pensée d’Alain Finkielkraut qui, dans L’Identité malheureuse, explique que « le changement c’est ce qui nous arrive », comprenez une démission et un fatalisme triomphant. Il est encore possible de faire des choix, il faut simplement en avoir le courage.

Finalement, nous vivons une crisis au sens grec du terme, un moment où le choix nous est donné. Antonio Gramsci ne dit pas autre chose quand il affirme que « la crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître » mais ce moment est un moment d’incertitude où la vigilance doit être de mise car pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Il est plus que temps pour nous d’être courageux comme nous l’enjoignait déjà Jaurès il y a 113 ans en affirmant que «  le courage c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense ».