Dimanche dernier, le 31 juillet, l’émission Capital a diffusé un reportage sur les autocars « nouveau moyen low cost » de partir en vacances. Ledit reportage tentait bien de rendre compte des bons côtés et des mauvais côtés de cette nouvelle pratique, notamment en montrant comment les géants du secteur (Isilines, Flixbus, Mégabus, etc.) faisaient subir une pression monumentale à tous leurs sous-traitants et les dérives que cette nouvelle tendance pouvait entrainer comme le fait que des conducteurs sans permis sont chauffeurs – conséquence de l’impossibilité légale des compagnies à contrôler le nombre de points sur les permis des chauffeurs. Toutefois – et comme pour toute production intellectuelle ou médiatique – un large biais était présent dans ce reportage.
Dans cette ode aux autocars que nous a proposé Capital, l’accent était en effet mis sur l’avantage procuré par la libéralisation du marché des autocars à savoir celui de permettre à des personnes aux revenus modestes de pouvoir se déplacer et partir en vacances ou rentrer plus régulièrement chez elles (pour les étudiants notamment). Ironie de l’histoire, dimanche était l’anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès, celui-là même qui dans son célèbre Discours à la jeunesse de 1903 que le « courage c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». En ce sens et selon moi, le reportage de Capital ne révèle qu’une vérité partielle et partiale à l’égard de la question des autocars.
Le médecin pathogène
L’angle pris par le reportage consiste effectivement à célébrer la présence de ces nouvelles lignes d’autocars (près de 130 ont été ouvertes depuis les lois Macron) comme un élément d’émancipation permettant à des personnes à revenus modestes d’accéder aux transports plus facilement. Du titre aux différents témoignages d’utilisateurs, tout ou presque est fait pour suggérer à quel point la libéralisation du marché des autocars est une aubaine pour toute une partie de la population qui ne pourrait pas autant voyager si celle-ci n’avait pas eu lieu. Aussi voit-on apparaître, en creux, une forme d’hommage à Emmanuel Macron, ministre de l’économie et père de cette réforme et qui est cité plus d’une fois. Si la constatation que fait le reportage n’est pas fausse en elle-même, la focalisation aboutit à ce que ledit reportage fait, sciemment ou pas, l’économie de penser globalement la chose. En se centrant sur les effets de cette libéralisation, on peut mettre de côté les causes qui ont abouti à une telle situation pour les personnes à revenus modestes.
En nous enjoignant à remercier Monsieur Macron pour la mise en œuvre de cette réforme, le reportage nous invite à remercier le médecin qui nous a inoculé le virus et qui daigne bien nous donner un palliatif. Après avoir organisé la casse d’un service public (la SNCF) qui n’a plus de service public que le nom, voilà notre chère oligarchie de Bercy qui nous explique qu’elle fait un geste pour les plus démunis en leur permettant de prendre le car pour se déplacer à moindre frais. Après nous avoir pris le morceau de pain les voilà qui nous demande de les remercier pour les quelques miettes qu’ils acceptent de nous laisser. Ce que l’on voit s’esquisser avec cette libéralisation du marché des autocars initiés par notre très cher ministre de l’économie ni de gauche ni de gauche n’est ni plus ni moins que l’institutionnalisation encore plus poussée des inégalités. « Si vous êtes riches vous pourrez voyager en train, dans le cas contraire vos trajets seront trois voire quatre fois plus longs » tel est la signification de la dynamique à l’œuvre dans les plus hautes sphères. La comparaison avec le secteur aérien est, à cet égard, très révélatrice : les compagnies aériennes low cost rognent sur les éléments de confort mais conservent le même cœur de prestation (un voyage en avion d’un temps équivalent) que les grandes compagnies. Telle n’est pas la dynamique à l’œuvre entre les autocars et les trains.
La fracture béante
Néanmoins, cette conclusion d’une France à deux vitesses qui tend à se dessiner dépasse largement la simple question des autocars. Il est assez ironique de remarquer que la fameuse fracture sociale, thème sur lequel avait fait campagne Jacques Chirac dès 1995, soit aujourd’hui peut-être plus béante que jamais dans notre histoire contemporaine. Quelle personne sensée peut nier que les inégalités se sont accrues depuis la crise de 2008 et ce dans tous les domaines ? C’est d’ailleurs sur ce thème que le Front National prospère, lui qui explique aux petites gens qu’il est l’alternative à l’oligarchie en place depuis plus de 30 ans. L’action des gouvernements successifs de François Hollande tout comme les programmes présentés par les candidats aux primaires de Les Républicains vont d’ailleurs dans le même sens avec une forte baisse des dépenses publiques et une libéralisation toujours plus grande de notre économie.
En ces moments de troubles où la France est touchée par de nombreux attentats, beaucoup d’observateurs s’inquiètent d’une sédition de la société française, d’une fracture entre musulmans et non-musulmans. Ce risque existe et il ne s’agit pas de le nier mais sur le long terme le risque de fracture sociale est bien plus important et serait immensément plus légitime. La crise de représentativité que traverse notre pays est, à mon sens, bien évidemment liée aux politiques menées qui ne font rien pour réduire les inégalités mais, au contraire, les institutionnalisent et les légitiment. Notre pays compte de nombreuses personnes vivant sous le seuil de pauvreté, près de cinq millions de chômeurs et possèdent une des systèmes les plus inégalitaires des pays développés mais tous ces problèmes sont balayés d’un revers de main par un Premier ministre qui nous explique en substance que la question identitaire supplante la question économique et sociale.
A force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, notre pays a oublié l’urgence de l’essentiel. Le voilà qui nous rattrape aujourd’hui et qui nous somme de composer avec lui. Beaucoup de dirigeants politiques semblent découvrir aujourd’hui que la concentration de populations modestes crée souvent des problèmes, comme des ingénus sortant de leur coquille. Maurras gagne un peu plus chaque jour en même temps que la fracture entre le pays réel et le pays légal s’accroit. Le Charybde libéral et le Scylla sécuritaire se partagent notre foie qui repousse chaque jour comme celui de Prométhée. Il est grand temps de voler la foudre et d’enfin faire triompher Sisyphe. Dans le cas contraire, l’abîme nous guette sans doute.
[…] Source : https://neewram.wordpress.com/2016/08/03/la-liberalisation-du-marche-des-autocars-ou-le-grand-enfuma… […]
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Le problème, à la limite, ce n’est pas la répartition « train pour riches » et « car pour pauvres ».
Les riches prennent l’avion ou leur Jaguar, pas un TER ou un Corail quelconque.
La vraie remarque repose sur les motivations profondes derrière ce choix du car.
D’abord, un cadeau au lobby pétrolier. Les cars roulent à l’essence. La problématique est la même que le choix du « tout-voiture » ou du « tout-camion », jadis.
Ensuite, un choix d’entreprises « à la Über » : des entreprises qui prennent des autoentreprenneurs pour contourner les lois sociales & augmentent leurs profits, tant pis pour les chauffeurs.
Enfin, la volonté, encore et toujours, de couler la SNCF.
D’en finir avec les cheminots: un contingent nombreux, fortement syndiqués, soudés, à qui on ne la fait pas et capable de bloquer efficacement le pays.
Beaucoup de choses sont faites contre la SNCF et ses personnels.
Une politique tarifaire peu attractive. Une image fortement dégradée, soigneusement entretenue par des médias adeptes du micro trottoir à opinion unique. Des « avantages » présentés comme injustes aux téléspectateurs, quand il s’agit seulement d’acquis sociaux que les cheminots ont su garder quand les autres laissent les leurs se dissoudre sous l’effet des politiques inefficaces.
Maintenant, les chauffeurs routiers ne sont plus syndiqués. Les chauffeurs de car ne le seront pas plus (quand ils sont français !). Et oublié le risque de blocage du pays par un groupe social déterminé.
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Limite réglementaire actuelle à la libéralisation des transports et à la baisse des coûts de déplacement :
un bus interrégional n’aurait toujours pas le droit de desservir un arrêt situés à moins de 50km l’un de l’autre;
exemple : un bus de st etienne à clermont-ferrand ou lyon clermont-ferrand nepeut s’arrêter aux péages de Thiers Est ou Thiers ouest; résultat : 2h30 de trajet par jour (voiture train bus marche à pied) …ou frais de voiture et de péage (6€60 par jour)
Pour aller étudier ou travailler, chercher un emploi, participer à une formation ou un apprentissage, participer à des activités socio-culturelles la solution serait simple
afin de gagner en temps de trajet quotidien,économiser et préserver l’environnement
à vos claviers et à vos stylos pour écrire à vos élus ?
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PS : 1 an après reste à compléter ce point de la loi Macron s : autoriser la desserte d’un arrêt situé à moins de 50 km.
Qu’en pensez-vous?
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