Jérôme Kerviel, Icare des temps modernes

Vendredi dernier, la justice a enfin reconnu la responsabilité de la Société Générale dans la fameuse affaire Kerviel. En ramenant l’amende de l’ancien trader de 4,9 Milliards (montant des pertes imputées à Jérôme Kerviel par la Société Générale)  à 1 Million d’euros, le tribunal a fini par souligner que l’ancien trader était loin d’être le seul responsable des pertes colossales subies par la banque. Depuis huit ans et le déclenchement de cette affaire, les principaux protagonistes – à savoir la Société Générale d’un côté et Jérôme Kerviel de l’autre – n’ont eu de cesse de se rejeter la faute dans une espèce de ping-pong un peu malsain. La technique est rôdée et bien connue, il s’agit de noircir l’autre pour mieux se blanchir soi-même.

Depuis 2008, en effet, nous avons vu se succéder les arguments de l’un et des autres, arguments qui affirmaient successivement que la banque ne savait rien ou au contraire que Kerviel agissait avec l’accord au moins tacite de ses supérieurs hiérarchiques. A l’heure où la finance spéculative et le trading de haute fréquence a mis à genoux la Grèce, l’a dépecée et continue de le faire au quotidien – éprouvant chaque jour un peu plus un peuple qui reste digne dans cette épreuve abominable – il ne me paraît pas insensé de rapprocher le parcours de Jérôme Kerviel à un épisode de la mythologie grecque, celui d’Icare. Finalement, n’est-ce pas précisément cela le postmodernisme ? Détruire une partie du passé (ici Athènes et la Grèce Antique) en utilisant contre elle ses propres références.

Ailes brûlées et veste retournée

Entre 2008 et aujourd’hui, nous avons assisté à un changement spectaculaire chez Jérôme Kerviel. De trader, le voilà devenu chevalier blanc luttant contre les dérives de la finance mondialisée. Loin de moi l’idée de douter de la sincérité de son engagement. Toutefois, il est difficile de ne pas être, au mieux, sceptique devant la position de l’ex-trader qui diabolise désormais la mamelle à laquelle il a bu le lait d’or durant plusieurs années. Plutôt que le Don Quichotte qu’il voudrait être, Jérôme Kerviel est bien plus à mes yeux un Icare de cette finance folle. Dans la mythologie grecque, Icare est le fils de Dédale l’architecte du labyrinthe où est enfermé le minotaure. Alors qu’ils sont tous deux enfermés dans le labyrinthe, Dédale fabrique des ailes à son fils afin de lui permettre de s’échapper. Malgré les avertissements de son père qui l’enjoignait à voler loin du soleil et loin de l’eau (éléments qui feraient se détacher les ailes), Icare s’approche trop près du soleil. La suite est connue, le jeune homme meurt précipité dans la mer, mer qui porte son nom depuis.

Jérôme Kerviel partage de nombreux traits avec Icare mais la chute aussi soudaine que violente est à coup sûr ce qui le rapproche de plus du mythe grec. Il a été trader durant plusieurs années, s’est sans doute considérablement enrichi au vu des rémunérations que l’on trouve dans ce milieu et a sans doute plus d’une fois flirté avec la loi. Mais voilà comme le dit la présentation du film L’Outsider ­– biopic sur Jérôme Kerviel avant l’affaire – on peut tricher pour perdre, pas pour gagner dans ce monde-là. A force de vouloir augmenter ses profits en prenant le plus de risques possibles, voilà que notre ex-trader s’est retrouvé fort dépourvu quand la tempête fut venue. Si Jérôme Kerviel s’est assurément brûlé les ailes à la Société Générale, depuis l’éclatement de l’affaire il me semble qu’on peut également aisément parler de retournement de veste magistral. Lui qui gagnait sa vie en jouant avec les réglementations et qui a accepté le jeu tant qu’il gagnait, le voilà aujourd’hui qui dénonce cette finance folle quand celle-ci a décidé de faire de lui son pharmakos. La ficelle est un peu grosse et on peut se demander si l’ex-trader aurait eu les multiples révélations qu’il a eues depuis 2008 s’il ne s’était pas retrouvé cloué au pilori.

Icare au pays des requins

Si Jérôme Kerviel est quelque peu risible dans sa mise en scène de chevalier blanc luttant contre la finance spéculative internationale, ceci ne disculpe pas pour autant les banques en générales et la Société Générale en particulier de leurs responsabilités. Le jugement est clair et précis et il reconnaît que la banque savait, qu’elle est en grande partie responsable des pertes qu’elle subies. Sinon comment expliquer que l’amende ait été ramenée de 4,9 Milliards à 1 Millions d’euros ? Les supérieurs hiérarchiques de Kerviel savaient et ceci est une évidence pour toute personne qui a déjà côtoyé une personne travaillant dans ce milieu-là. Laissez-moi vous compter une petite histoire qui concerne, là encore, une grande banque française. C’est l’histoire d’un étudiant en école de commerce qui effectue une alternance au siège de ladite banque à la Défense. Il est chargé de superviser les traders, il est donc au courant d’à peu près tout ce qu’ils effectuent. Eh bien figurez-vous, cela ne vous surprendra pas j’en suis sûr, que les bonnes pratiques promises par les dirigeants ne sont pas appliquées.

Ainsi cet étudiant a-t-il été soumis à une pression monumentale (des dizaines de mails et des relances téléphoniques en quelques heures) lorsque le site de la City lui réclamait de mentir sciemment : 10 Milliards manquaient alors dans les caisses à Londres en raison de spéculations diverses et variées quand un contrôle est survenu. Notre jeune étudiant a donc été pressé d’affirmer que lesdits Milliards étaient bien en France et non pas dans la nature. Que serait-il advenu s’il avait accepté de signer de son nom ce mensonge et que le pot aux roses avait été découvert ? Peut-être une autre affaire Kerviel qui sait. De la même manière, il faut être ingénu pour croire les balivernes affirmées par les dirigeants des banques et l’affaire des Panama Papers est venue le rappeler avec force et vigueur : alors que les banques avaient promis qu’elles arrêteraient d’investir dans les paradis fiscaux nous avons découvert qu’un certain nombre d’entre elles avaient toujours recours à ces pratiques. Paroles et paroles et paroles. Il devient urgent d’agir durement et sévèrement contre cette finance folle qui détruit tout ou presque pour le bénéfice de quelques-uns.

Du « mon adversaire c’est la finance » aux Panama Papers, nous le voyons bien en quatre années rien n’a changé, les choses ont même sans doute empiré. Deux éléments réunissent à la fois Kerviel, la Société Générale et nos irresponsables responsables politiques : l’hybris et l’indignité. Ce pêché d’hybris, les trois le commettent : de Kerviel qui a joué avec la loi pendant toute sa période trader à Hollande qui a laissé penser qu’il voulait réguler cette finance folle en passant par la Société Générale qui se considère au-dessus des lois. L’indignité, enfin, les trois la pratiquent aussi allègrement : Kerviel en faisant passer une stratégie de défense personnelle pour une position de chevalier blanc, Hollande en n’appliquant pas ce pourquoi il a été élu et la Société Générale en continuant à mentir effrontément devant la représentation nationale tout en se gardant bien de rembourser les plus de 2 Milliards d’€ perçus en crédit d’impôt à la suite de l’affaire Kerviel. Maintenant que l’apocalypse – la révélation – est en train de se produire sous nos yeux, il est grand temps de faire advenir la catastrophe – le renversement. De Sisyphe qui voit son rocher inlassablement dévaler la pente à David qui vainc Goliath grâce à sa pierre il n’y a qu’un pas, franchissons le.

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