Mercredi, dans l’indifférence presque générale, Manuel Valls a de nouveau utilisé l’article 49 alinéa 3 de notre constitution pour faire adopter la loi Travail. Voilà donc l’épilogue – politicien tout du moins – d’une bataille engagée en mai et dans lequel l’exécutif a laissé plus que des plumes, généré plus que des rancœurs et provoqué des violences, symboliques et physiques, de part et d’autre. Comme lors de la deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale aucune motion de censure n’a été dégainée pour tenter de contrer le texte – et de faire tomber Manuel Valls et son gouvernement. En réalité, lors de cette troisième lecture la menace d’une motion de censure n’a jamais pesé sur le Premier ministre et son gouvernement.
Les débats au sein de l’hémicycle – ou les simulacres de débats plutôt – à propos de la loi El Khomri auront finalement suivi une évolution linéaire dans la baisse de la contestation, feinte ou réelle, à ce projet de loi gouvernemental. En première lecture la droite avait déposé une motion de censure et l’aile gauche du PS alliée aux communistes et écologistes avait tenté d’en déposer une, manquant opportunément le coche à deux signatures près. Même cirque lors de la deuxième lecture du côté de l’aile gauche de l’Assemblée et aucune motion de censure déposée par la droite. Et hier, aucune tentative de déposer une motion de censure même du côté gauche de l’hémicycle alors même que les opposants au texte ont publié une tribune signée par 58 députés, soit le chiffre fatidique. Dans ce théâtre, les Tartuffe ont perdu leurs masques hier. Et nous ne nous en plaindrons pas.
Du manque de courage en politique
Dans ladite tribune, Yann Galut (un de ceux qui n’ont pas signé les deux premières motions de censure) explique qu’il est contre cette loi qui est une vilénie mais qu’il préfère attendre les primaires du PS pour porter le débat. En attendant, nos belles âmes nous expliquent qu’il faut continuer le combat contre cette loi régressive. Quelle personne sensée peut avaler un tel bobard ? Attendre la primaire pour faire entendre sa voix alors même que l’Assemblée est censée être le lieu de l’expression populaire ? La réalité est, me semble-t-il, à chercher ailleurs que dans ses ridicules élans de lyrisme et dans ce pitoyable appel au débat ouvert. Les Tartuffe qui se la jouent rebelles ont tout simplement peur d’être exclu du parti ou de ne pas être investi pour les législatives. D’aucuns rapportent même que certains députés auraient subi des pressions venues tout droit de Solférino pour ne pas soutenir les motions de censures.
Lors du débat sur la prorogation de l’état d’urgence, la députée Isabelle Attard a invoqué Jaurès pour mettre le Parti Socialiste face à ses propres contradictions. L’élu de Carmaux, dans son Discours à la jeunesse en 1903, fit une longue anaphore sur le courage que bien des députés seraient inspirés de relire. Au cours de cette anaphore il eût notamment cette phrase lumineuse qui, mise en regard de nos tristes clowns, révèle un peu plus leur pusillanimité et leur médiocrité : « Le courage, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense ». En prenant le parti de défendre leur investiture plutôt que ce qui semble être leurs convictions, ces Tartuffe font non seulement preuve d’une lâcheté inouïe mais, je l’espère, perdront de manière violente leur siège dans un an. Si pour sauver la République il faut « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » selon la célèbre phrase de Danton alors celle-ci semble éminemment en péril en face de ces couards préférant les dorures de leurs sièges à la défense de leurs électeurs.
Les acteurs nus
Les masques ont donc fini par définitivement tomber. Après deux vraies fausses tentatives de déposer une motion de censure, le théâtre a pris fin. Faut-il y voir une tragédie ou une comédie ? Difficile à dire mais cela serait sans doute risible si le sujet n’était pas aussi grave. Les acteurs se retrouvent donc nus et il est assez drôle de se rappeler que dans la Grèce antique les acteurs étaient rangés sous le terme hypokritès qui a donné le terme hypocrite. Toujours dans la Grèce antique, plus précisément dans le théâtre grec – constitué quasiment uniquement de tragédie – le masque avait une double utilité que l’on retrouvait chez nos chers députés rebelles. La première, celle que tout le monde connaît était une utilité qu’on pourrait appeler esthétique. Il s’agissait évidemment de prendre les traits du personnage joué. Le masque avait donc la dissimulation comme premier objectif et il est assez aisé de faire la comparaison avec l’aile gauche du PS qui en s’opposant de manière factice à la loi travail a tenté de s’acheter une image en rupture avec le gouvernement.
En revanche, le masque avait aussi une autre utilité, plus méconnue, une utilité beaucoup plus pratique. Celui-ci jouait, en effet, le rôle de porte-voix de telle sorte que le masque était nécessaire à l’acteur pour se faire entendre par le public. Et on retrouve aussi cette utilité dans le masque de rebelle que portait l’aile gauche du PS. Comment nier que leurs postures, parfois ridicules, ait permis à ces rebelles d’accéder à de nombreux plateaux télé, de publier de nombreuses tribunes et de se pavaner dans l’ensemble des médias ? Finalement, nos Tartuffe nous ont vendu une image de Prométhée défiant Zeus en étant bravache et rebelle alors même qu’ils étaient plutôt de tristes Epiméthée qui réfléchissent après qu’ils n’agissent ou plutôt qui réfléchissent plutôt à leurs petits intérêts et à leurs postures qu’à des convictions ou à la défense de ceux qui leur ont fait confiance. Dans cette grande farce, le dindon est toujours le même et il n’est pas du côté de l’Assemblée.