La victoire à la Pyrrhus (sur le 13 novembre et ses conséquences)

OEdipe et Antigone – Charles Jalabert

13 novembre 2015, 21h15, une explosion retentit aux abords du Stade de France. La suite de cette funeste soirée est connue de tous : des fusillades dans Paris, le Bataclan transformé en charnier, 130 morts et une France traumatisée. Ce soir-là, alors étudiant à Nantes et sonné comme des millions de Français, je rentre tard le soir de chez des amis. Les quelques centaines de mètres séparant les deux appartements suffisent à la BAC nantaise pour procéder à un contrôle musclé et me dire que « maintenant ça va être compliqué pour vous ».

23 mars 2019, Baghouz en Syrie est reprise par les forces luttant contre Daech, ce qui permet d’annoncer la chute définitive du califat qui avait perpétré les attentats du 13 novembre. Quelques mois plus tard, Abou Bakr Al Baghdadi, le calife, est tué dans une opération étatsunienne, de quoi faire dire à certains que la victoire est désormais totale. Du surgissement de l’État Islamique à sa chute annoncée quelques années se sont écoulées et la France en est restée durablement marquée. Pour autant, la victoire face à Daech en est-elle vraiment une ? N’aurait-il pas, in fine, presque atteint son but malgré sa disparition au vu de la situation du pays ?

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Face au Minotaure (sur les crises politique et démocratique)

Thésée vainqueur du Minotaure – Charles Edouard Chaise

Vendredi 10 octobre, aux alentours de 22h, les réseaux sociaux s’agitent, les notifications push pleuvent, les plateaux des chaînes d’information en continu s’excitent : l’Élysée vient d’annoncer que Sébastien Lecornu était à nouveau nommé à Matignon six jours après en avoir démissionné alors qu’il avait désigné son gouvernement moins de 14h plus tôt. Dimanche 12 octobre aux alentours de la même heure, le gouvernement Lecornu II est désigné, un gouvernement présenté comme « technique » mais qui est en réalité dans la plus pure veine macroniste. Passée la sidération, passé le « il a vraiment osé ? », passé, en quelques mots, l’avilissement de la vie démocratique de ce pays, ne reste que la colère et une forme d’impuissance collective face au spectacle donné depuis juillet 2024 et les élections législatives.


Tout concourt en effet à agir comme si le pays et son peuple étaient placés face à un Minotaure invincible qui nous méprise et nous terrorise en même temps. Il serait tentant de voir dans le locataire – peut-être devrions nous dire le forcené, nous y reviendrons – de l’Élysée la résurgence de cette figure antique et monstrueuse. En réalité, la convocation de l’homme taureau sied bien plus assurément à cette Vème République qui est tout à la fois en crise terminale et en démarche kamikaze avant de mourir.

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Le grand braquage (sur la confiscation de la campagne présidentielle)

Bateaux hollandais dans la tempête – J.W.M Turner

Dans un peu plus de trois semaines se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. Alors même que la campagne en cours devrait occuper une large part de l’espace médiatique et des débats – l’élection présidentielle demeurant le scrutin phare et l’un des moments de politisation les plus forts dans notre pays – tout ou presque se déroule comme si elle n’avait pas lieu. L’absence de débats collectifs, les polémiques incessantes, l’indigence de la plupart des candidats ainsi que la stratégie d’Emmanuel Macron nous conduisent tout droit vers une élection tronquée.

Il est effectivement assez dramatique de constater qu’une campagne présidentielle arrivant après un tel quinquennat et les multiples bouleversements (Gilets Jaunes, Covid, guerre en Ukraine pour ne citer que les plus évidents) qu’il a engendrés permette si peu d’aborder les sujets de fond alors même que la Vème République est faite de telle sorte que le seul moment où il est vraiment possible de faire infléchir les choses dans un sens ou dans l’autre. Dans un système dit représentatif, une telle aporie est assurément le signe d’une dévitalisation catastrophique du débat public.

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Démocratie, autoritarisme et totalitarisme

Ulysse et les Sirènes – John William Waterhouse

En début de semaine, lors d’un déplacement à Stains, Emmanuel Macron a, au détour d’une phrase anodine, fait comprendre que le confinement pourrait durer encore quatre à six semaines. Répondant, en riant, à la question d’un jeune homme il a effectivement expliqué qu’il allait falloir « tenir encore un peu ». Cette nouvelle déclaration est venue confirmer la manière autoritaire dont est gérée la crise sanitaire depuis sa survenue. Loin de réellement consulter le Parlement, l’exécutif prend toutes ses décisions ou presque en conseil de défense, ce qui en dit assez long sur la pratique du pouvoir actuel.

Il serait toutefois erroné de circonscrire ces pratiques a-démocratiques – comprendre des pratiques qui ne s’embarrassent pas de consultation – à la gestion de la crise sanitaire. S’il est certain que la situation que nous vivons depuis un peu moins d’un an a renforcé certaines dynamiques qui lui préexistait, je suis personnellement bien plus enclin à voir dans ce qu’il s’est produit ces derniers mois une forme de révélation à grande échelle du caractère bâtard du système institutionnel dans lequel nous vivons et la confirmation que la France est bel et bien le pays le moins démocratique parmi ce que l’on appelle les « démocraties libérales ». The Economist – pas franchement connu pour être un organe gauchiste – ne s’y trompe d’ailleurs pas en plaçant notre pays dans la liste des démocraties dites défaillantes. Dès lors, l’articulation entre les notions de démocratie, d’autoritarisme voire de totalitarisme semble être un enjeu majeur pour la compréhension du régime politique dans lequel nous vivons.

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Démocratie, élite libérale et peuple, l’impossible union

La barricade à la Porte St Denis – Nicolas Edward Gabé

L’adoption d’une loi nauséabonde qui a pour objet en façade la protection des principes républicains mais qui dans les faits, permet de pouvoir stigmatiser une partie de la population déjà marginalisée tout en armant toujours plus la république libérale remet encore une fois en cause les bienfaits de notre système politique. L’Assemblée nationale qui doit permettre de représenter l’ensemble des Français dans leur diversité n’est pas vraiment virulente ou alors simplement en façade et entre bons démocrates on sait s’entendre. Cette situation pose énormément de question, sur le peuple, la gauche et la démocratie. Mais alors, pourquoi la république libérale et la démocratie représentative sont-elles nos ennemies ?

En heure de grande écoute sur France 2, à la télévision publique, Marine Le Pen et Gerald Darmanin se font face. L’actuel ministre de l’intérieur doit vendre son projet et montrer qu’il a pour but de protéger notre belle démocratie. Marine Le Pen, démocrate revendiquée joue l’apaisement, au point de voir Darmanin lui reprocher sa mollesse. Sur une célèbre chaine d’info en continu, la ministre de l’enseignement supérieur, pas honteuse de la situation des universités, de la souffrance des étudiants ou de la précarité des profs, parle du mal que représente l’Islamo-Gauchisme pour les études supérieures et les travaux universitaires. Dans une démocratie de moins en moins libérale mais toujours plus autoritaire, ces sorties ne sont pas des couacs, elles permettent d’affirmer que ce système de gouvernement nous veut du mal.

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Le bien commode adversaire (à propos du complotisme et de ses utilisations)

Conference at night – Edward Hopper

Voilà bientôt une année que la France vit sous la menace du Covid-19 et de ses implications en termes de mesures sanitaires mais aussi de libertés publiques. Depuis un peu plus d’un mois, le pays tout entier est forcé de suivre le couvre-feu à 18h, ce qui ne manque pas d’avoir des effets psychologiques délétères sur beaucoup de personnes. La situation que nous vivons depuis des mois maintenant – et peut-être pour un certain temps encore – couplée à l’arrivée des différents vaccins a donné lieu à de multiples théories complotistes et conspirationnistes.

Bien sûr, il serait erroné de dire que c’est le nouveau coronavirus qui a crée la dynamique complotiste. Il n’en demeure pas moins vrai que la période que nous traversons a été un formidable accélérateur pour lesdites théories pour des raisons diverses qu’il s’agit de regarder en face pour peu que l’on souhaite être conséquent sur le sujet. Lutter contre les théories du complot et contre ceux qui les fabriquent ne se départit effectivement pas de cette obligation simple mais souvent négligée : réfléchir au niveau des structures et mener ce qui s’apparente bel et bien à une forme de bataille culturelle.

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Vie politique, les dangers de la personnalisation

La chute d’Icare – Pieter Brueghel l’Ancien

Il y a quelques semaines, l’annonce du déjeuner entre Bruno Roger-Petit, l’un des conseillers d’Emmanuel Macron, et Marion Maréchal, anciennement Maréchal-Le Pen, a fait grand bruit. Au sein même de la majorité présidentielle des voix se sont élevées pour fustiger ce rapprochement avec l’extrême-droite. Tout a semblé agir comme si le seul rapprochement réel était celui des assiettes alors même qu’au niveau des idées les convergences sont présentes depuis un certain temps. De la même manière, à l’exception de quelques articles, l’agitation autour d’Arnaud Montebourg se centre sur sa personne et pas sur les idées qu’il entend porter ou la stratégie de prise du pouvoir qu’il souhaite mettre en place.

Ces deux exemples, loin d’être exhaustifs, viennent rappeler avec force et vigueur à quel point la personnalisation de la vie politique – par vie politique on entendra dans le développement qui va suivre la structuration des rapports de forces électoraux bien que celle-ci ne se limite pas à cette seule partie – structurait encore de manière fondamentale le débat public dans notre pays. Si l’on pourrait facilement y voir une sorte de folklore ou même un élément de la singularité française, cette personnalisation outrancière est assurément porteuse de bien des dangers. Il apparait chaque jour un peu plus ironique que, dans le seul pays qui a tranché la tête du roi, la personnalisation soit la plus forte au sein du groupe des pays dits démocratiques.

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Les référendums en quelques lignes

Conference at night – Edward Hopper

Il y a quelques semaines, à la sortie de la conférence citoyenne sur le climat, Emmanuel Macron a annoncé qu’il était prêt à soumettre certaines des conclusions à référendum. Le locataire de l’Elysée a plus précisément affirmé qu’il était prêt à en effectuer deux d’ici la fin de son mandat à propos des sujets écologiques, sans doute est-ce là un moyen de reprendre la main sur le calendrier politique d’ici l’élection de 2022 – un peu comme dans la troisième saison de Baron Noir. Le référendum est effectivement un outil qui apparait souvent comme un retour à la démocratie et c’est assurément l’histoire que compte mettre en place le monarque présidentiel avec les deux qu’il envisage.

Peut-être y voit-il un moyen de répondre à l’une des revendications phares du mouvement des Gilets jaunes. Ceux-ci ont effectivement mis en tête de leurs revendications la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (ou RIC). Présenté comme un moyen de permettre à la population d’influer sur la politique menée, le RIC était, pour les Gilets Jaunes, la manière la plus sûre de réinstaurer de la démocratie dans un système politique qui en manque affreusement. Toutefois, le référendum est extrêmement ambivalent à mes yeux et ne saurait être considéré comme la panacée face aux multiples dénis de démocratie que connait notre pays.

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L’action citoyenne pour éviter le pire ?

En emportant une large majorité absolue lors des élections législatives de 2017, la République en Marche prétendait avoir fait entrer la société civile à l’Assemblée Nationale. Par-delà le parti d’Emmanuel Macron, le recours à ce concept fumeux qu’est la société civile est désormais devenue monnaie courante dans la sphère partisane. Face au bouleversement politique et sociétal que représente la défiance grandissante à l’égard des partis dits de gouvernement un peu partout sur la planète, l’appel à immerger lesdits partis dans la société revient avec plus de force sans que l’on sache parfois très bien de quoi il en retourne exactement.

Le cas de LREM est à ce titre éloquent puisqu’il fait figure d’exemple quasi-paroxystique d’une des manières d’instrumentaliser cette question de la société civile pour faire que rien ou presque ne change dans les rapports de force politiques. En faisant entrer des nouvelles têtes au Parlement, le parti présidentiel n’a évidemment pas intégré la société dans sa diversité mais uniquement la fraction des cadres et des classes supérieures. Plus largement, l’intérêt de l’action citoyenne réside principalement dans le fait que celle-ci déborde du cadre parlementaire et qu’il se pourrait bien que ça soit par ce biais là que les choses évoluent rapidement, tant les mobilisations citoyennes de ces dernières années semblent être d’une nature nouvelle et s’inscrire dans une période d’effondrement (ou tout du moins de remise en cause) du système représentatif.

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