Vie politique, les dangers de la personnalisation

La chute d’Icare – Pieter Brueghel l’Ancien

Il y a quelques semaines, l’annonce du déjeuner entre Bruno Roger-Petit, l’un des conseillers d’Emmanuel Macron, et Marion Maréchal, anciennement Maréchal-Le Pen, a fait grand bruit. Au sein même de la majorité présidentielle des voix se sont élevées pour fustiger ce rapprochement avec l’extrême-droite. Tout a semblé agir comme si le seul rapprochement réel était celui des assiettes alors même qu’au niveau des idées les convergences sont présentes depuis un certain temps. De la même manière, à l’exception de quelques articles, l’agitation autour d’Arnaud Montebourg se centre sur sa personne et pas sur les idées qu’il entend porter ou la stratégie de prise du pouvoir qu’il souhaite mettre en place.

Ces deux exemples, loin d’être exhaustifs, viennent rappeler avec force et vigueur à quel point la personnalisation de la vie politique – par vie politique on entendra dans le développement qui va suivre la structuration des rapports de forces électoraux bien que celle-ci ne se limite pas à cette seule partie – structurait encore de manière fondamentale le débat public dans notre pays. Si l’on pourrait facilement y voir une sorte de folklore ou même un élément de la singularité française, cette personnalisation outrancière est assurément porteuse de bien des dangers. Il apparait chaque jour un peu plus ironique que, dans le seul pays qui a tranché la tête du roi, la personnalisation soit la plus forte au sein du groupe des pays dits démocratiques.

L’héritage des structures de la Vème République

Ce qu’il faut bien saisir dès lors que l’on aborde cette question de la personnalisation, c’est que cette dernière puise ses racines dans la longue histoire du pays. Considérée comme la fille aînée de l’Église durant longtemps, la France a même accueilli la papauté durant un certain temps à Avignon. De ce fait, le monarque était le représentant de Dieu sur Terre et, quand bien même le pouvoir ne lui était pas totalement dévolu au sein des cénacles dirigeants, il le personnalisait férocement ainsi qu’en témoigne la célèbre formule de Louis XIV affirmant que l’État c’était lui.

Le renversement de la monarchie et ses soubresauts multiples – la République ne s’est définitivement imposée qu’à la fin du XIXème siècle soit environ un siècle après la Révolution de 1789 – n’ont pas pour autant écarté pour de bon l’ambition personnalisatrice. Les restaurations tout comme le bonapartisme ont effectivement installé l’idée selon laquelle un pouvoir vertical et personnalisé était celui qui convenait le mieux à l’idiosyncrasie française. C’est sur ce terreau que Charles De Gaulle a fondé la Vème République, un système institutionnel taillé à sa mesure et que son esprit originel (malgré de nombreuses réformes constitutionnelles) continue à irriguer la vie politique française avec pour principe cardinal cette personnalisation outrancière, censée être la garante de la solidité du système – le retour de De Gaulle au pouvoir est, en effet, consécutif à une tentative de putsch comme on l’oublie trop souvent.

Les personnes plutôt que les idées

Depuis 1958 mais plus encore depuis 1962 et l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel, la France s’est inscrite dans une singularité assez profonde au sein des pays dits démocratiques dans la mesure où nous vivons dans l’un des seuls pays de ce type qui est régi par un système semi-présidentiel. Couplé à l’élection du président au suffrage universel, ce régime induit fatalement le mythe de la rencontre entre un homme (plus rarement une femme) et le peuple, mythologie qui s’inscrit dans presque l’ensemble des campagnes présidentielles victorieuses depuis 1962.

Le drame de cette situation réside assurément dans le fait que bien souvent l’on débatte moins des idées que des personnes. Cette dynamique finit par irriguer l’ensemble du débat public avec les conséquences néfastes que l’on connait. Dans le cas du déjeuner cité en introduction, il est proprement affolant qu’un tel évènement ait été vécu comme une rupture alors même que des mesures autoritaires et dignes de l’extrême-droite sont adoptées depuis le début du quinquennat Macron. Tout concourt en effet à faire croire que pour être vraiment d’extrême-droite il faut marcher main dans la main avec elle alors même que voter des mesures répondant aux désirs de cette partie de l’échiquier politique ne nécessite nullement d’en être l’allié électoral.

Le mythe de l’infaillibilité (ou le syndrome Bourdin)

L’un des puissants corollaires de cette personnalisation à outrance de la vie politique est sans aucun doute l’apparition du mythe de l’infaillibilité des représentants politiques. À partir du moment où le discours autour de l’élection est celui d’une rencontre entre une personne douée de talents que ne possèdent pas la grande majorité des citoyens et du peuple, cette croyance en l’homme ou la femme providentielle est la suite logique. Cette croyance peut prendre des contours comiques lorsqu’un ou une femme politique se retrouve coincé.e par Jean-Jacques Bourdin et bafouille lorsqu’on lui demande le prix d’un porte-avions – information qui n’a pas grand-sens soit dit en passant – mais se révèle le plus souvent être tragique.

Dans la mesure où cette croyance en leur infaillibilité finit bien souvent par infuser dans l’esprit même des représentants, le risque est grand (et les exemples légion) qu’ils cèdent à une sorte de racisme de l’intelligence pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu en expliquant à qui veut l’entendre qu’ils savent mieux que le petit peuple ce qui est bon pour lui et qu’il est donc logique qu’ils s’affranchissent totalement de tout contrôle démocratique. Il n’est pas étonnant que ça soit dans cette architecture institutionnelle que s’inscrive la possibilité pour un président de faire absolument ce qu’il souhaite – y compris le contraire de ce pour quoi il a été élu – pour peu qu’il dispose de la majorité à l’Assemblée nationale, transformée en chambre d’enregistrement.

Scandale politique et démission, le risque du pharmakos

L’une des conséquences les plus néfastes, et peut-être les moins soulevées, de cette hyperpersonnalisation réside dans la manière dont les scandales politiques sont traités dans notre pays. Puisque la vie politique est personnalisée à outrance, il n’est guère surprenant que l’ensemble ou presque des scandales politiques aboutissent simplement à la démission d’une personne, qui sert de fusible bien commode pour ne rien changer au système en place. Là encore, les exemples sont nombreux (de Cahuzac à Benalla en passant par Fillon et bien d’autres) et n’incitent pas vraiment à l’optimisme.

Désigner des brebis galeuses est assurément le meilleur moyen de détourner l’attention des grandes dynamiques qui structurent justement la vie politique et qui, elles, ne sont pas prêtes de changer. Les gouvernants français ont fait leur l’antique pratique grecque du pharmakos qui n’était rien d’autre qu’un bouc émissaire : il était celui désigné responsable des maux frappant une Cité et après l’avoir fait défiler dans les rues pour qu’ils drainent les mauvais esprits, il finissait par être exclu des frontières. Une étude rapide des derniers grands scandales politiques en France permet assez vite de faire le lien avec ces pratiques.

Le mythe du sauveur suprême à gauche

Que la droite se plie à la logique de la personnalisation et de la culture du chef n’est pas surprenant. En revanche, que la gauche s’en soit accommodée avec autant de facilité a de quoi laisser songeur. La logique de la Vème République et de ses modes de scrutins ne sont pas favorables à la gauche, elle qui a bien plus tendance à être parcourue de courants et est moins encline à se ranger derrière un seul parti – il n’y a d’ailleurs pas de hasard si les principales grandes victoires de la gauche eurent lieu dans un régime parlementaire qui favorise justement la formation de coalitions.

Pour autant, elle a fini par être, elle aussi, contaminée par cette course effrénée à la personnalisation et l’échéance de 2022 risque de ne pas faire office d’exception dans la mesure où les débats semblent, pour beaucoup, bien moins porter sur des différences programmatiques que sur des questions de personnes. En somme plutôt que poser la question du quoi, du pourquoi et du comment, celle du qui s’est progressivement imposée au point de polluer toute réflexion de convergence possible.

Le commun pour sortir du piège

Dès lors, dans la situation actuelle, comment réussir à sortir de ce piège tendu par la Vème République ? Il est assez évident qu’aussi longtemps qu’un tel système institutionnel demeurera en place, il sera compliqué pour ne pas dire impossible d’accéder au pouvoir pour la gauche. Ajoutons à cela que le Rassemblement National a récemment annoncé qu’il ne comptait plus défendre une sortie de l’euro ni de l’UE et tous les éléments sont réunis pour qu’un véritable barrage – qui ne dira sans doute pas son nom – soit mis en place y compris si une candidature de gauche arrive au second tour face à Marine Le Pen.

Plutôt que de chercher qui comme nous le faisons depuis bien trop longtemps sans doute est-il venu le temps de s’accorder sur une stratégie qui permettra d’abolir la Vème République. C’est effectivement là que se trouve le verrou premier puisqu’aussi longtemps qu’elle sera en place et que les modes de scrutins feront la part belle aux logiques de vote utile en sanctionnant la diversité des courants parmi les grands blocs politiques alors le pouvoir sera difficilement accessible. Dans la mesure où Emmanuel Macron risque fort de jouer à nouveau sur le terrain identitaire comme Nicolas Sarkozy il y a dix ans, le risque est réel d’un effacement durable de la gauche française – un peu à l’instar de ce qui est arrivé à la gauche algérienne au tournant des années 1980. Peut-être plus que jamais, les logiques de personnalisation sont mortifères pour la gauche, le commun en est assurément le salut. Il n’est pas de sauveur suprême.

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