La barricade à la Porte St Denis – Nicolas Edward Gabé
L’adoption d’une loi nauséabonde qui a pour objet en façade la protection des principes républicains mais qui dans les faits, permet de pouvoir stigmatiser une partie de la population déjà marginalisée tout en armant toujours plus la république libérale remet encore une fois en cause les bienfaits de notre système politique. L’Assemblée nationale qui doit permettre de représenter l’ensemble des Français dans leur diversité n’est pas vraiment virulente ou alors simplement en façade et entre bons démocrates on sait s’entendre. Cette situation pose énormément de question, sur le peuple, la gauche et la démocratie. Mais alors, pourquoi la république libérale et la démocratie représentative sont-elles nos ennemies ?
En heure de grande écoute sur France 2, à la télévision publique, Marine Le Pen et Gerald Darmanin se font face. L’actuel ministre de l’intérieur doit vendre son projet et montrer qu’il a pour but de protéger notre belle démocratie. Marine Le Pen, démocrate revendiquée joue l’apaisement, au point de voir Darmanin lui reprocher sa mollesse. Sur une célèbre chaine d’info en continu, la ministre de l’enseignement supérieur, pas honteuse de la situation des universités, de la souffrance des étudiants ou de la précarité des profs, parle du mal que représente l’Islamo-Gauchisme pour les études supérieures et les travaux universitaires. Dans une démocratie de moins en moins libérale mais toujours plus autoritaire, ces sorties ne sont pas des couacs, elles permettent d’affirmer que ce système de gouvernement nous veut du mal.
Un spectre qui s’est rétréci
Les débats, et surtout les votes des différentes groupes d’opposition et notamment la position de la gauche lors des discussions à l’assemblée autour de la loi voulant lutter contre les séparatismes ont été affligeant. Le PC, parti par et pour les ouvriers mais plus largement, les oppressés et les dominés a suivi la ligne du gouvernement, en votant bien trop peu contre. Pire, son porte-parole est plus déçu des sujets qui ne sont pas discuté à l’intérieur de celle-ci que de son contenu qui est globalement accepté. Une position similaire à Damien Abad, responsable LR.
Cette position parallèle malgré un éloignement politique assez clair théorique permet d’afficher clairement un problème de notre système politique actuel : il n’y a presque plus de différence entre les partis. Actuellement, les différences entre les différents groupes à l’assemblée ne se font qu’à la marge, sur des questions souvent secondaires. Par exemple, le PC n’appelle plus au renversement du capitalisme, mais à une production française et une souveraineté économique. Une position économique qu’on peut comparer à celle de certains LR, du FN ou encore de Montebourg. Pourtant, la presse dominante aime expliquer qu’il y a des fossés importants entre chaque parti, ce qui ne se confirme pas quand on écoute chacun des acteurs.
Il est difficile de trouver les raisons de pourquoi le spectre politique s’est autant réduit, et les différences ne sont plus du tout évidentes entre les lignes des différents partis. Cependant, le fait que beaucoup soient passés dans les mêmes écoles, que les têtes pensantes de ces partis qui sont les plus médiatisées ne sont pas les plus révolutionnaires ou alors simplement le fait de se côtoyer dans les mairies ou à l’assemblée font que les lignes ont convergé. Ce qui est certain c’est que l’ensemble ou presque accepte le jeu républicain, dans son ensemble et ne veulent pas vraiment le remettre en cause largement, notamment sur la notion de représentativité ou sur les mandants révocables. Cette capacité à ne devoir se confronter à ses électeurs seulement durant le vote et pouvoir faire ce qu’on veut ensuite, leur plait globalement bien.
Ce système est vicié, il a besoin de renouvellement mais il n’arrive pas. On nous promet des élus qui ressemblent aux Français, on se retrouve avec un moule identique mais des parcours un peu différent. Quand le besoin de plus de participation, d’avoir un pouvoir d’action se matérialise, nos gouvernants ne peuvent que nous proposer un gadget inutile qu’ils ont déjà rendu inopérant. Ce sentiment d’impuissance mène à la dureté de la république parce que ses opposants sont de plus en plus virulents.
Un peuple quand ça les arrange
Depuis le développement de la notion d’Etat-nation et du principe de souveraineté nationale, qui a notamment émergé par la révolution de 1789, les tenants d’une république libérale et celle d’une sociale ont bataillé. Les premiers, voulant prendre le pouvoir mais ne renverser aucun système de domination ont toujours joué l’apaisement se pesant en garant de l’ordre. Les seconds, ont souvent été divisés, mais ont eu des positions très claires et ont souvent été durement réprimés pour cela.
Depuis la victoire de la république libérale en 1848 et l’écrasement de tout mouvement populaire et social par cette république et sa démocratie représentative, nous vivons sous domination. Domination des riches capitalistes, de ses représentants qui militent pour des libertés toujours plus large, essentiellement pour les plus riches et avec comme seule vision économique un libre échange assumé qui serait le garant de la paix entre les peuples de manière durable.
La Cinquième république, en plus de cultiver le culte de la personnalité des élus pousse le mythe d’une figure qui rencontre le peuple. Ce mot, vide de sens qui est donc logiquement adoré par nos gouvernants est utilisé à toutes les sauces. Les candidats à l’élection présidentielle, la seule qui permette d’imprimer un changement durable dans la politique nationale du pays font preuve d’inventivité pour incarner cette rencontre. La maxime « c’est notre projet » de l’actuel squatteur de l’Elysée en est une, le meeting sur le vieux port à Marseille de Jean-Luc Mélenchon en est un autre.
Pourtant ces mythes de peuple souverain et d’un candidat qui rencontre et embrasse son peuple ne sont que des constructions et des récits pour permettre le maintien de l’ordre en place. Le champ politique s’est refermé après la seconde guerre mondiale, sous l’influence des États-unis, où tout va être fait pour détruire les velléités révolutionnaires du parti communiste par exemple pour aboutir à avoir une large majorité de représentants alignée sur une ligne économique assez simple : ne pas remettre en cause le capitalisme. Vouloir du protectionnisme ce n’est pas être anti-capitaliste, tout comme inciter à l’endettement pour permettre de faire tourner l’économie de consommation.
Un groupe qui vampirise l’autre
La vision de la démocratie de nos gouvernants et élites libérales est assez simple : voter pour leurs idées ou être ostracisé. On le remarque bien avec la volonté d’aligner les élections de l’Assemblée nationale sur celle du président de la république, l’idée est de signer un chèque en blanc à un monarque républicain qui pourra mener le programme qu’il souhaite avec le moins possible de bâtons dans les roues même s’il bafoue l’ensemble de ses promesses de campagne.
Les citoyens ne sont pas dupes et se rendent bien compte que notre système politique favorise toujours les mêmes types de pensées, de vision du monde et que bien souvent il ne va pas dans le sens des plus précaires ou même de la majorité des personnes. Cela semble établi que le système capitaliste ne sert les intérêts d’une toute petite catégorie de personne, soutenu par une autre catégorie de personne qui y trouve son compte sans pour autant profiter aux plus fragiles, ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre.
Ça se caractérise ensuite de différentes manières, l’augmentation de l’abstention, qui rend les élections de moins en moins légitimes ne gênent aucunement nos élites libérales tant que c’est leur programme qui est appliqué. Tout bon système qui se dit démocratique, donc qui remet l’ensemble de son pouvoir à son peuple et qui voit que la moitié de ce groupe ne vote pas devrait se remettre en question. Mais vu que la démocratie n’est que façade pour permettre de rendre le capitalisme plus acceptable, cela convient aux gens qui en profitent et qui le font vivre.
Une autre manière est l’irruption de mouvement populaire plus ou moins durable et surtout plus ou moins étendu. La crise des gilets jaunes, qui n’a rien à avoir avec l’invasion du capital comme certains aiment le dire est parti de revendications portant sur le pouvoir d’achat pour dériver rapidement sur des thèmes de représentations et surtout de moyens pour peser sur la prise de décisions publiques. On peut penser que le RIC n’est pas le meilleur moyen pour faire vivre une démocratie sur la durée, mais c’est bien une volonté de s’investir et de changer le système représentatif comme il fonctionne actuellement en France qui était demandé. La réponse de nos élites libérales a été cette mascarade de consultation populaire avec ces fameux cahiers de doléance. Donc toujours pas plus de pouvoir pour les électeurs mais un gadget de merde qui permet aux gouvernants de faire croire qu’ils se bougent sans rien changer. Toute ressemblance avec le cas de l’OM, du supportérisme dans le foot et de l’Agora OM n’est pas fortuite, c’est la même dynamique avec cette recherche de la fameuse majorité silencieuse qui soutiendrait corps et âme l’ordre établi.
Nous sommes dans une dynamique où le groupe qui a tout à gagner à faire continuer notre système économique et de protéger l’ordre établi n’est concerné que par sa propre continuité. On ne cherche pas à faire vivre une démocratie juste et ouverte, mais à modeler un système qui permet d’avoir de l’ouverture en façade mais finalement des positions proches dans les discussions. Cela permet des discussions de façade bruyantes, sans pour autant discuter des causes réelles des inégalités ou des discriminations. Le capitalisme veut une démocratie qui le protège, et elle attaque violemment qui veut changer la dynamique du rapport de force.
Une faillite de la gauche
Depuis le programme commun entre le PC et le PS de Mitterand, la gauche a accepté de perdre dans son ensemble. En entrant aux gouvernements, en faisant le jeu de cette république libérale, en côtoyant les mêmes lieux de pouvoir et simplement en abdiquant sur de nombreux sujets, la gauche n’arrive plus à incarner cette opposition claire aux systèmes de domination en place. Il a toujours existé des responsables à gauche, qui rentraient vite vers le centre dès qu’une politique ambitieuse et sociale terrorisait les capitalistes mais il y avait des rêveurs et des leaders qui incarnaient cette vision. Dans l’Assemblée, dans les partis, dans les réunions et qui permettaient de faire exister ce rêve de république sociale et d’une démocratie qui écoute ses votants et non qui les maltraite.
La 6e république reste un projet porté par Mélenchon et la FI, cette même entité qui s’acoquine assez facilement avec les dérives identitaires et racistes du pouvoir en place. Il est difficile de rêver d’un monde meilleur, ou de défendre les jours heureux et les grandes réussites d’Ambroise Croizat quand les représentants de ce courant ont abdiqué dans leur lutte contre le capitalisme. Pourtant, comme pour l’écologie ou l’égalité, la démocratie ne peut exister dans une république qui épouse les thèses du capitalisme et le défend coute que coute.
Il ne faut pas vouloir adoucir ou rendre meilleur le capitalisme, il faut le faire tomber et rapidement. Pour cela, il faut se remettre à rêver et à penser le monde d’après, non pas essayer de rendre leur monde meilleur. La gauche de gouvernement et républicaine a failli sur ces questions, elle a fait des choix intellectuels forts et les plus pauvres ne sont plus défendues par elle. Pire, elle fait le jeu des thèses racistes qui se propagent actuellement en France. Elle joue contre nous, mais on peut encore rêver d’une démocratie plus juste et surtout plus égalitaire. Le soleil réussit toujours à percer les nuages, il faut attendre, se préparer à saisir l’opportunité quand elle arrivera, et elle arrivera.
Benjamin Chahine