L’action citoyenne pour éviter le pire ?

En emportant une large majorité absolue lors des élections législatives de 2017, la République en Marche prétendait avoir fait entrer la société civile à l’Assemblée Nationale. Par-delà le parti d’Emmanuel Macron, le recours à ce concept fumeux qu’est la société civile est désormais devenue monnaie courante dans la sphère partisane. Face au bouleversement politique et sociétal que représente la défiance grandissante à l’égard des partis dits de gouvernement un peu partout sur la planète, l’appel à immerger lesdits partis dans la société revient avec plus de force sans que l’on sache parfois très bien de quoi il en retourne exactement.

Le cas de LREM est à ce titre éloquent puisqu’il fait figure d’exemple quasi-paroxystique d’une des manières d’instrumentaliser cette question de la société civile pour faire que rien ou presque ne change dans les rapports de force politiques. En faisant entrer des nouvelles têtes au Parlement, le parti présidentiel n’a évidemment pas intégré la société dans sa diversité mais uniquement la fraction des cadres et des classes supérieures. Plus largement, l’intérêt de l’action citoyenne réside principalement dans le fait que celle-ci déborde du cadre parlementaire et qu’il se pourrait bien que ça soit par ce biais là que les choses évoluent rapidement, tant les mobilisations citoyennes de ces dernières années semblent être d’une nature nouvelle et s’inscrire dans une période d’effondrement (ou tout du moins de remise en cause) du système représentatif.

#Metoo et inégalités salariales

Depuis quelques temps en effet les mouvements citoyens occupent une place grandissante et ce, sur un nombre important de sujets. L’un de ceux qui a fait le plus de bruits ces dernières années est incontestablement l’onde de choc du mouvement #MeToo – #Balancetonporc de ce côté-ci de l’Atlantique. Il serait évidemment naïf d’y voir un aboutissement, la dernière cérémonie des Césars est venue rappeler avec force que la France n’avait peut-être pas pris le virage aussi fortement que dans d’autres pays mais il est indéniable que ce mouvement et la libération de la parole qu’il a induite est un marqueur fort, à mes yeux, d’une forme de prise de pouvoir citoyenne sur ces questions, de la mise en place d’un discours offensif et plus simplement défensif sur le sujet des violences sexuelles et de leur contextualisation.

Là où la dynamique me parait intéressante c’est qu’elle ne s’est pas arrêtée au partage de témoignages sur les réseaux sociaux mais s’est au contraire accompagnée d’une réflexion plus globale sur le système actuellement en place, notamment sur la question des inégalités salariales, ce sujet ô combien important mais bien souvent traité de manière quelque peu dédaigneuse et de façon bien peu rigoureuse. En s’organisant de la sorte, l’on se donne la possibilité d’agir sur les structures politiques, de jouer le rôle de groupes d’influence en somme – ce serait, à mes yeux, une erreur stratégique de laisser le concept de lobbying aux dominants.

Les enseignements des Gilets jaunes

S’il fallait toutefois tirer un mouvement citoyen de ces dernières années ce serait assurément celui des Gilets jaunes. Moment de politisation accrue de toute une partie de la population, reconstruction du lien social, favorisation de la désatomisation de la société, sont autant de bienfaits de ce mouvement social, l’un des plus longs de l’histoire politique de notre pays. Alors même que personne ne prenait réellement au sérieux l’appel aux manifestations à la suite de l’annonce d’une taxe sur les carburants, les Gilets jaunes sont progressivement devenus l’un des plus gros cailloux dans la chaussure du pouvoir.

Non seulement, ils ont permis de poser avec une acuité jamais vue dans le débat public la question du lien entre mesures environnementales et effets sociaux desdites mesures – en d’autres termes ils ont permis de démontrer qu’une politique environnementale ambitieuse ne pouvait pas faire l’économie d’une réflexion sur la justice économique et sociale – mais surtout, les actes les plus violents du mouvement ont souligné, s’il le fallait, que c’est bien par le rapport de force, en allant justement dans les lieux de pouvoirs (politiques, économiques, symboliques) que l’on pouvait esquisser les conditions de victoires. En faisant mine de reculer le 10 décembre 2018 après que la bourgeoisie a eu physiquement peur, Emmanuel Macron n’a pas prouvé autre chose.

Du comité Adama à David Dufresne, la lutte contre les violences policières

L’un des sujets corollaires des Gilets jaunes est assurément la question des violences policières. Si Geffroy de Lagasnerie a pu remettre en question la dénomination ‘violences policières’ – expliquant que se contenter d’appeler violences les seules bavures revenait à faire l’impasse sur le caractère systémique de la violence de l’institution policière – il me semble tout de même que, comme celles-ci sont les plus accessibles au grand nombre, il est pertinent de les mettre en avant. À cet égard, le travail monumental de David Dufresne (abondé par un grand nombre de témoignages, le propre même d’une action citoyenne) est salvateur en cela qu’il permet de mettre à mal le discours des dominants sur ce sujet.

En montrant crûment les choses, avec parfois des images difficilement soutenables, le journaliste permet de déconstruire par les faits et les actes les discours du pouvoir qui s’entête à expliquer qu’il n’y a pas de violences policières. De la même manière, et c’est là l’occasion de faire le lien avec la question des quartiers populaires, le travail mené par Taha Bouhafs pour documenter les violences policières qui surviennent dans les quartiers populaires est éminemment important. L’organisation de ces populations ne date pas d’hier mais ces dernières années, notamment avec le comité Adama, les actions menées portent, me semble-t-il, plus.

La question écologique

Avec la crise liée au nouveau coronavirus et toutes ses implications, il y a fort à parier que la question écologique devienne – et c’est heureux – de plus en plus centrale. Pour autant, il serait injuste de ne pas reconnaître que la mobilisation citoyenne préexistait à cette crise. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en effet, sans doute en réaction à la morgue affichée par le monarque présidentiel sur cette question, de nombreuses initiatives se sont multipliées et ont pris de l’ampleur pour sensibiliser une part toujours plus grande de la population.

Face à l’écologie fantoche portée par les pouvoirs en place, l’écologie-pipi-sous-la-douche-et-éteindre-la-lumière, des mouvements comme les marches pour le climat ou l’Affaire du siècle qui a rapidement atteint les deux millions de signatures sont positifs à mes yeux bien qu’ils passent parfois à côté d’un certain nombre de sujets fondamentaux. Plus largement, il me semble que ces dynamiques enclenchées jouent également le rôle de formidable outil d’éducation populaire, permettant de montrer la vacuité de l’argumentaire sur la responsabilité individuelle sur ces questions.

Coalisation et débouché, le double problème

Une fois que l’on a dit tout cela, l’on pourrait y voir un formidable message d’optimisme. Ce serait, je pense, aller un peu vite en besogne. Il convient plutôt de voir dans l’ensemble de ces éléments (qui ne sont bien évidemment pas exhaustifs) le terreau sur lequel fonder une alternative. Pour l’instant, ces différentes initiatives restent tout de même isolées et la question de la coalisation – ou plutôt du passage à une autre échelle, systémique celle-là – est assurément l’un des enjeux principaux des années à venir. Aussi longtemps que les luttes demeureront sectorielles (même si on a pu voir des convergences entre le comité Adama et les Gilets jaunes par exemple), elles ont toutes les chances d’être vouées à l’échec.

Ne nous leurrons pas, en effet, pris isolément chacun des mouvements est relativement facile à juguler pour les pouvoirs en place et condamné, pour se faire entendre, à prendre des options de plus en plus radicales qui ont toutes les chances de se couper d’une part substantielle de la population alors même que notre seule force ou presque est celle du nombre. Le point corollaire de la coalisation est assurément celui du débouché politique de l’ensemble de ces mouvements. À l’époque contemporaine et avec la puissance de feu des pouvoirs en place, je crois assez utopique une prise de pouvoir autre que par les moyens institutionnels – il est certes possible de construire des alternatives localistes mais le passage à la phase systémique semble complexe de ce point de vue-là. Dès lors, la construction d’une forme de plateforme commune reposant en tout premier lieu sur la question institutionnelle pour déverrouiller le système me parait être une impérieuse nécessité.

Pour aller plus loin :

Les citoyens qui viennent, Vincent Tiberj

« En sortir » – mais de quoi et par où ?, Frédéric Lordon sur La Pompe à phynance

La nouvelle lutte des classes, Slavoj Žižek

Le Talon de fer, Jack London

Problèmes de la transition, Frédéric Lordon sur La Pompe à phynance

Le coup d’Etat citoyen, Elisa Lewis & Romain Slitine

La guerre sociale en France, Romaric Godin

Crédits photo: David avec la tête de Goliath, Le Caravage

10 commentaires sur “L’action citoyenne pour éviter le pire ?

  1. Plutôt intéressant, chercher à mobiliser les gens dans une action commune, bien que la plupart de ces gens porte des intérêts particuliers de groupe,’ faire cause commune pour faire évoluer les choses, il suffit tout simplement d’y croire pour que les choses se réalisent, vous êtes sûrement un grand rêveur, faire vivre nos rêves diront certains, étant plutôt sceptique, n’arrive pas à croire que les choses sont vrai et pourtant…

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  2. Derrière une vérité s’en cache une autre, puis encore une autre…peut être bien encore et encore une autre vérité, plutôt devront dire plusieurs niveaux de réalités, plusieurs dimensions qui forme un tout, peut être bien que mon monde est celui de la quatrième dimension ? Va savoir…

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  3. Ne pas validé mes commentaires…bien mieux ainsi…pas très intéressant sont mes propos, la plupart du temps, commente des articles…sans les diffusé, plus pour moi que a autrui, bien à vous…

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  4. Vous avez validé mes commentaires ! Sinon en effet…de multiples exemple au fil du temps où l’action collective à eu ses effets, on ne peu pas dire le contraire, derrière les intérêts de groupe, se dissimule d’autres intérêts…individuellement ou collectivement…bien souvent de l’ordre de l’inconscient, les rêves sont dans ses conditions ce qui permet de faire cause commune, les rêves portés par les hommes peuvent parfois devenir réel, surtout par ceux qu’ils vivent leurs rêves tout éveillé…les rêveurs du jour.

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    • Oui la validation n’est pas automatique c’est pour cela qu’ils ne sont pas directement apparus. Évidemment il peut y avoir d’autres intérêts que ceux du groupe mais l’action collective permet de sortir souvent de l’ornière selon moi

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  5. L’action collective est sans aucun doute nécessaire, très utile pour faire avancer de nouvelles idées, faire évoluer les choses sur le plan économique et sociale, pour une société avec une meilleure cohésion, de mon point de vue….les choses ne pourront que évoluer, on ne peu s’opposé au cours naturel des choses, seulement, suis plutôt en conflit avec moi même, le savoir peu être parfois très pesant…difficile pour le sceptique de trouver sa voie, d’autant plus quand il ne se reconnaît d’aucun groupe, il me semble que me sois perdu sur mon chemin ou plutôt ne pas savoir qu’elle direction prendre, la faille qui mène le sceptique dans une impasse, tout à chacun son chemin…bon vent à vous.

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