La tyrannie de l’instant

2 septembre 2015. Une photo fait la une de presque tous les journaux  en Europe. Cette photo c’est celle du petit Aylan Kurdi. Rapidement elle fait le tour de la toile. Les réactions – des politiques comme des citoyens – sont unanimes. Entre l’horreur et la pitié, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut trouver une solution à la crise des migrants, qu’il est absolument intolérable que l’Union Européenne érige des murs et laisse la Méditerranée devenir un vaste cimetière sous-marin, un cimetière dans lesquels les idées humanistes de l’Europe sombrent jour après jour. Pour les médias – et pour tout un chacun – c’était clair, cette photo marquait une rupture dans la crise des migrants, une rupture fondamentale disaient même certains. Plus rien ne serait jamais comme avant criait-on tous en cœur.

Déjà à ce moment-là, le philosophe Michel Onfray nous mettait en garde sur la portée de cette photo, prévenant qu’elle avait de grandes chances de devenir un symbole parmi d’autres sans rien changer de concret. Il avait été, à l’époque, vilipendé par nombre de médias. Et pourtant, exactement cinq mois après cette funeste photo, rien ou presque n’a changé. Chacun est retourné à sa vie quotidienne, oubliant bien vite les professions de foi et les larmes versées ce 2 septembre. Depuis ce jour, 300 autres petits enfants ont péri en tentant de rejoindre l’Europe et bien plus de personnes si l’on prend en compte les adolescents et les adultes. Lire la suite

L’humanitaire, nécessaire mais loin d’être suffisant

A la suite de la publication de la terrible photo d’Aylan Kurdi, ce petit enfant syrien échoué sur une plage turque, les ONG et les associations humanitaires ont reçu des dons massifs. Prenant conscience, à l’aide de cette photo, de la gravité de la situation, l’opinion publique européenne s’est ainsi emparée de la question en faisant parvenir des sommes d’argent rarement vues en aussi peu de temps. Beaucoup d’associations ont même parlé d’un mouvement de générosité sans précédent dans la mesure où beaucoup d’entre elles n’avaient jamais reçu autant de dons en si peu de temps.

Cet engouement massif pour les associations humanitaires est, certes, une bonne chose. Toutefois, il a aussi eu pour conséquence de mettre en évidence que, si les associations et ONG humanitaires sont nécessaires pour endiguer quelque peu le malheur du monde, se reposer simplement sur leurs actions est à la fois hypocrite et totalement illusoire. C’est ainsi que ces associations ressemblent à s’y méprendre aux palliatifs que l’on donne aux personnes en fin de vie : elles soulagent quelque peu le malheur du monde mais à elles seules, elles sont incapables de réellement endiguer celui-ci. Finalement, elles peuvent même apparaitre comme dangereuse dans la mesure où en déléguant l’action à ces structures, l’opinion publique se détache complètement des problèmes. Lire la suite

La France dans le monde, entre affirmation diplomatique et déclin intellectuel

A la suite de la décolonisation, notre pays a eu une volonté farouche de conserver son pré carré en Afrique. Cette nostalgie de grandeur, symbolisée notamment par les références incessantes au Général De Gaulle, se trouve ainsi matérialisée dans le positionnement qu’adopte la France depuis de nombreuses années. Evidemment, l’époque de la Françafrique est révolue à écouter les différents dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays. Mais pour autant, la France occupe aujourd’hui encore une place bien singulière dans les affaires internationales en tentant de s’affirmer vaille que vaille face aux autres grandes puissances à l’heure d’un monde multipolaire et porteur de nombreux risques à l’échelle planétaire.

Diplomatiquement, la France s’efforce ainsi d’être au premier rang dans de nombreuses situations compliquées, voire inextricables, que nous connaissons aujourd’hui. Tantôt leader, tantôt acteur, tantôt initiateur, notre pays parvient encore, malgré le procès en perte d’influence qui lui est intenté par certains hommes et femmes politiques, à se frayer un chemin de crête entre les mastodontes qui composent la géopolitique mondiale. Cette affirmation géopolitique, si elle existe concrètement, n’est malheureusement plus suivie par une affirmation intellectuelle. Ce n’est plus la pensée française qui irrigue le monde telle que cela a pu être le cas par le passé, la faute à un nombrilisme inquiétant symbolisé par la résurgence de la question identitaire. Lire la suite

Le retour de l’Iran ou la peur de l’impérialisme

Longtemps paria des relations internationales, l’Iran revient de plus en plus dans le jeu de la diplomatie. L’élection de Hassan Rohani, un président vu comme progressiste, puis l’accord sur le nucléaire de juillet dernier ont contribué à replacer l’Iran au centre de la diplomatie mondiale et plus précisément au cœur des problématiques du Proche et du Moyen-Orient. Longtemps catalogué comme faisant partie de l’axe du mal après la révolution islamique de 1979 qui a chassé le Shah pour instaurer une théocratie, l’Iran, seul pays chiite du Moyen-Orient, a été souvent très isolé.

Son environnement proche lui était, en effet, hostile en raison de l’opposition entre sunnites et chiites et, pour ne rien arranger, les grandes puissances occidentales, Etats-Unis en tête, ont longuement soutenu l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Les puissances du Moyen-Orient voient donc d’un très mauvais œil ce retour au premier plan de l’Iran. L’Arabie Saoudite et le Qatar craignent, en effet, grandement un retour en force de l’Iran et, de facto, le retour des velléités expansionnistes et impérialistes de l’Iran. Personne n’a oublié que l’Iran descend directement de l’ancien Empire Perse et les pays sunnites redoutent grandement un retour des ambitions impérialistes. Lire la suite

Chine cherche tête chercheuse

La Chine est devenue un géant mondial dans la R&D (recherche et développement) mais en va-t-il de même en matière d’innovation ? On assimile souvent à tort R&D et innovation mais la R&D n’est qu’un des éléments du processus d’innovation. Depuis 2000, le gouvernement a mobilisé d’importantes ressources dans ce domaine. La Chine compte aujourd’hui le plus grand nombre de chercheurs et d’ingénieurs engagés dans la R&D. Elle a les 3èmes dépenses du monde dans ce domaine, elles ont presque quadruplé au cours des 7 dernières années pour atteindre 123 Milliards d’€ (70% par les entreprises) soit 1,94% du PIB. La production high-tech représente désormais plus de 30% des exportations totales mais ces exportations sont surtout constituées de composants peu innovants. En outre, la part de la Chine dans les brevets mondiaux est seulement de 1%. Lire la suite

Tel Aviv sur Seine ou le règne du manichéisme

« Soutien total à l’initiative de la Ville de Paris et à Tel Aviv sur Seine. Halte au déferlement de bêtise ». En 106 petits caractères, voilà comment Manuel Valls a réagi à la polémique à propos de Tel Aviv sur Seine. Une réaction digne d’un Premier ministre pour vous ? Pas pour moi en tous cas. Que Manuel Valls apporte son soutien à l’initiative de la ville de Paris est une chose normale. Volant au secours du Parti Socialiste parisien qui voit sa majorité au conseil municipal fracturée en raison de cet évènement, le Premier ministre est pleinement dans son rôle. Toutefois, la manière dont il l’a fait est plus que critiquable. Assimiler toutes les personnes qui contestent l’organisation d’un tel évènement à des abrutis n’est pas acceptable et constitue une nouvelle preuve de mépris envers le peuple.

Si la discussion et le dialogue sont éminemment importants dans cette problématique, le recours aux invectives et aux petites phrases frôlent l’inconscience. On peut reprocher à Anne Hidalgo d’avoir organisé cet évènement mais on ne peut pas lui reprocher de n’avoir pas cherché à expliquer les raisons de celui-ci. En publiant une tribune dans Le Monde, elle a en effet tenté d’expliquer par le dialogue pourquoi elle défendait Tel Aviv sur Seine. Quoi que l’on pense de sa position, elle a fait ce premier pas vers l’autre qui me semble primordial parce que pour être en désaccord, encore faut-il être d’accord pour discuter. Ce reproche que j’adresse à certains défenseurs de Tel Aviv sur Seine, je l’adresse également à certains contempteurs de cet évènement. A trop généraliser et essentialiser, on en arrive à un manichéisme inquiétant qui ne peut être vecteur que de divisions et de violences. Lire la suite

Le Canal de Suez, symbole de la soumission des élites égyptiennes

Jeudi dernier, le président égyptien Abdal Fattah al-Sissi a inauguré en grande pompe le « nouveau canal de Suez ». François Hollande était l’invité d’honneur de cette grand-messe à la gloire du président égyptien. Dans la foulée, l’Egypte annonçait se positionner pour racheter un des deux porte-avions Mistral que la France n’a pas livré à la Russie. Certains y verront sans doute un simple concours de circonstances mais comment ne pas y voir un échange de bons procédés entre deux «amis» du type : je viens t’aider à avoir le soutien populaire et tu me sors du bourbier dans lequel je me suis mis.

La présence de François Hollande à cette inauguration du «nouveau canal de Suez» nous apprend deux choses principales à mon sens. Avant d’être politique, le symbole est surtout historique pour l’Egypte et les égyptiens. Près de 60 ans après la crise de Suez, cette présence, quasi-vitale pour al-Sissi, de la France lors de l’inauguration tranche avec la présence violente des troupes françaises sur les bords du canal en novembre 1956. Le symbole est aussi politique : aller parader pour al-Sissi revient de facto à accepter encore une fois le coup d’Etat perpétré par l’armée égyptienne au détriment de Mohamed Morsi et des Frères Musulmans. Lire la suite

Comme un malaise face aux commémorations d’Hiroshima…

Hier marquait donc les 70 ans du bombardement d’Hiroshima par les américains. Des commémorations ont eu lieu un peu partout dans le monde. En voyant ça, ainsi que le hashtag Hiroshima en top trend mondiale sur Twitter, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir un certain malaise. Alors évidemment que l’Histoire est importante et qu’Hiroshima marque en quelque sorte la victoire finale des Alliés sur l’axe du mal mais tout de même, le bombardement d’Hiroshima a coûté la vie à près de 80 000 japonais.

Beaucoup se sont exaltés au moment de ce bombardement. A l’époque, déjà, des voix s’étaient élevées contre cette exaltation. Camus, dans Combat, écrivait le 8 août 1945 : «la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie» et ajoute plus loin  «en attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles». Je le rejoins sur ce point. Je trouve indécent de célébrer une découverte qui sert avant tout la destruction. Pour aller plus loin, et adapter cette indignation au temps présent, je trouve indécent de célébrer une mort et abject de chercher à justifier l’assassinat ou le meurtre. Lire la suite

De l’hypocrisie à propos d’Israël

Ali Saad Dawabsha, le bébé tué vendredi par des colons israéliens, n’est pas la première et ne sera sans doute pas la dernière victime de la colonisation que mène sciemment l’Etat d’Israël en Cisjordanie. Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a évidemment condamné fermement cet acte qu’il a qualifié de «terroriste». Mais l’hypocrisie est bien grande dans la bouche d’un Premier ministre à la tête d’un gouvernement de droite et d’extrême-droite qui prône, officiellement, l’expansion ininterrompue des implantations juives en territoire palestinien. C’est sur ce programme que Nétanyahou a été réélu. Vouloir dissocier complétement la politique de colonisation des actes horribles qu’elle engendre est faire preuve d’une mauvaise foi inouïe.

D’une certaine manière, les colons qui passent à l’acte se situent dans la stricte continuité des discours du gouvernement. Armés, ces colons disent agir au titre de la « vengeance » ou du « prix à payer » – façon de dénoncer les obstacles qu’ils peuvent rencontrer, de la part des Palestiniens ou des autorités israéliennes, dans l’extension de la colonisation. Leurs méfaits restent, le plus souvent, impunis. Ils disposent de relais au plus haut niveau de l’Etat. Ils obéissent à une idéologie qui est, après tout, celle que véhicule la majorité gouvernementale. Quand le gouvernement utilise des mots, ces zélés utilisent des cocktails Molotov et des kalachnikovs. Voilà la réalité de la situation et la mauvaise foi développée par les sionistes n’y changera rien. Lire la suite

Le roi d’Arabie Saoudite, la plage de Vallauris et l’hypocrisie

Le roi d’Arabie Saoudite a donc pris ses quartiers sur une plage de Vallauris. Ladite plage avait été préalablement privatisée par un arrêté préfectoral interdisant son accès à toute personne n’appartenant pas à la cour du roi saoudien. Malgré les polémiques et les multiples levées de bouclier engendrées par cette privatisation, le préfet n’a pas reculé. Christian Estrosi s’en est d’ailleurs offusqué affirmant qu’il était «scandaleux» qu’une personne, aussi puissante soit-elle, s’approprie un espace public. Réelle indignation ou simple manœuvre électorale en vue des régionales de la fin de l’année ? Je laisse chacun en juger.

D’autres, au contraire, se sont réjouis de la manne financière que pouvait apporter la venue de ces riches touristes dans le sud de la France en considérant que, finalement, privatiser une plage était un prix à payer plutôt négligeable au regard de l’apport financier que la ville allait recevoir. Personnellement, ce qui me dérange le plus dans cette affaire, c’est l’indignation sélective dont peuvent faire preuve les hommes politiques ou l’opinion publique. Indignation sélective à la fois sur les rapports entre la France et l’Arabie Saoudite mais aussi, et peut-être surtout, sur la question de la privatisation des plages. Lire la suite