Guerre d’Algérie : Quelle histoire, quel récit, quel avenir ?

Alger, le port – Maurice Boitel

Il y a maintenant plus d’une semaine, le rapport commandé par l’Elysée à l’historien Benjamin Stora pour « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » a été remis à Emmanuel Macron. Depuis son déplacement en Algérie en tant que simple candidat à la présidence, il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Depuis l’actuel pensionnaire de l’Elysée manie l’histoire à sa sauce et donne l’impression de vouloir dire ce que son public veut entendre plutôt que de faire preuve de cohérence. Ce rapport commandé à un expert de la guerre d’Algérie et de son traitement a permis de remettre une pièce dans la machine médiatique et politique. Au final, pour pas grand chose ?

Les propositions de Benjamin Stora compilées dans son rapport plaident pour un meilleur traitement de la question de la colonisation et sur la lutte émancipatrice algérienne. L’ouverture des archives, des bourses pour que des chercheurs algériens puissent y avoir accès et produire des textes ou mémoire, un meilleur traitement de ces sujets à l’école mais aussi une volonté de mieux commémorer ou honorer certains groupes, dates ou morts, voila un petit exemple des préconisation de l’historien. Dans l’ensemble, Benjamin Stora demande que la république change totalement son fusil d’épaule sur ce sujet et assume ses fautes, ses exactions et le traitement qu’elle a infligé à une large de la population qu’elle avait sous sa responsabilité. Un vœu suffisant pour réellement changer la donne dans la vie des gens et surtout de ceux qui subissent encore des discrimination ? Le doute est grand.

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L’armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale en quelques lignes

Il y a quelques jours était célébré, en France, le 75ème anniversaire du débarquement de Normandie. C’était ainsi l’occasion de commémorer la victoire des forces Alliées sur celles de l’Axe et plus précisément encore la mise à mal du projet nazi et de son ambition hégémonique sur l’Europe. C’est donc tout naturellement que cette célébration a rassemblé un grand nombre d’invités provenant des pays ayant combattu le troisième Reich. La Russie, pourtant héritière de l’URSS pays ayant éminemment participé à la chute de l’Allemagne hitlérienne, n’était pourtant pas invitée et donc pas présente lors de ces commémorations. Cet affront, puisqu’il faut le nommer ainsi, fait aux Russes n’est que l’énième d’une très longue série à propos de cette guerre.

Après tout, cette non-invitation n’est guère surprenante venant d’un pays où certains éditorialistes anciennement dévolus au football pérorent désormais en expliquant que les communistes étaient des collaborateurs. La lumière est effectivement bien plus mise, en France comme dans bien des pays occidentaux, sur le pacte germano-soviétique – en prenant bien garde d’occulter les raisons qui ont abouti à un tel pacte – que sur l’apport décisif de l’armée rouge durant la guerre. Tout ceci n’est évidemment pas sans lien avec l’objectif de diaboliser la Russie.

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L’Histoire, victime des manœuvres politiciennes

Dimanche dernier, les électeurs de droite et du centre ont donc désigné le candidat qui sera le représentant de Les Républicains à la présidentielle de 2017. François Fillon intronisé, c’est aussi la fin d’une campagne interne à la droite qui aura tourné autour de sujets relativement peu variés. Durant plus de deux mois, cette primaire a polarisé l’attention si bien que les thèmes récurrents qui l’ont jalonnés ont marqué ces quelques mois de la vie politique française. Parmi les sujets abordés à de nombreuses reprises, l’Histoire a eu un rôle tout particulier en cela que dans une forme d’immanence elle s’immisçait dans la quasi-totalité des débats de manière directe ou indirecte.

Bien sûr la fameuse question du récit national – nous y reviendrons plus tard – si chère à François Fillon a eu une place importante mais il me semble que la question de l’Histoire s’est retrouvée à de nombreuses reprises dans les débats sans forcément qu’on le perçoive, de prime abord. Que ça soit sur l’histoire très récente ou sur l’histoire bien plus ancienne, il me semble que l’ensemble de la sphère politique utilise ladite histoire et finit finalement par la dévoyer. Embarquée dans ces sombres manœuvres politiciennes de bas étage, l’Histoire ne parvient plus à se défendre et doit compter sur l’appui de l’éducation populaire pour se sortir des limbes de l’ignorance ou du cynisme dans laquelle la jette nos irresponsables responsables politiques (à ce titre, le travail de déconstruction de ces inepties entrepris par Mathilde Larrère et Laurence Decock sur Twitter et sur Mediapart dans leurs chroniques Les Détricoteuses me semble être salvateur). Lire la suite

En France, la droite la plus en retard d’Europe

Hier soir a donc eu lieu le « grand débat » de la primaire de droite et du centre. Si quelques divergences sont apparues, ledit débat fut relativement ennuyeux au vu du feu d’artifice qu’on nous avait promis. Finalement ce constat n’est guère surprenant tant les projets de l’un et l’autre candidat sont proches. Alors oui Alain Juppé a attaqué François Fillon sur la Sécurité sociale et en retour l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a reproché en creux à l’ex-Premier ministre de Jacques Chirac d’avoir un programme qui n’est pas assez radical. Toutefois, dans les grandes lignes les deux projets présentés hier se rejoignent largement.

Les deux concurrents proposent en effet l’approfondissement de la politique menée par Messieurs Hollande et Valls depuis bientôt cinq années en allant toujours plus loin dans la libéralisation de l’économie, dans le recul de l’Etat et dans les cadeaux faits aux entreprises au détriment des citoyens. Pour résumer, les deux candidats nous proposent un projet d’austérité dans la droite lignée de ce qui nous a été proposé durant cinq années. Baisse du nombre de fonctionnaires et de la dépense public, casse du code du travail et maîtrise acharnée des dépenses publiques forment une sorte de triptyque dans les deux projets. Il y a bien sur des différences de degré entre l’ordolibéralisme de Juppé et le néolibéralisme profond de Fillon mais dans le fond les deux sont fidèles à la droite française dans le retard qu’ils ont dans leur approche des problèmes et dans les solutions qu’ils proposent. Lire la suite

Quatrevingt-treize ou le tonnerre de la Révolution

Après m’être essayé à la critique littéraire sur des œuvres conséquentes mais pas monumentales (Martin Eden, La Part de l’autre ou encore La Peste), je m’attaque aujourd’hui à une montagne : Quatrevingt-treize de Victor Hugo. Peut-être le plus grand de tous ses romans, assurément le roman à avoir lu si on s’intéresse de près à l’Histoire de France et donc, de facto, à la Révolution, Quatrevingt-treize a une ambition énorme, certains diront démesurée : celle de rendre compte de la Révolution tout en s’engageant dans un plan beaucoup plus idéel, moral et éthique. D’aucuns y verront peut-être de l’hybris mais tout le génie de Victor Hugo est d’avoir cette ambition tout en restant humble vis-à-vis de l’Histoire.

Lantenac, Cimourdain, Gauvain. Voilà les trois personnages centraux de ce roman monumental. Le marquis de Lantenac est l’âme de l’insurrection vendéenne à la tête des partisans de la contre-Révolution. Cimourdain est l’incarnation du stoïcisme et de l’inflexibilité intraitable des délégués de la Convention et du Comité de Salut Public. Gauvain, enfin, neveu de Lantenac et donc noble, a rejoint le peuple et lutte pour la République. Il est également la figure de l’Homme qui place ses idéaux d’égalité et de justice au-dessus de toute autre considération. Tout, ou presque, semble donc opposer les trois protagonistes à l’ouverture du roman. Et pourtant, tout au fil du roman les positions vont fluctuer jusqu’au livre dernier, celui de l’apocalypse.
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Hitler n’était pas fou

La vie nous réserve parfois son lot d’ironie et de circonstances cocasses. C’est ce que j’ai ressenti en lisant La Part de l’autre d’Eric-Emmanuel Schmitt. Au même moment, en effet, une polémique naissait en Allemagne à propos du film Er ist wieder da (comprenez « il est de retour ») tiré d’un best-seller et qui relate une fiction dans laquelle Hitler se réveille à notre époque. Cette polémique vient nous rappeler qu’il existe encore un énorme tabou à propos de l’ancien dictateur allemand. Il est assez drôle de constater que ces controverses et ces polémiques avaient aussi accompagné la parution du livre de Schmitt. Il en fait d’ailleurs le récit dans le journal à la fin du livre.

Pourquoi un tel tabou ? L’auteur de La Part de l’autre l’explique bien dans le livre (qui est le roman d’Adolf Hitler et d’Adolf H, son alter ego, ce qu’aurait pu devenir Hitler). Ce qui est en jeu, c’est la vieille distinction entre « comprendre » et « excuser » voire « justifier ». En somme la plupart des gens estiment que comprendre Hitler revient à excuser l’abominable crime qu’il a perpétré. Derrière cette première raison, se cache une autre raison, plus perverse elle. Il s’agit en fait de noircir Hitler pour mieux se blanchir, de se dire qu’Hitler était fou et que seul un génie du mal pouvait suivre cette pente. Tout le génie d’Eric-Emmanuel Schmitt est de nous montrer, tout au long du livre, que cette vision est complètement erronée, que tous, selon les circonstances ou selon nos analyses nous pourrions un jour devenir Hitler. Un tel livre ne vous laisse pas indemne.

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Le Canal de Suez, symbole de la soumission des élites égyptiennes

Jeudi dernier, le président égyptien Abdal Fattah al-Sissi a inauguré en grande pompe le « nouveau canal de Suez ». François Hollande était l’invité d’honneur de cette grand-messe à la gloire du président égyptien. Dans la foulée, l’Egypte annonçait se positionner pour racheter un des deux porte-avions Mistral que la France n’a pas livré à la Russie. Certains y verront sans doute un simple concours de circonstances mais comment ne pas y voir un échange de bons procédés entre deux «amis» du type : je viens t’aider à avoir le soutien populaire et tu me sors du bourbier dans lequel je me suis mis.

La présence de François Hollande à cette inauguration du «nouveau canal de Suez» nous apprend deux choses principales à mon sens. Avant d’être politique, le symbole est surtout historique pour l’Egypte et les égyptiens. Près de 60 ans après la crise de Suez, cette présence, quasi-vitale pour al-Sissi, de la France lors de l’inauguration tranche avec la présence violente des troupes françaises sur les bords du canal en novembre 1956. Le symbole est aussi politique : aller parader pour al-Sissi revient de facto à accepter encore une fois le coup d’Etat perpétré par l’armée égyptienne au détriment de Mohamed Morsi et des Frères Musulmans. Lire la suite