Le Canal de Suez, symbole de la soumission des élites égyptiennes

Jeudi dernier, le président égyptien Abdal Fattah al-Sissi a inauguré en grande pompe le « nouveau canal de Suez ». François Hollande était l’invité d’honneur de cette grand-messe à la gloire du président égyptien. Dans la foulée, l’Egypte annonçait se positionner pour racheter un des deux porte-avions Mistral que la France n’a pas livré à la Russie. Certains y verront sans doute un simple concours de circonstances mais comment ne pas y voir un échange de bons procédés entre deux «amis» du type : je viens t’aider à avoir le soutien populaire et tu me sors du bourbier dans lequel je me suis mis.

La présence de François Hollande à cette inauguration du «nouveau canal de Suez» nous apprend deux choses principales à mon sens. Avant d’être politique, le symbole est surtout historique pour l’Egypte et les égyptiens. Près de 60 ans après la crise de Suez, cette présence, quasi-vitale pour al-Sissi, de la France lors de l’inauguration tranche avec la présence violente des troupes françaises sur les bords du canal en novembre 1956. Le symbole est aussi politique : aller parader pour al-Sissi revient de facto à accepter encore une fois le coup d’Etat perpétré par l’armée égyptienne au détriment de Mohamed Morsi et des Frères Musulmans.

Suez, de symbole de résistance à symbole de soumission

Comme je l’écris plus haut, la portée historique du symbole constitué par la présence de François Hollande au moment de cette inauguration est plus qu’importante. Finalement, ce deuxième canal, financé à plus de 80% par le peuple égyptien, n’est qu’un instrument pour asseoir le côté pharaon d’al-Sissi. C’est surtout pour laisser son nom dans les livres d’Histoire et pour parader aux côtés de Hollande que le président égyptien a fait construire ce deuxième canal. Ce n’est, d’ailleurs, pas le peuple égyptien qui profitera en premier lieu de la manne financière générée par ce deuxième canal. Est-ce, en effet, un hasard si c’est en marge de cette inauguration que l’Egypte s’est déclarée prête à acquérir un Mistral ? Dans un pays qui a vu ses recettes touristiques drastiquement baisser depuis la destitution d’Hosni Moubarak, dans un pays qui est rongé par la pauvreté, il semble plus important de mettre en œuvre des projets pharaoniques que de nourrir sa population.

Ancien symbole de résistance, le canal de Suez n’est aujourd’hui plus que l’illustration d’une soumission totale des élites égyptiennes. Lors de la crise de Suez en 1956, Nasser en avait profité pour affirmer une position forte de l’Egypte, ralliant même à sa cause les Etats-Unis et l’URSS (ce qui n’était pas une mince affaire en pleine Guerre froide). Désormais, les élites au pouvoir sont totalement soumises aux élites occidentales (d’aucuns vont même jusqu’à affirmer que la plupart des présidents des pays arabes ne seraient que des pantins). Pourquoi sont-elles soumises me direz-vous ? C’est assez simple, ce sont les Etats-Unis qui payent l’armée égyptienne pour commencer. Ensuite, comment ne pas être soumis quand l’on sait qu’on est au pouvoir grâce au bon vouloir des dirigeants occidentaux et quand l’on sait que notre arrivée au pouvoir illégitime a été légitimé par eux ?

En Égypte, la démocratie assassinée, l’Occident complice

3 juillet 2013, l’armée égyptienne menée par al-Sissi renverse le président issu du mouvement des Frères Musulmans. Dans les jours qui ont suivi ce coup d’Etat, nous avons eu droit à des réactions pour le moins farfelues chez nous. Certains sont même allés jusqu’à qualifier ce coup d’Etat de démocratique (on n’est plus à une absurdité près n’est-ce pas ?). Pour étayer leurs propos ces personnes ont mis en avant les manifestations importantes qui réclamaient le départ du président Morsi. Depuis quand des manifestations, même gigantesques, donnent le droit de faire un coup d’Etat ? Morsi a été élu avec un peu plus de 51% des suffrages, il y avait donc une bonne part de la population qui ne voulait pas de lui comme président, ce n’est pas pour autant une raison de l’évincer. Hollande a-t-il été obligé de partir lors des manifestations contre le mariage pour tous ? Il ne me semble pas, à moins que ma mémoire ne me fasse défaut. Les pays occidentaux auraient sûrement préféré une victoire du candidat du sérail. Nombre d’observateurs politiques ont, effectivement, parlé d’automne islamiste au moment des élections, histoire d’opposer le printemps Arabe auquel ils adhéraient aux choix effectués par les peuples arabes qu’ils réprouvaient.

En réalité, les pays occidentaux ne veulent pas de la démocratie dans les pays arabes. Ils s’accommodent très bien de régime autocratique tant que ceux-ci ne gênent pas leurs intérêts dans ces pays. La vague d’indignation que l’on a vu poindre en Occident après les différentes victoires de partis dits « islamistes » dans les pays arabes le montrent bien. Grand défenseurs de la démocratie dans la théorie, les pays occidentaux sont prêts à toutes les manœuvres possibles pour discréditer les partis qui les dérangent. Il n’y a qu’à voir les campagnes médiatiques contre Ennahda ou contre Abdel-Ilah Benkiran, premier ministre marocain. Quant aux Frères Musulmans, ils sont abandonnés à leur sort après le coup d’Etat soutenu par les différents pays occidentaux. Les condamnations à mort et les exécutions pleuvent sans que ça n’émeuve grand monde de l’autre côté de la Méditerranée. La démocratie oui mais si vous votez pour ceux que nous voulons, voilà le véritable credo des pays occidentaux vis-à-vis des peuples arabes.

Il ne faut pas croire que cette vision machiavélique est née avec les Révolutions Arabes. Déjà en 1991, les pays occidentaux avaient fermé les yeux sur un déni de démocratie dans le monde arabe : l’armée algérienne avait alors annulé les élections après que le FIS (Front Islamique de Salut) soit arrivé en tête au premier tour. En fermant les yeux sur cette pratique violente et ô combien antidémocratique, l’Occident s’est rendu complice d’une guerre civile qui coûta la vie à environ 100 000 Algériens et qui a abouti à une barbarie sans nom (faut-il rappeler ici les têtes décapitées et remises dans des couffins aux mères, aux filles et aux femmes des victimes ?).

Décidément, l’Occident n’aime pas la démocratie malgré tout ce que l’on peut entendre.

4 commentaires sur “Le Canal de Suez, symbole de la soumission des élites égyptiennes

  1. Plusieurs réactions:

    L’économie égyptienne dépend du canal de Suez, et des travaux d’agrandissement (ou construction d’un canal plus grand) étaient nécessaire à la pérennité du passage. Al-Sissi a donc raison de s’engager sur cette voie, quitte peut-être à utiliser cette manne pour développer autrement son pays. L’avenir nous le dira.

    Contrairement à Morsi, le dirigeant actuel cherche des appuis, indispensables pour rester au pouvoir, dans une zone instable. Acheter un Mistral (et des Rafales, ne l’oublions pas) c’est s’assurer l’appui de la France. L’Égypte n’a évidemment pas besoin de ce type de navire.

    Le grand problème de Morsi a été une mauvaise gestion, sur laquelle a pu prospérer la contestation. En plus de cela, sa politique étrangère a été trop en contradiction avec les intérêts des puissants. Selon moi, un dirigeant d’un petit pays doit s’assurer le soutien populaire et extérieur avant d’engager une politique indépendante, petit à petit. Je prends pour exemple la Russie, que je connais mieux: Poutine a été jusqu’en 2004, peut-être même jusqu’en 2007, un fidèle allié des USA, et même de l’UE. Il a pu régler ses problèmes internes (Tchétchénie, Oligarques) avant de s’attaquer à une politique indépendante, avec le soutien de la population (démographie, armée, multi-polarité).

    Les dirigeants occidentaux s’en foutent pas mal de la démocratie, que ce soit chez eux ou ailleurs. C’est bien sûr malheureux de constater que les pays faibles doivent d’abord se soumettre pour ensuite se développer, mais c’est la réalité. Une fois le soutien populaire acquis, il devient très dur pour les Occidentaux de perpétrer des coups d’États. Ensuite, il faut bien dire qu’un régime autoritaire peut être soucieux de sa population, et légitime (et parfois élu). Nasser n’était pas un enfant de chœur.

    Enfin on peut se poser la question de la démocratie. Si le FIS avait gagné les élections et était arrivé au pouvoir (probabilité quasi-certaine), aurait-il engagé une politique « démocratique »? C’est à dire aurait-il respecté les élections? Je le pense. Mais aurait-il respecté ceux qui n’ont pas voté pour lui? Non. Tel Ennahda en Tunisie, vouloir imposer la loi islamique dans la constitution ne respecte pas ceux qui ont voté contre, ni les minorités non-musulmanes. D’ailleurs la loi islamique vient de Dieu, la démocratie vient des hommes, il y a contradiction. Une démocratie saine ne peut pas simplement se reposer sur 51% des votants (donc combien des inscrits? combien parmi la population totale?).

    Mettre sa politique au service de son idéal, oui. Mais il ne suffit pas d’avoir le pouvoir, encore faut-il le conserver.

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    • Sur Morsi je ne rejoins pas totalement ton analyse. Sa mauvaise gestion n’était qu’un leurre. C’est l’armée qui coupait l’électricité ou l’eau pour ensuite dire « regardez Morsi fait tellement n’importe quoi qu’on n’a même pas d’eau ou d’électricité ». Tu peux pas comparer l’Etat-continent qu’est la Russie forte de toute son histoire (Guerre Froide etc) avec le petit pays qu’est l’Egypte.

      Tu dis qu’avant de mener une politique étrangère ambitieuse il faut s’assurer du soutien populaire mais dans aucune élection où le déroulement est démocratique c’est possible. Au mieux la personne réunira 60% des voix, ça fait quand même 40% des gens qui ne sont pas d’accord. Ou alors on fait des élections fantasques comme en Algérie où les mêmes sortent vainqueurs avec 98% des voix alors qu’il y a 15 candidats…

      Tu considères donc que nous ne sommes pas en démocratie saine ? Vu qu’Hollande a été élu avec 51% et des broutilles. Le Mariage pour tous dans la tête de certains c’est ne pas respecter ceux qui n’ont pas voté pour lui. L’équilibre est toujours précaire parce que si on pousse ta logique au bout on n’applique pas son programme.

      Sur ta dernière phrase on est totalement d’accord.

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  2. Certes, mais je persiste à croire que si Morsi avait pris le temps de consolider sa place, en mettant au début son idéal de côté, il aurait pu rester au pouvoir et finir par appliquer son programme. La Russie de la fin des années 90 était quand même bien délabrée, n’importe quel dirigeant qui aurait voulu brûler les étapes se serait fait descendre. Mais tu as raison, la Russie n’est pas l’Égypte, je tentais juste d’établir une analogie pour la situation politique.

    Mais donc l’important ce n’est pas de faire 51%, c’est d’en faire 70% à l’élection suivante. Donc non nous ne sommes pas dans une démocratie saine, Hollande a été élu avec 51% des votants au 2nd tour, grâce au bilan de Sarközy. Aujourd’hui il pèse 20% dans des sondages à mon avis complaisants. Selon moi, évidemment le vainqueur a le droit d’appliquer son programme, mais il n’est pas le président de ses électeurs, il est celui de tous les Français. Il y a donc forcément une bonne dose de compromis nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. Le but reste tout de même d’oeuvrer pour l’intérêt général, de contenter le plus de monde possible. Pour te répondre sur le Mariage pour tous, je crois que ce n’est pas le moment de diviser les Français… Un peu comme ce qui est fait avec Tel Aviv sur Seine.

    En fait je vois à long terme, je me dis qu’il vaut mieux appliquer son programme en 20 ans que de tout faire en 5 et de finalement tout perdre du jour au lendemain.

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