Comme un malaise face aux commémorations d’Hiroshima…

Hier marquait donc les 70 ans du bombardement d’Hiroshima par les américains. Des commémorations ont eu lieu un peu partout dans le monde. En voyant ça, ainsi que le hashtag Hiroshima en top trend mondiale sur Twitter, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir un certain malaise. Alors évidemment que l’Histoire est importante et qu’Hiroshima marque en quelque sorte la victoire finale des Alliés sur l’axe du mal mais tout de même, le bombardement d’Hiroshima a coûté la vie à près de 80 000 japonais.

Beaucoup se sont exaltés au moment de ce bombardement. A l’époque, déjà, des voix s’étaient élevées contre cette exaltation. Camus, dans Combat, écrivait le 8 août 1945 : «la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie» et ajoute plus loin  «en attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles». Je le rejoins sur ce point. Je trouve indécent de célébrer une découverte qui sert avant tout la destruction. Pour aller plus loin, et adapter cette indignation au temps présent, je trouve indécent de célébrer une mort et abject de chercher à justifier l’assassinat ou le meurtre.

Le bombardement était nécessaire nous dit-on, vraiment ?

Pour expliquer et justifier le bombardement de la ville japonaise, on nous affirme que celui-ci était nécessaire pour faire capituler le Japon. On nous dit que les soldats japonais, mus par leur sens aigu de l’honneur, ne se serait jamais rendu sinon. Et pourtant, à y regarder de plus près on constate bien vite que la vérité était toute autre. Après des années de guerre, l’économie japonaise était à genoux, le pays était exsangue et l’armée était complètement en déroute. Le bombardement de civils, qui plus est avec l’arme la plus meurtrière qui soit, ne s’imposait donc pas. Le Japon aurait capitulé rapidement, les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki n’ont surement accéléré cette capitulation que de quelques semaines.

Il faut donc reconsidérer le pourquoi de ce bombardement atomique. Souvent on entend que la première bombe était pour le Japon et la deuxième pour l’URSS (pour leur montrer que les Etats-Unis savaient fabriquer plusieurs bombes atomiques). Pour ma part, je penche plutôt pour une autre explication : les deux bombes étaient un message à l’URSS, une manière de dire «c’est nous les patrons et personne d’autre». D’autant plus qu’il fallait que les Américains trouvent quelque chose pour répondre à la libération de Berlin par l’Armée Rouge. En somme, le meurtre (ou l’assassinat appelez ça comme vous voudrez) de dizaines milliers de japonais se justifiait pleinement par ce jeu de gros bras opposant l’URSS et les Etats-Unis. Et c’est précisément sur ce point-là qu’on retrouve la logique d’Hiroshima et Nagasaki de nos jours, dans la légitimation du meurtre et de l’assassinat. Légitimation qui m’est intolérable.

L’intolérable justification du meurtre

Deux morts récentes m’ont conforté dans cette idée. En voyant les réactions de joie suivant les morts de Kadhafi et de Ben Laden, je vous avoue avoir eu la nausée. Loin de moi l’idée de défendre les actes de l’un ou de l’autre durant leur vivant mais voir des effusions de joie au moment où l’on a appris leur mort respective m’a dérangé. Quand des milliers d’Américains sont sortis dans les rues pour célébrer la mort de Ben Laden, comment ne pas voir, derrière le soulagement, une apologie du meurtre et l’émanation d’une logique mortifère ? Dans la tête des gens qui légitiment le meurtre ou l’assassinat le raisonnement me semble assez simple : pour eux, on est soit victime soit bourreau alors tant qu’à faire autant être bourreau. Ce raisonnement aboutit pour finir à légitimer des agissements inhumains (sous le nom de Realpolitik le plus souvent). Bombarder des zones civiles pour se protéger des terroristes, justifier le meurtre ou l’assassinat au prétexte que si on n’est pas celui qui tue on finira par être celui qui sera tué. Un film comme American Sniper est pleinement dans cette logique : faire d’un soldat qui a tué une centaine de personnes le héros d’un film revient qu’on le veuille ou non à justifier les meurtres et à en faire l’apologie.

Là encore je rejoins Camus dans son refus absolu de légitimer le meurtre et l’assassinat. D’abord dans La Peste puis dans ses Ecrits politiques, l’intellectuel franco-algérien développe une philosophie rejetant tout manichéisme qu’il résume dans la brillante formule « ni bourreau ni victime ». Loin de vivre dans un monde complètement utopiste, il dit lui-même que le meurtre ou la misère ne pourront sûrement jamais être éradiqués, il explique que si le meurtre et l’assassinat seront toujours présents, ce n’est pas pour autant qu’il faut les légitimer et les justifier. Il écrit d’ailleurs à ce propos : «La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut».

Voilà ce que m’ont inspiré les commémorations d’Hiroshima. Elles sont importantes parce qu’elles nous mettent en face d’une problématique qui est toujours contemporaine : la légitimation et la justification du meurtre. La fin justifie les moyens nous dit-on souvent mais finalement, comme l’écrit Camus : « «La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifie la fin ? À cette question, que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens».

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