Alors que l’exécutif a présenté son plan anti-pauvreté la semaine dernière après l’avoir reporté à de multiples reprises, dans une forme de message implicite affirmant que la pauvreté était le cadet des soucis de la caste au pouvoir qui préfère s’empresser de supprimer l’ISF ou d’instaurer un impôt forfaitaire pour mieux faire des cadeaux aux plus fortunés de ce pays, la ville de Besançon a fait la une de l’actualité cet été en raison de la publication d’un arrêté anti-mendicité par la mairie. Il faut dire que le symbole est à la fois puissant et désespérant quand la ville de Victor Hugo, auteur des Misérables et sans doute plus grand écrivain français ayant traité de la vie des petites gens avec Emile Zola, décide de chasser les sans-abris de ses rues comme si faire la manche était un délit.
Cette culpabilisation des personnes sans-abris ne fait finalement que s’inscrire dans la logique qui gouverne ce pays, celle qui se cache derrière le mythe de la responsabilisation qui explique aux dominés que s’ils le sont c’est qu’ils l’ont bien cherché – après tout peut-être suffirait-il aux sans-abris de traverser la rue pour trouver un toit tout comme il suffit aux chômeurs de passer sur le trottoir d’en face pour trouver un emploi. Il va sans dire que ces odieux arrêtés anti-mendicité présentant la misère comme un délit ne sont pas nouveaux. Il faut, me semble-t-il, toutefois convenir que leur prolifération n’est pas anodine et que celle-ci nous dit bien des choses sur la société dans laquelle nous vivons.
De la privatisation de l’espace public
Très longtemps ces arrêtés anti-mendicité ont été le quasi-apanage des villes dont le ou la maire était de LR voire du FN. Ce qui a marqué dans le cas de l’arrêté pris par le maire de Besançon est tout autant le caractère odieux de celui-ci en même temps qu’il provenait d’un élu LREM anciennement membre du Parti Socialiste. Pourtant, la logique qui sous-tend ces arrêtés est celle qui s’est progressivement propagée dans les hautes sphères de ce pays, celle de la privatisation à tout va. Si le PS s’est rapidement rallié à cette logique, les arrêtés anti-mendicité viennent symboliser la privatisation de l’espace public qui a cours un peu partout dans ce pays.
Il est effectivement utile de rappeler que la plupart des édiles qui ont pris ce type d’arrêtés – souvent retoqués par les tribunaux administratifs parce que contraire à certaines libertés fondamentales – le font bien souvent sous la pression des commerçants ou de certains riverains qui ne supportent pas d’avoir à partager l’espace public avec les vaincus de cette société et ne veulent pas avoir à cohabiter avec ces sans-abris qui, in fine, rappellent à quel point la société qu’ils défendent est inégalitaire, inhumaine et macabre. C’est donc une logique de totale privatisation de l’espace public que les maires décident la plupart du temps de légiférer par ces arrêtés à la fois odieux et souvent illégaux. Je suis d’ailleurs enclin à voir dans ces arrêtés une analogie de ce qu’il se passe sur les plages de la Côte d’Azur qui ont progressivement été privatisées si bien que la part des plages publiques s’est réduite comme peau de chagrin.
D’un épouvantail à l’autre
Je crois pourtant que par-delà cette logique de privatisation de l’espace public, la multiplication de ces arrêtés anti-mendicité nous dit quelque chose sur l’évolution de la société dans laquelle nous vivons et de la peur des décideurs publics par rapport aux conséquences des politiques profondément inégalitaires qu’ils mènent depuis plusieurs décennies. La figure du sans-abri a effectivement longtemps été l’un des épouvantails que le néolibéralisme a mis sciemment en avant pour faire peur aux masses. Dans la logique qui veut que la responsabilité individuelle supplante les politiques étatiques, la figure du sans-abri était effectivement bien commode pour faire peur et démontrer ce qui attendait les déviants pour reprendre les mots de Foucault dans Surveiller et punir. Si son travail se concentre principalement sur le système police-justice-prisons, il ne me semble pas absurde de l’appliquer aux sans-abris qui ont longtemps joué le rôle d’épouvantail que l’on ne cherchait pas à cacher mais au contraire à mettre en avant pour tenir à carreau les masses.
La rupture qui semble poindre – à savoir la volonté non plus d’utiliser les sans-abris comme des épouvantails mais de les cacher en les expulsant de l’espace public – trouve selon moi ses origines dans le fait que de plus en plus nombreux sont les Français à subir de plein fouet la politique néolibérale de la caste au pouvoir et que le monarque présidentiel accélère depuis son accession à l’Elysée. La dernière indécence de Bruno Le Maire expliquant qu’il était compliqué d’expliquer à des personnes appartenant aux déciles de revenus les plus élevés de la population la suppression d’un avantage de 370€ annuels pour permettre aux plus dominés de gagner un peu plus est là pour le notifier. Hier épouvantail commode pour faire peur aux masses, le sans-abri est aujourd’hui bien plus la figure dans laquelle de plus en plus de personnes peuvent se projeter tant la pauvreté gagne du terrain dans notre pays. L’expulser de l’espace public c’est donc faire en sorte que les dominés de cette société ne puisse pas s’imaginer tenant un morceau de carton dans la rue et subir les regards dédaigneux.
Dans cette nuit bien noire qui s’annonce, il y a pourtant de quoi espérer rallumer les étoiles. Je le disais plus haut, nombreux sont les arrêtés anti-mendicité à être retoqués par la juridiction administrative. Dans ce combat, nous venons de recevoir l’aide précieuse du conseil constitutionnel. En juillet 2018, ce dernier a consacré le principe de fraternité et en a fait découler un autre principe, celui de la liberté d’aider autrui. Longtemps nous avons été pareils à Sisyphe, condamnés à voir le rocher dévaler la pente après être presque arrivé au sommet. Quand bien même Camus nous invite à l’imaginer heureux, il est grand temps de passer de Sisyphe à David. De l’un à l’autre il n’y a qu’un pas, franchissons-le.
[…] De quoi les arrêtés anti-mendicité sont-ils le symptôme ? […]
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