Réponse au Covid et idéologie néolibérale

Le cheval de Troie – Tiepolo

Il y a quelques jours, Jean Castex a tenu une conférence de presse pour évoquer les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Au cours de celle-ci, il a expliqué que l’économie française allait à nouveau connaitre un recul de son PIB lors du 4ème trimestre de l’année en cours. S’il est encore trop tôt pour parler de récession – qui est techniquement définie comme deux trimestres ou plus consécutifs avec une croissance négative – les perspectives floues autorisent à penser qu’il se pourrait bien qu’une telle évolution ne surgisse à nouveau. Face à la colère des commerçants, face à la pauvreté qui s’accroit, face au scepticisme des citoyens vis-à-vis des mesures prises, le Premier ministre n’a opposé que du flou, ajoutant de l’incertitude à l’incertitude.

Depuis le début de cette crise sanitaire (qui se muera de manière quasi-certaine en violente crise économique et sociale), l’exécutif, notamment par la voix d’Emmanuel Macron n’a eu de cesse de proclamer l’importance des mesures prises pour maintenir l’économie française. Plan de relance de 100 milliards d’€, chômage partiel, prêts garantis par l’État (dits PGE), le pouvoir en place s’entête à affirmer qu’il propose l’une des réponses économiques les plus ambitieuses de la planète. Pourtant, loin de rompre avec la logique qu’il mène depuis son arrivée au pouvoir – contrairement à ce qu’il avait laissé sous-entendre lors de sa première allocution le 12 mars dernier – Emmanuel Macron offre une réponse néolibérale à la crise que nous traversons.

Chômage partiel, la protection pour qui ?

Parmi le bouquet de mesures prises depuis la survenue de la pandémie, le chômage partiel est assurément celle qui est la plus mise en avant et, surtout, la plus utilisée. Depuis mars dernier, plusieurs millions de Français ont été soumis à ce régime. Présenté par le pouvoir exécutif comme un cadre extrêmement protecteur si on le compare à ce qui se fait ailleurs, qu’en est-il réellement ? Il est vrai que le chômage partiel permet d’éviter à des personnes de se retrouver au chômage tout court et ainsi de continuer à percevoir une rémunération plus importante que si elles se retrouvaient inscrites à Pôle Emploi. Une fois que l’on a dit cela, il convient me semble-t-il de prendre un peu de recul sur la situation.

Le chômage partiel offre, il est vrai, une protection sans doute plus importante que dans bien d’autres pays – il fait partie du modèle social français et de ses stabilisateurs économiques qui permettent d’amoindrir le choc des crises économiques, ces mêmes éléments que Macron s’échinent à détruire depuis son accession à l’Elysée. Toutefois, le salarié placé en chômage partiel perd une partie de son salaire. L’acteur qui est éminemment protégé par cette mesure est bien évidemment l’entreprise qui ne débourse alors plus rien. Là encore, là toujours devrait-on dire, c’est à une politique de l’offre que nous assistons, au soutien inconditionnel (j’y reviendrai) aux entreprises.

PGE, les vannes ouvertes

L’autre principale mesure de l’arsenal économique dégainé par le pouvoir en place est l’instauration de prêts garantis par l’État, ces fameux PGE devant permettre aux entreprises touchées par les deux confinements de ne pas faire face à des problèmes de trésorerie. Le principe est relativement simple, il ne s’agit pas d’une subvention accordée aux entreprises mais plutôt d’une dynamique où l’État se porte garant des prêts contractés par les entreprises. Alors que le chômage partiel s’apparente à une subvention accordée aux entreprises privées et prise en charge par l’État, le PGE est bien plus assurément un énorme cadeau fait aux banques.

L’économiste David Cayla a bien mis en évidence la chose sur un fil Twitter : ce à quoi nous avons assisté depuis la mise en place de ces PGE n’est ni plus ni moins qu’un afflux massif de prêts accordés par les banques. Dans une situation normale, une banque ne prêtera qu’à une entreprise viable et qui parait en position quasi-certaine de rembourser son prêt. Dans la situation actuelle nous avons vu proliférer ce que les économistes placent sous le vocable d’entreprises zombies, c’est-à-dire des entreprises qui ne sont pas viables économiquement mais qui parviennent à poursuivre leur activité de manière artificielle. En d’autres termes, les banques ont rapidement saisi l’opportunité que représentaient ces PGE et prêtent à tout va, sachant qu’en dernier ressort l’État les remboursera, ce qui peut également entrainer des effets d’aubaine importants.

Le social oublié

La réponse économique du gouvernement et du président annoncée à grand renforts de conférences de presse et autres allocutions ne dit rien ou presque sur la question sociale. Le pouvoir exécutif a expliqué en long, en large et en travers que la politique adoptée face à la pandémie visait à éviter le « mur du chômage » – qui ne manquera probablement pas d’arriver courant 2021 quand l’ensemble de ces artifices seront abandonnés – comme si la misère sociale n’existait pas déjà, comme si des millions de Français n’éprouvaient pas déjà au quotidien des difficultés à se nourrir correctement, comme si les SDF avaient disparu de nos trottoirs, comme si, en somme, tout allait bien dans le meilleur des mondes possibles.

Les quelques miettes accordées aux étudiants précaires ou aux bénéficiaires du RSA, le prolongement des droits pour les chômeurs arrivant à la fin de leur période d’indemnisation ou le report – report et non pas annulation – de l’odieuse réforme de l’assurance chômage masquent mal la réalité de ce pouvoir qui préfère rogner toujours plus les libertés que s’attaquer à la misère et à la pauvreté. Emmanuel Macron et toute sa camarilla mènent une politique de classe, une politique qui vise à écraser les classes populaires et à offrir le pays à la découpe aux puissances financières.

La terrible comparaison

Une mise en perspective illustre à elle-seule l’idéologie de ce pouvoir qui est de tout offrir aux puissants et d’écraser les dominés. La comparaison peut paraître simple, certains diront même simpliste ou sophiste, elle me paraît pourtant éclatante d’enseignements. Pendant que le chômage partiel n’est que très peu voire pas du tout contrôlé, pendant que l’État offre in fine de l’argent aux banques via ses PGE, pendant que le gouvernement se contente de demander mollement aux firmes transnationales de ne pas verser de dividendes cette année – ce qui revient à demander à un tigre affamé de ne pas nous dévorer simplement avec un sourire – pendant, pour faire court, que le pouvoir déroule le tapis rouge aux grandes entreprises et banques en leur offrant l’immense majorité des fonds consacrés à la réponse au covid sans leur demander aucune contrepartie, pendant ce temps ils brutalisent celles et ceux déjà dominés et en difficultés.

La réforme de l’assurance chômage, comme je l’ai écrit plus haut, n’est pas annulée mais simplement reportée, le flicage des personnes en situation de chômage continue, de plus en plus de personnes bénéficiaires du RSA reçoivent des menaces de radiation si elles ne cherchent pas activement un emploi alors même que nous sommes en période de confinement et que le nombre d’offres a drastiquement chuté (sans compter que le RSA, comme son nom l’indique mal, est perçu par les personnes en grande détresse qui ont plus besoin d’un accompagnement personnalisé que de mise sous pression). Bien évidemment tout ceci n’est pas nouveau mais il me semble que nous arrivons là à une sorte de cristallisation presque parfaite.

Le credo néolibéral

En réalité, tout le développement de cette analyse pourrait se résumer en une phrase simple : le pouvoir applique aveuglément le credo néolibéral en se servant de la pandémie pour effectuer une stratégie du choc. D’aucuns viendront sans doute expliquer que non la politique n’est pas néolibérale puisque l’État intervient. C’est là faire fausse route à mon sens et l’une des grandes incompréhensions à propos de cette idéologie : les néolibéraux ne souhaitent pas (contrairement aux libertariens par exemple) le recul absolu de l’État, au contraire ils souhaitent l’asservir à leurs vues, l’utiliser pour imposer leur modèle, s’il le faut par la force.

C’est précisément à cela que nous assistons depuis des mois, à la socialisation des pertes et des coûts (PGE, chômage partiel, etc.) en même temps qu’à la privatisation des profits (banques qui se gavent sur le dos de l’État, entreprises continuant à verser des dividendes ou fraudant le chômage partiel, etc.). Peut-être le néolibéralisme n’a-t-il jamais été aussi fort en France à une époque où précisément nous aurions besoin de nous sortir de cette logique et de sortir de ce capitalisme mortifère. Les pistes existent, elles seront certainement compliquées à mettre en œuvre mais elles sont là. Le chômage partiel, par exemple, est une socialisation des coûts des entreprises. Pourquoi continuer cette ineptie quand il pourrait être possible de procéder à une réelle socialisation, les services publics vont avoir besoin d’effectifs alors pourquoi utiliser cet argent public pour sauver les entreprises plutôt que ces derniers ?

[Dans la continuité du travail entrepris sur ce blog (et dans une volonté de diversifier les supports pour faire avancer les idées en lesquelles je crois), j’ai rédigé un roman mêlant sociologie, politique et description de Marseille. Le premier chapitre est en accès libre via ce lien pour celles et ceux qui souhaiteraient avoir un aperçu avant de passer le pas de l’achat. Pour acheter le livre c’est par ici, n’hésitez pas à me faire des retours pendant ou après votre lecture]

Pour aller plus loin:

Ce cauchemar qui n’en finit pas, Pierre Dardot et Christian Laval

Le fil Twitter de David Cayla

La stratégie du choc, Naomi Klein

Fraudes au chômage partiel: le contrôle impossible par Dan Israël sur Mediapart

La guerre sociale en France, Romaric Godin

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