
Le Zemsto déjeune – Grigori Miassoïedov
C’est l’information qui a émaillé la journée d’hier en France, et qui dépasse le microcosme du football. Mediapro et son offre à près de 800 millions d’euros pour les droits TV du foot français ne paiera pas et ferme sa chaine. Après des semaines, des longues semaines d’échanges et de fuite en avant, le couperet est tombé, la L1 en premier lieu et la LFP en globalité entrent dans l’obscurité, avec un Prêt garanti d’État (PGE) sur les bras et des recettes de billetteries à zéro. Pour beaucoup, c’est l’amateurisme et l’avidité de la LFP et du syndicat Premier Ligue qui sont les seules responsables. Vraiment ?
Les stades de l’Euro 2016, confirmation du tournant néo-libéral du Football Français
Cela devait être une fête populaire et permettre à la France de retrouver les sommets en termes de succès. Dans l’absolu, cet été 2016 a été une réussite. Hormis l’énorme point noir du match Russie-Angleterre qui aurait dû remettre en cause la politique de répression des supporters qui devait préparer les policiers à ce genre d’événement, les stades étaient pleins, les Nord Irlandais ont régalé et l’EDF a échoué en finale après un parcours plutôt sympatoche. Mais vous l’aurez compris, ce n’est que la vitrine politique d’un changement visible de la vision des patrons du football français.
Durant longtemps, les capitalistes et politiques locaux marchaient main dans le main avec globalement le même projet : valoriser au mieux les régions et les villes où étaient implantées les usines. Souvent, dans leur logique paternaliste, les patrons prenaient en main le club le plus proche de l’outil de travail, ou celui de la grande ville du coin pour divertir les ouvriers. Une dynamique qui servait le local même si elle restait du domaine de l’exploitation capitaliste. Sans parler de mécénat, les riches industriels ne gagnaient pas vraiment d’argent avec le football mais cela flattait l’égo et surtout ça permettait de montrer à tout le monde qu’ils gagnaient très bien leur vie.
Dans les années 80, l’économie en général prend un tournant néo-libéral, le football va subir le même sort. La finance, les chaines payantes, l’arrêt Bosman, tout s’enchaine et cela va bouleverser le football professionnel Européen. Les riches barons locaux sont petit à petit remplacés par des investisseurs étrangers, qui veulent faire de l’argent avec les transferts, via l’augmentation régulière des droits TV ou alors acquérir un poids politique avec le football. On met en avant l’encrage local des clubs ou on balance des objectifs de résultats qui n’ont aucun sens pour accrocher le supporter et, ensuite, on prend possession d’un club pour le démembrer petit à petit, le vider de son rôle social et en faire une machine à cash. Enfin on essaye. Tout y passe, augmentation du prix des places, spéculation sur les mineurs, financiarisation de l’ensemble. Le football devient un secteur économique comme un autre.
Là où ça devient dangereux c’est que dans l’esprit des politiciens locaux, le football reste un acteur important dans la valorisation d’un territoire. Du coup, personne ne s’occupe du changement fondamental d’objectif des nouveaux acteurs du football et les pouvoirs publics continuent de les traiter comme des personnes voulant eux aussi, valoriser cet ancrage local. On arrive à cette candidature pour l’Euro 2016. Réfléchie bien avant, elle doit passer par une large rénovation des stades, beaucoup datant du mondial 98. Les clubs français sont dans le dur en Europe, et beaucoup de voix s’élèvent pour expliquer que ces rénovations sont nécessaires, l’objectif est de faire la même bascule que les clubs allemands avec le mondial 2006. Les projets sont délirants, ambitieux et dépassant largement les critères exigés par l’UEFA. Tout est fait pour rendre le dossier impossible à refuser.
Derrière les partenariats publics privés qui mettent en difficulté les municipalités ou les collectivités territoriales tout en permettant à des opérateurs privés de s’en mettre plein les fouilles, c’est l’aboutissement du néo-libéralisme. Ce courant qui ne veut plus détruire l’État, mais le mettre au pas pour qu’il soutienne essentiellement les investissements privés, maximise les profits et limite les risques. Les gros groupes du BTP se frottent les mains. On pourrait parler de l’implantation loufoque des stades comme Nice ou Bordeaux qui ont fait tiquer les suiveurs du football mais qui n’ont pas rebuté les décideurs publics.
Il y a bien un projet qui représente bien la mascarade de cette candidature qui devait relever le football français mais qui a surtout permet de renforcer des entreprises privées avec de l’argent public : le grand stade de Lyon ou OL LAND. Ce projet, 100 % privé comme aime le crier partout JMA est une arnaque. Il n’y a pas d’autres mots. Dans les faits, l’OL est le seul opérateur désigné pour gérer le stade, ce qui le rend unique dans le panorama Français. Cependant, dire qu’il a été financé par de l’argent essentiellement privé est faux. Gerard Collomb, proche de JMA qui a longtemps aidé l’OL en achetant énormément de place via la métropole ou la mairie lyonnaise a bien aidé son grand copain dans son projet. Tout d’abord l’expropriation de dizaines d’hectares de terrains agricoles à Decines pour une somme modique, revendus à une somme toute aussi modique à une holding immobilière propriété de l’OL qui depuis, revend des parcelles au prix du marché en réalisant des belles plus values bien que ça ne soit pas le « projet du club au départ » a été un sacré coup de pouce. Pour l’aménagement de la voirie et les infrastructures pour relier Lyon à Décine, les pouvoirs publics ont investi plus de 200 millions officiellement. Pas mal pour un projet 100 % privé qui ne sert que les intérêts d’un groupe privé pour lui permettre de gonfler ses revenus non ? Les contribuables doivent être ravis. Un podcast d’Arte est d’ailleurs consacré à cette arnaque.
Mediapro et le chèque d’un milliard, symbole d’une incurie
Depuis l’inauguration des stades, le niveau de la L1 n’a pas augmenté, les performances en Europe ont flatté un bilan décevant en termes de jeu et surtout de résultats. Les résultats financiers de club comme l’OM inquiètent. Canal+ avait annoncé ne pas vouloir faire une grosse offre pour la période 2020-2024 et Bein était aussi dans une dynamique de stabilisation. Il fallait un nouveau joueur pour permettre une augmentation notable des droits TV et donc, continuer la fuite en avant d’un football professionnel qui n’existe et progresse dans sa forme actuelle que par des offres toujours plus grandes.
Habitué à jouer avec des acteurs connus comme Canal + ou alors avec des liquidités quasi illimitées comme Bein, la LFP n’a jamais demandé de garanti bancaire à la suite d’une enchère pour la valider. Quand Mediapro pose son offre à près de 800 millions pour un partie de la L1, Bernard Caïazzo est si occupé à pavaner devant un tel chiffre qui permet à la L1 d’être valorisée à plus d’un milliard d’euros qu’il ne regarde pas ce même groupe être en difficulté en Italie après une offre du même montant. Ou alors il se pense plus intelligent que les Italiens. Ensuite, tout va très vite s’enchainer.
Le COVID émerge, le football s’arrête, le monde se met en pause même. Des championnats reprennent, la L1 fait le choix de ne pas le faire. Bein et Canal+ décident ne pas payer la dernière tranche des droits TV. Pour compenser les pertes, la LFP accepte de souscrire à un prêt garanti d’état à la hauteur de cette dernière échéance, pour couvrir une partie des pertes. Ce PGE, de plus de 200 millions d’Euros sera remboursé en 5 ans, par la nouvelle période de droits TV et donc via la manne financière de Mediapro (dont personne n’a vu la couleur, encore). En septembre, Vincent Labrune succède à Didier Quillot à la tête de la LFP. L’homme à lunette part avec une prime pour sa gestion de l’échéance 2016-2020 des droits TV (dont il a manqué le dernier paiement, mais soit) et avec un joli parachute doré.
Sauf que rapidement tout s’enchaine, Mediapro propose ses contenus très tard, les abonnements sont illisibles et pas facile d’accès. Le montant à débourser par mois est toujours aussi prohibitif. Les bugs sont nombreux et la campagne de communication de la chaine est un désastre. On se dit encore que c’est difficile de lancer une chaine, qu’il faut attendre. Puis on apprend la volonté de Mediapro de renégocier le montant des droits TV, le COVID a changé des choses et le produit L1 a perdu de sa valeur. Un bras de fer commence entre le diffuseur et la LFP, et pire, les chèques n’arrivent jamais. Le premier versement d’août est une alerte. Les clubs sont privés de leur principale source de revenus depuis avril.
Ce 11 décembre, le couperet tombe. Mediapro va fermer, le milliard n’est jamais arrivé, les petites mains de la chaine voient leur statut être encore plus précarisé quand les têtes de gondole attendent de voir si Canal+ va reprendre rapidement le flambeau. Le PGE, contracté avec comme garantie financière en grande partie une rentrée d’argent que personne n’avait vu à la LFP, pose question. La Ligue tente de garder la tête haute et répond à un article de Mediapart expliquant que la situation est entièrement sous contrôle. Cependant, encore une fois, plane l’idée que ce sont les pouvoirs publics qui vont aider des clubs si la pression financière devient trop importante.
Cependant, réduire cet échec à l’incompétence ou l’avidité d’un petit groupe de personne est une erreur pour moi. C’est un système, d’arrangements entre public et privé avec comme principal bénéficiaire les intérêts privés qui est sanctionné, ou en tout cas révélé. C’est l’aveuglement ou l’ambition personnelle des politiques qui les ont poussé à continuer de s’appuyer sur des clubs qui se sont détournés de leur ancrage local pour la ruée vers le capitalisme. Pour certains, le retour de Canal+ va permettre de remettre le football à l’endroit. De mon point de vue, c’est mettre une énième rustine sur une chambre à air trouée de toute part. Cela peut lui permettre de gagner 4 ans, mais une nouvelle sanction arrivera. Ce système n’est pas préparé à vivre avec une baisse des droits TV, la seule stagnation étant un problème. Il faut une révolution, et vite. Didier Quillot, Nathalie Boy de la Tour, Jean Michel Aulas,Bernard Caiazzo, les faire tomber ne changeraient rien, il faut casser ce système, par une régulation stricte ou en lui coupant les vivre, mais il faut le casser et vite. Il est temps d’arrêter d’utiliser de l’argent public pour servir essentiellement des intérêts privés.
Benjamin Chahine