Il y a quelques jours était célébré, en France, le 75ème anniversaire du débarquement de Normandie. C’était ainsi l’occasion de commémorer la victoire des forces Alliées sur celles de l’Axe et plus précisément encore la mise à mal du projet nazi et de son ambition hégémonique sur l’Europe. C’est donc tout naturellement que cette célébration a rassemblé un grand nombre d’invités provenant des pays ayant combattu le troisième Reich. La Russie, pourtant héritière de l’URSS pays ayant éminemment participé à la chute de l’Allemagne hitlérienne, n’était pourtant pas invitée et donc pas présente lors de ces commémorations. Cet affront, puisqu’il faut le nommer ainsi, fait aux Russes n’est que l’énième d’une très longue série à propos de cette guerre.
Après tout, cette non-invitation n’est guère surprenante venant d’un pays où certains éditorialistes anciennement dévolus au football pérorent désormais en expliquant que les communistes étaient des collaborateurs. La lumière est effectivement bien plus mise, en France comme dans bien des pays occidentaux, sur le pacte germano-soviétique – en prenant bien garde d’occulter les raisons qui ont abouti à un tel pacte – que sur l’apport décisif de l’armée rouge durant la guerre. Tout ceci n’est évidemment pas sans lien avec l’objectif de diaboliser la Russie.
Le grand sacrifice
Si du fait du fameux pacte germano-soviétique, l’URSS ne prend pas part à la guerre au début de celle-ci, elle va rapidement être jetée dans l’enfer du projet hégémonique allemand dès 1941 et l’opération Barbarossa. Profitant de la désorganisation de l’armée rouge après les purges menées par Staline, Hitler décide d’attaquer l’URSS et va presque parvenir à l’envahir. Ce n’est qu’au prix de l’hiver très rude russe et d’un sacrifice héroïque de l’armée rouge durant la bataille de Stalingrad que les forces nazies sont repoussées. C’est très certainement cette bataille qui marque le tournant de la Seconde Guerre mondiale puisqu’après celle-ci, les forces soviétiques vont passer à l’offensive.
C’est effectivement sur le front est de la guerre que celle-ci s’est en grande partie jouée. Si l’opinion publique occidentale retient avant tout les débarquements (de Normandie et de Provence) à la suite de ce qu’il faut bien appeler une propagande massive, c’est bien l’avancée des troupes soviétiques et la déroute grandissante des forces de l’Axe sur le front est qui ont permis cette prise en étau de l’Allemagne hitlérienne. Il s’agit évidemment de pure fiction mais il n’est pas absurde de penser que sans l’offensive soviétique à l’est, il est fort probable que le débarquement de Normandie ait été un fiasco, voire qu’il n’ait jamais eu lieu. A l’inverse, sans le débarquement de Normandie il n’est pas sûr que l’armée soviétique n’aurait pas, néanmoins, réussi à clouer au pilori les forces allemandes. Dans toute cette entreprise de désinformation il est d’ailleurs assez significatif de noter qu’on entend très rarement que c’est l’armée rouge qui a pris Berlin.
Décrédibiliser pour mieux régner
Il importe dès lors de tenter de saisir les raisons profondes d’une telle occultation. A l’heure où les forces réactionnaires voire extrémistes montent un peu partout en Europe, pourquoi ne pas avoir fait de ce 75ème anniversaire une réelle commémoration de ce que fut la victoire sur le nazisme en invitant tous ses protagonistes ? En faisant le choix d’écarter l’un des plus importants voire le plus important, la France n’a fait que se placer dans les pas étatsuniens et leur position depuis presque un siècle. A la sortie de la guerre, il importait en effet aux Etats-Unis de décrédibiliser l’URSS dans la mesure où la Guerre froide commençait. Leaders autoproclamés du « monde libre », ils n’avaient aucun intérêt à montrer au monde la part de l’URSS dans la libération de l’Europe, au contraire.
Depuis la chute de l’URSS et donc la fin de la présence d’un « ennemi mortel », les Etats-Unis tentent par tous les moyens de récréer un axe du mal selon l’expression de Georges W. Bush et dans cette optique, la Russie est un élément de choix en cela qu’il convoque tout un imaginaire censé effrayer les citoyens des Etats-Unis. Aussi l’apport décisif de l’URSS dans la victoire contre le nazisme n’a-t-il jamais été réellement reconnu en Occident. L’on a coutume de dire que l’histoire est écrite par les vainqueurs, c’est souvent le cas mais dans l’exemple de la Seconde guerre mondiale il est un vainqueur qui n’a guère eu voix au chapitre. De quoi générer de forts ressentiments.