Hier soir a donc eu lieu le « grand débat » de la primaire de droite et du centre. Si quelques divergences sont apparues, ledit débat fut relativement ennuyeux au vu du feu d’artifice qu’on nous avait promis. Finalement ce constat n’est guère surprenant tant les projets de l’un et l’autre candidat sont proches. Alors oui Alain Juppé a attaqué François Fillon sur la Sécurité sociale et en retour l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a reproché en creux à l’ex-Premier ministre de Jacques Chirac d’avoir un programme qui n’est pas assez radical. Toutefois, dans les grandes lignes les deux projets présentés hier se rejoignent largement.
Les deux concurrents proposent en effet l’approfondissement de la politique menée par Messieurs Hollande et Valls depuis bientôt cinq années en allant toujours plus loin dans la libéralisation de l’économie, dans le recul de l’Etat et dans les cadeaux faits aux entreprises au détriment des citoyens. Pour résumer, les deux candidats nous proposent un projet d’austérité dans la droite lignée de ce qui nous a été proposé durant cinq années. Baisse du nombre de fonctionnaires et de la dépense public, casse du code du travail et maîtrise acharnée des dépenses publiques forment une sorte de triptyque dans les deux projets. Il y a bien sur des différences de degré entre l’ordolibéralisme de Juppé et le néolibéralisme profond de Fillon mais dans le fond les deux sont fidèles à la droite française dans le retard qu’ils ont dans leur approche des problèmes et dans les solutions qu’ils proposent.
Le grand retard
Je le disais en introduction, François Fillon et Alain Juppé se rejoignent dans les grandes lignes de leur programme. Dans leur frénésie anti-fonctionnaire mais aussi dans leur obsession de la rigueur budgétaire les deux finalistes de la primaire se placent dans une tradition historique, celle du néolibéralisme. François Fillon est sans doute celui qui l’assume le plus franchement en se référant explicitement à Margaret Thatcher, la dame de fer britannique. Il y a quelque chose d’assez drôle d’entendre l’ancien Premier ministre de Sarkozy nous dire qu’il représente la modernité alors même qu’il nous propose un projet qui a 30 ans. Il ne me paraît pas absurde de dire qu’un tel projet est en décalage historique. Il l’est bien sûr parce que la logique de la mondialisation heureuse néolibérale est un peu daté. Il l’est aussi parce qu’il est en profond décalage avec ce qu’il se passe à l’échelle de la planète.
A l’heure où Theresa May enterre définitivement le thatchérisme de l’autre côté de la Manche, le favori de la primaire nous propose ces recettes que beaucoup considèrent comme surannées et archaïques. Le FMI a reconnu s’être trompé sur le coefficient multiplicateur et donc sur le potentiel récessif de l’austérité, Donald Trump veut relancer l’investissement public aux Etats-Unis, le Royaume-Uni tourne le dos à Thatcher avec Corbyn d’une part et les Brexiters d’autre part. Pendant ce temps, la droite française va à rebours de ce que le monde entier fait ou préconise. Evidemment, aucun des journalistes qui a présenté le débat n’a soulevé cette question. Ceux-ci ont bien fait honneur à leur réputation de plante verte malléable.
La tragédie devenue farce
Si l’histoire se répète vraiment en passant du statut de tragédie à celui de farce – comme je le disais Marx – il me semble que nous vivons une farce dont nous serons probablement les dindons. Il faut en effet être juste et reconnaître que le grand décalage des candidats actuels n’est pas un fait isolé dans l’histoire de la droite française. Les événements ne sont évidemment pas totalement comparable mais il me semble que nous sommes en train de revivre l’épisode consécutif à la crise de 1929. Tout ou presque permet effectivement de rapprocher la situation actuelle – et une probable mandature de Les Républicains à partir de 2017 – avec ce qui a suivi la Grande Dépression. Alors qui de Fillon ou Juppé sera le Laval des temps modernes ?
A la suite de la crise de 1929 et avant l’arrivée du Front Populaire au pouvoir, la droite française – menée notamment par Laval – a en effet agi de la même manière que ce que nous promettent les candidats de la primaire. A rebours de toute la planète, le gouvernement Laval a pratiqué un libéralisme effréné pour sortir de la crise selon le fameux principe qui voulait que pour sortir d’une crise il fallait simplement attendre et surtout ne rien faire. Afin d’éviter la dévaluation, ledit gouvernement a pratiqué une politique de déflation qui a eu des effets désastreux et qui loin de sortir la France de la crise a créé un choc récessif. A l’heure où les grandes économies du monde avaient tourné le dos au libéralisme pour entrer dans une phase keynésienne (le New Deal de Roosevelt notamment), la France elle s’enfonçait dans une politique absurde au sens camusien du terme.
Nous l’avons donc vu, le reproche que l’on fait aux deux candidats sur leurs positions rétrogrades est tout sauf usurpé. Loin de se projeter dans l’avenir – malgré tout ce qu’il proclame – il regarde ledit avenir avec un œil dans le rétroviseur. Il est assez ironique d’entendre Fillon s’autoproclamer homme de la rupture alors même qu’il rentre pleinement dans l’idiosyncrasie de la droite française en souffrant d’une forme d’atavisme assez primaire. Dimanche, les électeurs de droite auront finalement le choix entre le décalage passéiste et le passéisme décalé. Bon courage !