Jul, Kant et le mépris de classe

A la fin de l’année dernière, le rappeur marseillais Jul a donné un concert au Dôme, la principale salle de spectacle de la Cité phocéenne. Ce qui, pour d’autres artistes, constitue un évènement banal dans une carrière est, dans le cas de Jul, un véritable phénomène. Celui-ci ne donne en effet que très peu de concert et se produit très rarement sur scène – il a avoué que le stress qu’il ressentait avant de telles prestations était monumental. Fidèle à son habitude, il a rendu cet évènement spécial et, loin de se produire sur fond d’effets spéciaux spectaculaires, est apparu sur scène en train de jongler avec un ballon de football, chose toute aussi incongrue que révélatrice du personnage Jul.

Surgi sur la scène du rap français depuis quelques années, l’artiste ne cesse de détonner et de dépasser une à une les barrières qui se sont dressées sur son chemin. Il a récemment expliqué qu’après la sortie de son album en décembre 2017, il prendrait une pause et s’éloignerait quelque peu du monde de la musique. Il faut dire que depuis quelques années il a enchainé les sorties d’album dans un rythme de travail proche du stakhanovisme. Le côté atypique de Jul, son succès aussi, font qu’il est souvent l’objet de critiques très acerbes. Les personnes n’appréciant pas ce qu’il produit ressentent effectivement très souvent le besoin de cracher leur fiel et de critiquer, bien au-delà du simple rappeur, ceux qui l’écoutent, l’apprécient et disent se reconnaitre dans ses textes. Aussi le cas Jul nous permet-il à mon sens de mettre en exergue la manière dont un certain mépris de classe s’organise dans notre pays par le truchement du dénigrement systématique des cultures populaires. Avant d’aborder frontalement cette question, un détour par la philosophie me semble toutefois nécessaire. Lire la suite

Médine, grand prêtre républicain des quartiers populaires

Le 24 février dernier sortait dans les bacs Prose Élite, le cinquième album solo de Médine. Quatre longues années s’étaient écoulées depuis Protest Song son quatrième album – bien que Médine ait sorti un EP en 2015. C’est peu dire que j’attendais avec impatience la sortie du nouvel album du rappeur havrais tant Médine est singulier dans le monde du rap français, l’un de ceux qui possèdent la plus belle plume et abordent les grands thèmes de notre époque contemporaine. Tous ces attributs font de Médine l’une des voix qui compte dans les quartiers populaires en cela qu’il permet de porter la voix de ces quartiers en même temps qu’il tente de créer des ponts.

Le moins que je puisse dire c’est que je n’ai pas été déçu de cet album qui dépasse allégrement le simple cadre musical. Au-delà de la grande densité portée par Prose Élite (qui compte 13 titres tous plus percutants les uns que les autres) c’est, et nous y reviendrons plus tard, la portée des messages défendus par Médine tout au fil de cet album qui le rendent particulièrement réussi. En intitulant son album de la sorte et en faisant figurer Victor Hugo sur la pochette de l’album, le rappeur du Havre se place explicitement dans une position de prêcheur républicain mais quoi de plus normal ? En effet, qui peut prétendre faire du rap sans prendre position (les positions du Kamasutra dira Youssoupha de manière géniale dans Grand Paris). Lire la suite

La rue, c’est loin ?

Vendredi dernier, le groupe IAM sortait son huitième album studio. Vingt ans et quatre albums après L’école du micro d’argent, considéré comme l’un des chefs d’œuvre du rap français (je considère personnellement que c’est le meilleur album de l’histoire du rap français), Shurik’n et Akhenaton reviennent donc avec Rêvolution, un album dense de 19 titres. Après un précédent album relativement décevant, il va sans dire que j’attendais avec impatience ce nouvel opus du groupe le plus célèbre de Marseille, d’autant plus que les deux singles qui avaient été dévoilés avant la sortie de l’album laissaient présager d’une production à la fois ambitieuse et recherchée.

Et pourtant, après plusieurs écoutes, force est de constater que la déception qui avait accompagné la sortie de leur dernier album est de nouveau présente. Un peu comme s’il fallait souligner qu’ils auraient sans doute mieux fait de partir sur Arts Martiens dont le dernier titre (« Dernier coup d’éclat ») semblait suggérer une sortie de scène. Cet album n’a, en effet, rien de révolutionnaire malgré le titre qui lui est donné. Il est loin le temps où IAM dénonçait avec force, vigueur et brio le système en place. Il est d’ailleurs assez douloureux de voir sombrer les groupes que l’on a admiré – et que l’on continue à admirer pour leurs anciens albums. Au-delà de la simple critique de cet album, il me semble que le cas d’IAM révèle à quel point il est difficile de rester bon dans le rap sur la durée, peut-être parce qu’il est impossible de faire du bon rap quand on s’est trop éloigné de la rue. Lire la suite

L’enfant de la lune a rejoint les étoiles

C’est fou comme, par moments, la vie parvient à vous couper le souffle un peu comme un grand coup de poing mis dans la rate. C’est un peu ce que j’ai ressenti lundi soir en apprenant la mort de Sya Styles. Finalement à l’annonce de sa mort, c’est un peu une partie de mon enfance et de mon adolescence qui s’est envolée. En créant la Psy4, Sya Styles et ses compères ont en effet marqué durablement la scène rap marseillaise et produit nombre de classiques dans les années 90 et 2000. Même si leurs derniers albums s’écartaient assez de ce qui fut leur crédo initial, ils resteront comme un groupe de rap important à Marseille.

Sya Styles était l’homme de l’ombre, celui que l’on connaissait le moins mais celui sans quoi rien n’aurait été possible. C’est, effectivement, lui qui a fondé le groupe et c’est lui qui composait les instru sur lesquelles Alonzo, Vincenzo et Soprano se donnaient à cœur joie. Caution musicale du groupe, Sya Styles n’était pas pour autant étranger aux différents thèmes abordés par la Psy4. Ainsi, il a durablement marqué l’univers des DJs rap et sa perte est grande pour le rap français. Lire la suite

Le rap par-delà les clichés et les simplifications

Le milieu du rap français est en pleine ébullition actuellement. En effet, pas moins de quatre albums ou EP sortent en l’espace de trois semaines : cette frénésie a commencé le 18 mai et la sortie du très attendu Ngrtd de Youssoupha et s’achèvera le 8 juin avec Le Feu, premier album solo de Nekfeu. Entre temps, Médine nous a dévoilé un EP surprise, Démineur, le 25 mai et les deux frères toulousains Bigflo & Oli, la relève du rap français pour beaucoup, ont sorti leur premier album La Cour des grands.

Cette activité intense vient témoigner, s’il le fallait, que le rap, loin d’être mort, est encore bien vivant et reste un milieu extrêmement fécond. On constate, effectivement, que deux de ces productions sont réalisées par de jeunes rappeurs qui sortent leur premier album pour Bigflo & Oli et leur premier album solo pour Nekfeu. Dans le même temps, les poids lourds du monde du rap ne sont pas en reste puisque Youssoupha et Médine compte plus de 10 ans de carrière.

Et pourtant, bien que le rap soit présent en France depuis plus de 20 ans, il n’est toujours pas accepté à sa propre valeur. Beaucoup ne le considèrent pas comme un genre musical à part entière et lui refuse le statut d’art au prétexte qu’il ne serait que violence, haine et inculture.  Lire la suite