Penser un football émancipateur

Soviet Sport, 1935 – Alexander Samokhvalov

Le football est un fait social total comme l’entend Durkheim. Il marque la société, ses acteurs, son environnement, il offre une multitude de grilles de lecture et est présent dans la vie de beaucoup, même ceux pour qui ce sport n’a que peu d’intérêt. Cependant, on aime réduire le football à son aspect économique, ou alors comme l’opium du peuple, un sport qui aliène les masses et empêche leur émancipation en faisant ressurgir le plus mauvais en eux. Pour autant, le football est encore là, à irriguer nos vies, occuper nos soirées, nos journées, on aime autant aller au stade que taper dans le ballon avec ses potes, dans un parc, sur un vieux City stade ou un terrain plus classique. Le Football fait partie de nos vies, et ce pour encore un certain temps, alors comment le penser comme un élément de notre émancipation, peut-il être la porte vers un nouvel horizon ?

Il faut tout d’abord tordre le cou à un abus de langage, le football qui fait la une des médias, fait sensation à chaque frasque ou presque n’est qu’une infime partout du Football dans sa globalité. Taper dans un ballon, c’est avant tout un sport accessible à tous ou presque qui plait et passionne de nombreuses personnes et qui est devenu un langage planétaire. Bien sûr, le football professionnel, celui qui brasse des millions de dollars est une émanation directe de ce sport qui touche autant de personnes. Sans cet engouement planétaire, jamais de mondial diffusé dans presque tous les pays et jamais de FIFA avec plus de pays affiliés qu’à l’ONU. Cependant, le football ce n’est pas que les championnats nationaux, les compétitions continentales ou internationales ou encore les indemnités de transferts délirantes et c’est important de le rappeler.

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L’autre lutte des classes (sur la culture légitime et les cultures populaires)

L’école d’Athènes – Raphaël

Depuis quelques semaines, la série Lupin estampillée Netflix connaît un succès mondial, une première pour une série française produite par le mastodonte étatsunien. Si les polémiques pestilentielles et racistes qui l’ont entourée (et continuent de le faire) disent bien quelque chose de la société dans laquelle nous vivons, ce sont bien plus les réactions de mépris à l’égard d’une série accusée d’abaisser l’œuvre de Maurice Leblanc qui m’intéressent ici. Un nombre conséquent de personnes se sont effectivement saisies de l’occasion pour agonir les cultures populaires, présentées comme moins noble que la culture légitime (musée, classiques littéraires, etc.). Bien évidemment, Lupin n’est qu’un prétexte et ce mépris de classe généralisé parmi les membres des classes supérieures – et moyennes-supérieures, ceci est important – s’exprime régulièrement de manière plus ou moins dissimulée.

Les confinements successifs ont en quelque sorte joué le rôle de révélateur et de catalyseur de cette dynamique. L’appel à l’ouverture des librairies « parce que la lecture c’est essentiel vous comprenez » de la même manière que le retentissement causé par le partage par France Culture d’une émission où Bourdieu expliquait que le musée était une manière de se distinguer pour les classes supérieures sont là pour en témoigner. L’on pourrait voir dans ce sujet qu’une sorte de débat d’arrière-garde, n’intéressant que quelques personnes. Je crois au contraire que cette opposition entre la culture bourgeoise et légitime d’une part, les cultures populaires d’autre part participe grandement de la lutte des classes et a certainement pour effet d’être l’une des causes interdisant le renversement de l’ordre établi.

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Jul, Kant et le mépris de classe

A la fin de l’année dernière, le rappeur marseillais Jul a donné un concert au Dôme, la principale salle de spectacle de la Cité phocéenne. Ce qui, pour d’autres artistes, constitue un évènement banal dans une carrière est, dans le cas de Jul, un véritable phénomène. Celui-ci ne donne en effet que très peu de concert et se produit très rarement sur scène – il a avoué que le stress qu’il ressentait avant de telles prestations était monumental. Fidèle à son habitude, il a rendu cet évènement spécial et, loin de se produire sur fond d’effets spéciaux spectaculaires, est apparu sur scène en train de jongler avec un ballon de football, chose toute aussi incongrue que révélatrice du personnage Jul.

Surgi sur la scène du rap français depuis quelques années, l’artiste ne cesse de détonner et de dépasser une à une les barrières qui se sont dressées sur son chemin. Il a récemment expliqué qu’après la sortie de son album en décembre 2017, il prendrait une pause et s’éloignerait quelque peu du monde de la musique. Il faut dire que depuis quelques années il a enchainé les sorties d’album dans un rythme de travail proche du stakhanovisme. Le côté atypique de Jul, son succès aussi, font qu’il est souvent l’objet de critiques très acerbes. Les personnes n’appréciant pas ce qu’il produit ressentent effectivement très souvent le besoin de cracher leur fiel et de critiquer, bien au-delà du simple rappeur, ceux qui l’écoutent, l’apprécient et disent se reconnaitre dans ses textes. Aussi le cas Jul nous permet-il à mon sens de mettre en exergue la manière dont un certain mépris de classe s’organise dans notre pays par le truchement du dénigrement systématique des cultures populaires. Avant d’aborder frontalement cette question, un détour par la philosophie me semble toutefois nécessaire. Lire la suite