Médine, grand prêtre républicain des quartiers populaires

Le 24 février dernier sortait dans les bacs Prose Élite, le cinquième album solo de Médine. Quatre longues années s’étaient écoulées depuis Protest Song son quatrième album – bien que Médine ait sorti un EP en 2015. C’est peu dire que j’attendais avec impatience la sortie du nouvel album du rappeur havrais tant Médine est singulier dans le monde du rap français, l’un de ceux qui possèdent la plus belle plume et abordent les grands thèmes de notre époque contemporaine. Tous ces attributs font de Médine l’une des voix qui compte dans les quartiers populaires en cela qu’il permet de porter la voix de ces quartiers en même temps qu’il tente de créer des ponts.

Le moins que je puisse dire c’est que je n’ai pas été déçu de cet album qui dépasse allégrement le simple cadre musical. Au-delà de la grande densité portée par Prose Élite (qui compte 13 titres tous plus percutants les uns que les autres) c’est, et nous y reviendrons plus tard, la portée des messages défendus par Médine tout au fil de cet album qui le rendent particulièrement réussi. En intitulant son album de la sorte et en faisant figurer Victor Hugo sur la pochette de l’album, le rappeur du Havre se place explicitement dans une position de prêcheur républicain mais quoi de plus normal ? En effet, qui peut prétendre faire du rap sans prendre position (les positions du Kamasutra dira Youssoupha de manière géniale dans Grand Paris).

 

Le chef-d’œuvre prenant forme

 

Si l’album sorti fin février ne rompt pas totalement avec les habitudes du rappeur, notamment dans les sujets abordés et la manière de les rapper, il représente toutefois une inflexion assez grande par rapport à ce que Médine a pu faire tout au fil de sa carrière. De 11 septembre, récit du 11ème jour sorti il y a de ça 13 ans à Prose Élite, Médine a su se réinventer sans pour autant se renier. C’est sans doute ce qui rend son œuvre à la fois pertinente et non répétitive. C’est évidemment l’une des grandes forces nécessaires pour rendre son art intéressant et c’est tout le génie de Médine que d’avoir réussi à se placer en rupture tout en étant en continuité. Cela donne de la cohérence à son œuvre.

Il faut, je pense, même aller plus loin : c’est précisément ces multiples modifications dans sa manière d’aborder le rap et les sujets qu’ils traitent qui donne une cohérence extraordinaire à sa discographie. Loin d’affaiblir les plusieurs albums qu’il a déjà sortis, les différences constatées enrichissent mutuellement les disques en les replaçant dans une grande fresque un peu comme les différents cycles entrepris par Camus dans son œuvre ne s’affaiblissent pas mutuellement mais au contraire se répondent. Finalement, l’œuvre de Médine me fait quelque peu penser à John Doe dans Se7en : ce n’est qu’une fois que l’on a tous les éléments en main que l’on peut se rendre compte du génie (démoniaque) de l’entreprise de l’anti-héros du film. De la même manière, ce n’est qu’en accédant aux albums suivants que l’on arrive à saisir complètement le message des précédents opus.

 

De Goldstein à John le Sauvage

 

L’inflexion majeure portée par Prose Élite se situe dans le fait que Médine condamne moins qu’il ne tente à la fois d’alerter et de convaincre. L’évolution se traduit d’ailleurs dans le nom même des albums. À Protest Song a succédé Prose Élite et je suis de ceux qui pensent que le titre d’une œuvre (film, album, livre) est à analyser autant sinon plus que le contenu même de ladite œuvre. Par les titres donnés à ces albums Médine suggère le passage de la protestation à la volonté d’aller conquérir les esprits. Entendons-nous bien, cela ne signifie évidemment pas que par le passé le rappeur se contenter de protester mais bien plus que la sortie de son dernier album marque une forme de nouvelle phase dans sa carrière où la simple protestation et la provocation ont une place moins importante.

Et pour ne rien gâcher, la sortie de son EP Démineur en 2015 avait annoncé cette inflexion notamment dans le titre Speaker Corner qui faisait référence à la pratique anglaise qui veut que des personnes viennent s’exprimer en public dans des jardins ou dans la rue. En adoptant cette nouvelle position, Médine effectue finalement un saut de 1984 de Georges Orwell vers Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Par le passé il était surtout dans le rôle de Goldstein dans le récit d’Orwell en opposant au système en place par la provocation et avec Prose Élite, le voilà devenu pareil à John le Sauvage qui, dans le roman de Huxley, montre à tous les autres qu’un autre monde et mode de vie sont possibles. Adopter cette position est sans doute la meilleur des manières d’opposer à la culture de la force la force, la force de la culture ainsi que l’exprime dans un brillant chiasme le rappeur au sein du morceau Rappeur 2 Force.

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