Non nous ne sommes pas en guerre

Nous espérions tous que 2016 allait nous permettre de tourner la page d’une année 2015 sanglante et marquée par le sceau de l’horreur sur le continent européen, qu’après les 17 morts de janvier et les 130 morts de novembre nous aurions droit à un peu de répit. Pourtant, paradoxalement, nous savions bien dans le même temps que de tels actes pouvaient se reproduire, allaient se reproduire. Quand vendredi dernier Salah Abdeslam a enfin été arrêté, nous avons poussé ensemble un soupir de soulagement. Alors oui, cette arrestation nous ramenait quelques mois en arrière, en cette si triste soirée de novembre mais c’était pour une bonne raison pensait-on : les autorités allaient pouvoir en savoir plus.

Il nous aura fallu à peine plus de trois jours pour que ce relatif apaisement soit balayé par de nouveaux actes de terrorisme sanglants, à Bruxelles cette fois. Un peu comme une réponse à l’arrestation de Salah Abdeslam – qui aurait déclaré aux policiers belges « ce n’est pas parce que je ne joue plus que le jeu s’arrête » – trois explosions  ont retenti hier matin à Bruxelles, à l’aéroport et dans le métro, faisant plus de 30 morts. Là encore les souvenirs douloureux du 13 novembre sont remontés à la surface et les réactions de notre Premier ministre se sont rapprochés de celle d’il y a quatre mois : « La France est en guerre, l’Europe est en guerre » a-t-il martelé une nouvelle fois, déformant toujours plus la réalité et arborant une position belliciste qui sied bien peu au besoin d’unité. Lire la suite

La légion du déshonneur

« C’est toujours mieux de ne rien vendre du tout plutôt que de vendre son honneur ». La déflagration, terrible mais juste, est signée Sophia Aram sur France Inter. Ce matin, la station de Radio France recevait Jean-Marc Ayrault, Ministre des Affaires étrangères. Celui-ci était invité à réagir au scandale du week-end révélé par Mediapart : la remise de la légion d’honneur en catimini au prince héritier du trône d’Arabie Saoudite – accessoirement Ministre de l’Intérieur de son pays et donc responsable des décapitations et des exécutions. L’ex-Premier ministre a répondu aux critiques à l’aide d’une phrase hallucinante affirmant qu’il s’agissait d’une « tradition diplomatique » ajoutant qu’il « [fallait] la prendre comme telle ».

Il y a évidemment beaucoup à dire sur cette décoration – et c’est le but de ce papier – mais il ne faut pas oublier de fustiger l’ensemble des médias français qui s’étaient bien gardés de révéler l’affaire. Sans Mediapart, il y a fort à parier que nous n’aurions jamais su que le prince héritier d’Arabie Saoudite avait été décoré par notre président. Ceci pose la question de la liberté de la presse dans notre pays, élément consubstantiel de la démocratie – à ce titre, les cambriolages dans les locaux de Marsactu sont un scandale. Pas de démocratie sans liberté de la presse, tâchons de s’en souvenir et remercions Mediapart et les autres journaux indépendants de faire perdurer la flamme de la démocratie. Lire la suite

L’humanitaire, nécessaire mais loin d’être suffisant

A la suite de la publication de la terrible photo d’Aylan Kurdi, ce petit enfant syrien échoué sur une plage turque, les ONG et les associations humanitaires ont reçu des dons massifs. Prenant conscience, à l’aide de cette photo, de la gravité de la situation, l’opinion publique européenne s’est ainsi emparée de la question en faisant parvenir des sommes d’argent rarement vues en aussi peu de temps. Beaucoup d’associations ont même parlé d’un mouvement de générosité sans précédent dans la mesure où beaucoup d’entre elles n’avaient jamais reçu autant de dons en si peu de temps.

Cet engouement massif pour les associations humanitaires est, certes, une bonne chose. Toutefois, il a aussi eu pour conséquence de mettre en évidence que, si les associations et ONG humanitaires sont nécessaires pour endiguer quelque peu le malheur du monde, se reposer simplement sur leurs actions est à la fois hypocrite et totalement illusoire. C’est ainsi que ces associations ressemblent à s’y méprendre aux palliatifs que l’on donne aux personnes en fin de vie : elles soulagent quelque peu le malheur du monde mais à elles seules, elles sont incapables de réellement endiguer celui-ci. Finalement, elles peuvent même apparaitre comme dangereuse dans la mesure où en déléguant l’action à ces structures, l’opinion publique se détache complètement des problèmes. Lire la suite

La France dans le monde, entre affirmation diplomatique et déclin intellectuel

A la suite de la décolonisation, notre pays a eu une volonté farouche de conserver son pré carré en Afrique. Cette nostalgie de grandeur, symbolisée notamment par les références incessantes au Général De Gaulle, se trouve ainsi matérialisée dans le positionnement qu’adopte la France depuis de nombreuses années. Evidemment, l’époque de la Françafrique est révolue à écouter les différents dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays. Mais pour autant, la France occupe aujourd’hui encore une place bien singulière dans les affaires internationales en tentant de s’affirmer vaille que vaille face aux autres grandes puissances à l’heure d’un monde multipolaire et porteur de nombreux risques à l’échelle planétaire.

Diplomatiquement, la France s’efforce ainsi d’être au premier rang dans de nombreuses situations compliquées, voire inextricables, que nous connaissons aujourd’hui. Tantôt leader, tantôt acteur, tantôt initiateur, notre pays parvient encore, malgré le procès en perte d’influence qui lui est intenté par certains hommes et femmes politiques, à se frayer un chemin de crête entre les mastodontes qui composent la géopolitique mondiale. Cette affirmation géopolitique, si elle existe concrètement, n’est malheureusement plus suivie par une affirmation intellectuelle. Ce n’est plus la pensée française qui irrigue le monde telle que cela a pu être le cas par le passé, la faute à un nombrilisme inquiétant symbolisé par la résurgence de la question identitaire. Lire la suite

Le retour de l’Iran ou la peur de l’impérialisme

Longtemps paria des relations internationales, l’Iran revient de plus en plus dans le jeu de la diplomatie. L’élection de Hassan Rohani, un président vu comme progressiste, puis l’accord sur le nucléaire de juillet dernier ont contribué à replacer l’Iran au centre de la diplomatie mondiale et plus précisément au cœur des problématiques du Proche et du Moyen-Orient. Longtemps catalogué comme faisant partie de l’axe du mal après la révolution islamique de 1979 qui a chassé le Shah pour instaurer une théocratie, l’Iran, seul pays chiite du Moyen-Orient, a été souvent très isolé.

Son environnement proche lui était, en effet, hostile en raison de l’opposition entre sunnites et chiites et, pour ne rien arranger, les grandes puissances occidentales, Etats-Unis en tête, ont longuement soutenu l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Les puissances du Moyen-Orient voient donc d’un très mauvais œil ce retour au premier plan de l’Iran. L’Arabie Saoudite et le Qatar craignent, en effet, grandement un retour en force de l’Iran et, de facto, le retour des velléités expansionnistes et impérialistes de l’Iran. Personne n’a oublié que l’Iran descend directement de l’ancien Empire Perse et les pays sunnites redoutent grandement un retour des ambitions impérialistes. Lire la suite

Face à Daech, le piège de la guerre

Après le temps du choc et du recueillement vient maintenant le temps de la réflexion et du débat d’idées sur la manière de lutter contre Daech. François Hollande, lui, a déjà choisi quelle réponse était la bonne. Il a annoncé lundi matin que la France allait intensifier ses frappes en Syrie contre Daech pour faire « le plus de dégâts possibles ». Cette semaine, il entame un vrai marathon diplomatique pour convaincre tour à tour Barack Obama, Vladimir Poutine, Angela Merkel et Xi Jin Ping de former la coalition la plus large possible. Voilà donc notre président changé en chef de guerre, ce costume qu’il affectionne ainsi que l’a noté David Revault d’Allonnes dans son ouvrage, Les Guerres du président.

Dès son intervention devant le Congrès – le lundi suivant les terribles attentats – François Hollande avait prononcé le mot guerre. « La France est en guerre » disait-il alors. En guerre contre le terrorisme qui a lui-même déclaré la guerre à la France se pressait-il d’ajouter. Sur un ton solennel, presque martial, le voilà qui, s’emportant, s’ébrouait sur son pupitre : « Le terrorisme ne détruira pas la République car c’est la République qui détruira le terrorisme ». Sur la première partie de sa phrase je suis assez d’accord. Le terrorisme ne détruira pas la République, jamais. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous seuls, républicains, avons le pouvoir de la détruire. Je reste, néanmoins, circonspect sur la deuxième partie de sa phrase. « La République détruira le terrorisme » nous dit-il. Il va alors falloir vite changer de stratégie et arrêter de penser que les bombes détruiront le terrorisme, que l’épée seule détruira l’épée. Lire la suite

Algérie : quand le Sud reprend sa place

Intervention militaire française au Mali, prise d’otages à Tiguentourine, manifestations des chômeurs à Ouargla… En 2013, le sud de l’Algérie a pris une place prépondérante dans l’actualité. Alors que cette région recèle les hydrocarbures qui assurent le train de vie de l’Etat, elle était restée marginalisée tant économiquement que politiquement. Bien qu’engagé de longue date, ce rééquilibrage géographique n’est pas sans générer des inquiétudes.

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Un autre modèle agricole pour nourrir le monde

Avis de gros temps sur le front de la lutte contre la faim : les progrès pour éradiquer ce fléau marquent le pas en dépit d’une légère amélioration des chiffres (870 Millions de personnes sous-alimentées contre un Milliard en 2009 selon la FAO). Pour répondre aux besoins des 9 Milliards d’habitants attendus au milieu du siècle, la production agricole devrait augmenter de 70% au niveau mondial et même de 100% dans les pays en développement selon la FAO. Un véritable casse-tête dans un contexte où les rendements moyens augmentent de 1% par an pour le riz et de 2% pour le maïs soit deux à trois fois moins rapidement qu’au XXème siècle. Lire la suite

La mondialisation des cerveaux

Les migrations internationales ont longtemps été considérées comme le chainon manquant de la mondialisation. En 2010, le nombre de personnes résidant dans un pays étranger depuis plus d’un an s’élevait à 214 Millions. Si les migrants ne représentent que 3% de la population mondiale, dans les économies avancées, la contribution des immigrants à la croissance de la population active atteint 40%. En 2010, l’immigration permanente représentait en moyenne 12% de l’emploi dans ces économies (ce chiffre a doublé depuis 20 ans). Lire la suite