Face à Daech, le piège de la guerre

Après le temps du choc et du recueillement vient maintenant le temps de la réflexion et du débat d’idées sur la manière de lutter contre Daech. François Hollande, lui, a déjà choisi quelle réponse était la bonne. Il a annoncé lundi matin que la France allait intensifier ses frappes en Syrie contre Daech pour faire « le plus de dégâts possibles ». Cette semaine, il entame un vrai marathon diplomatique pour convaincre tour à tour Barack Obama, Vladimir Poutine, Angela Merkel et Xi Jin Ping de former la coalition la plus large possible. Voilà donc notre président changé en chef de guerre, ce costume qu’il affectionne ainsi que l’a noté David Revault d’Allonnes dans son ouvrage, Les Guerres du président.

Dès son intervention devant le Congrès – le lundi suivant les terribles attentats – François Hollande avait prononcé le mot guerre. « La France est en guerre » disait-il alors. En guerre contre le terrorisme qui a lui-même déclaré la guerre à la France se pressait-il d’ajouter. Sur un ton solennel, presque martial, le voilà qui, s’emportant, s’ébrouait sur son pupitre : « Le terrorisme ne détruira pas la République car c’est la République qui détruira le terrorisme ». Sur la première partie de sa phrase je suis assez d’accord. Le terrorisme ne détruira pas la République, jamais. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous seuls, républicains, avons le pouvoir de la détruire. Je reste, néanmoins, circonspect sur la deuxième partie de sa phrase. « La République détruira le terrorisme » nous dit-il. Il va alors falloir vite changer de stratégie et arrêter de penser que les bombes détruiront le terrorisme, que l’épée seule détruira l’épée.

La première des luttes est idéologique

En évoquant le conflit face aux Nazis, Albert Camus a ces mots fulgurants dans ses Lettres à un ami allemand : « Nous y avons appris que contrairement à ce que nous pensions parfois, l’esprit ne peut rien contre l’épée, mais que l’esprit uni à l’épée est le vainqueur éternel de l’épée tirée pour elle-même ». Voilà une phrase que nos dirigeants devraient lire avec attention. Actuellement, nous avons décidé de répondre à l’épée par la seule épée, sans se préoccuper une seule seconde de l’esprit. Comme l’a si bien rappelé Mohamed Chirani sur le plateau d’ITélé, c’est par les idées et par le Coran qu’il faut d’abord combattre Daech. Aussi longtemps que nous laisserons les terroristes utiliser les mots (djihad par exemple) comme bon leur semblera, aussi longtemps que nous ne mènerons pas la lutte sur un plan idéologique et philosophique contre Daech alors les bombes seront vaines et les attentats continueront. Tant que l’esprit ne sera pas uni à l’épée, alors la victoire ne sera jamais définitive.

Le combat idéologique nécessite aussi de porter sur nos propres agissements un regard critique. Comment, en effet, continuer à mener la même politique qui a échoué sur le plan international et croire que celle-ci fonctionnera tout à coup ? François Hollande se démène pour créer une coalition la plus large possible mais lorsque l’on s’engage dans une coalition de guerre, il faut un ciment fort pour lier les pays les uns aux autres. La simple désignation d’un ennemi commun ne suffit pas à régler les problèmes futurs, à gérer le fameux jour d’après. Entre la Russie, la France, les Etats-Unis ou l’Iran, il n’y a, en effet, aucune vision commune sur le futur de la Syrie. Si rien n’est fait, les mêmes causes produiront les mêmes effets et comme le dit le proverbe, Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Alors de grâce, arrêtons avec la Realpolitik.

Daech peut être détruit par une guerre, pas le terrorisme

Si nous souhaitons détruire le terrorisme (ou du moins l’affaiblir fortement de manière durable), il ne s’agit pas simplement de détruire Daech et de penser que tout ira bien derrière. Sans mettre en place une politique de stabilisation du Moyen-Orient le terrorisme ne sera pas affaibli durablement. Détruire Daech est important je ne le nie pas mais créer les conditions d’un franc recul du terrorisme est plus important encore. Continuons avec la Realpolitik qui stipule que l’on se tait sur les dictatures tant que cela nous est économiquement profitable ou tant que lesdites dictatures représentent une barrière contre le terrorisme et nous participerons du renforcement idéologique des groupes terroristes. En tentant d’imposer nos valeurs et notre vision du monde à d’autres peuples, nous concourons, en effet, à la création d’un ressentiment farouche de la part de certaines populations.

Comme l’a très bien noté Jean-Luc Nancy dans l’Humanité, « comment ne pas remarquer qu’il [le fondamentalisme religieux] aura répondu à ce qu’on peut désigner comme le fondamentalisme économique inauguré avec la fin du partage bipolaire et l’extension d’une “ globalisation ” ». Il s’agit dès lors d’arrêter d’imposer notre grille de lecture au monde entier sous peine de créer des poches de tensions un peu partout sur la planète. Aussi longtemps que nous ne changerons pas de manière de procéder, le terrorisme demeurera cette hydre à plusieurs têtes. Coupez lui en une et il en repoussera deux autres encore plus hideuses et violentes. Continuons à agir de la sorte et nous irons de Charybde en Scylla. Daech et Boko Haram n’ont-ils pas, en effet, pris une toute nouvelle ampleur depuis la chute d’Al Qaïda ? Impossible d’oublier que Daech est né de la déliquescence de l’Etat irakien à la suite de l’intervention américaine de 2003.

Finalement, il s’agit de ne pas faire offenses à nos valeurs fondamentales. Si nous voulons réellement que la République ne soit pas détruite, il importe de ne pas tourner le dos à nos principes de justice, d’égalité ou de liberté. En respectant ces valeurs, en ne bafouant aucun de nos principes et en refusant les compromissions nous pourrons dans un futur plus ou moins proches avoir les mêmes mots pour Daech que Camus pour son ami allemand : « Mais nous aurons du moins contribué à sauver la créature de la solitude où vous vouliez la mettre. Pour avoir dédaigné cette fidélité à l’homme, c’est vous qui, par milliers, allez mourir solitaires. Maintenant, je puis vous dire adieu ».

3 commentaires sur “Face à Daech, le piège de la guerre

  1. Juste une petite note à propos de ton « proverbe ».

    Il s’agit une variante apocryphe d’une phrase de Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)

    « Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. »

    Fais gaffe, c’est une des mantra d’un certain Éric Zemmour.

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    • Je savais qu’il s’agissait d’une variante de cette phrase.
      Par contre je ne savais pas que c’était l’une des mantra de Zemmour. Mais je vois pas en quoi cela devrait me déranger, ce n’est pas parce que qqun opposé à mes idées utilise une phrase que je n’ai plus le droit de le faire 😉

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  2. […] Après m’être penché sur la politique extérieure que mène la France depuis les attentats du 13…, je m’attaque au pan intérieur des conséquences induites par les attaques subies par notre pays il y a deux semaines. Aux yeux de tous les observateurs, François Hollande a opéré un virage presque à 180° en matière sécuritaire à la suite du drame qui a bouleversé la France. « Le pacte de sécurité est supérieur au pacte de responsabilité » a-t-il tonné devant le Congrès le lundi suivant les attentats. Ce faisant, il prend des airs de Reagan qui, en son temps, affirmait lui aussi que la défense de son pays n’avait pas de prix et qu’entre le creusement du déficit et la sécurité de ses concitoyens le choix était fait. […]

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