Décidément, Vladimir Poutine semble prendre un malin plaisir à jouer le rôle de révélateur pour les Présidents de la République française. Avec Nicolas Sarkozy il avait fait montre de sa poigne comme l’avait expliqué un documentaire s’intéressant au président russe et diffusé il y a quelques mois sur France 2. De manière plus directe, il avait renvoyé François Hollande à son statut de Président souffrant d’une indécision chronique lors d’une séquence diplomatique à propos de la Syrie. En choisissant de recevoir Vladimir Poutine au château de Versailles après l’avoir vertement critiqué durant la campagne présidentielle – et critiqué par la même occasion et par procuration ses trois principaux adversaires – Emmanuel Macron a de nouveau offert le rôle de cavalier de l’apocalypse au président de la fédération de Russie.
Apocalypse est ici à prendre dans son sens étymologique à savoir celui de la révélation. Il me semble, en effet, que cette réception à Versailles – venant conclure une séquence diplomatique de la part de notre Président – nous dit bien des choses sur le nouveau locataire de l’Elysée. Toutefois, loin de ne concerner que lui-même, le révélateur Poutine a également eu un effet sur les médias dits dominants (ou mainstream) dans notre pays. Il faut dire que Poutine a tellement polarisé à la fois l’attention des médias et les positions géopolitiques durant la campagne présidentielle qu’il ne pouvait en être autrement lorsque celui-ci serait reçu en France, peu importe le vainqueur de l’élection présidentielle.
Le roi accueillant le tsar
Commençons donc par s’intéresser à ce que nous dit cette réception fastueuse sur Emmanuel Macron. Déminons d’emblée toute ambigüité, je ne crois pas que la réception de Vladimir Poutine pose problème en elle-même. Je crois au contraire qu’il fait partie, qu’on le veuille ou non, des grands dirigeants de ce monde et qu’il faut de fait discuter avec lui. En revanche, si le fond n’est pas dérangeant, la forme qu’a prise cette réception a de quoi interloquer. Alors oui d’aucuns rétorqueront qu’il s’agissait d’une manière diplomatique pour Macron de montrer sa puissance à son hôte mais quand bien même. Recevoir Poutine est normal, le recevoir à Versailles en lui déroulant le tapis rouge est, à mes yeux, une grave erreur à la fois politique et stratégique. Lorsque l’on a passé sa campagne à critiquer farouchement la politique internationale d’un dirigeant, on ne le reçoit pas en grandes pompes.
Les images de cette réception somptuaire m’ont, personnellement, dérangé et rappelé la réception de Mouammar Kadhafi par Nicolas Sarkozy en 2007. A l’époque, l’ex-paria de la communauté internationale – redevenu entre temps paria et mort depuis – avait planté sa tente de bédouin à Paris. Y a-t-il réellement une différence de nature entre cette réception et celle de Monsieur Poutine ? Je suis bien plus enclin à n’y voir qu’une différence de degré. Ladite réception a mis en scène un roi et un tsar et non pas deux présidents il me semble. Le décor choisi n’était pas innocent et les symboles, en politique comme ailleurs, ne sont pas des choses insignifiantes, loin de là. Après s’être affiché en conquérant face à Donald Trump – par le biais de sa poignée de mains largement commentée, il faudra d’ailleurs un jour songer à ouvrir des chaires de commentaire des poignées de mains dans les écoles de journalisme si cela continue – cette réception de Poutine à Versailles, haut-lieu de la monarchie était là pour signifier que le nouveau Président endosse avec plaisir les habits du président-monarque si cher à notre Vème République.
Le deux poids deux mesures de lémédia
Au-delà des messages plus ou moins implicites qu’a renvoyés cette réception sur Emmanuel Macron, celle-ci a également servi de révélateur pour les pratiques des médias dits dominants. Durant toute la campagne présidentielle, en effet, lesdits médias n’ont pas eu de mots assez durs pour attaquer les positions de Vladimir Poutine ou dire à quel point cet homme était infréquentable. Par ce biais-là, bien des médias ont attaqué les trois principaux adversaires de Monsieur Macron lors de la campagne présidentielle en expliquant à quel point ils étaient irresponsables de vouloir s’allier ou même de vouloir simplement converser avec Monsieur Poutine tant celui semblait représenter le diable en personne. Dans un message publié sur Twitter, Jérôme Latta avait ironiquement expliqué que comme l’état de grâce pour Macron avait précédé l’élection, une fois sa victoire acquise nous étions entrés en état de pâmoison.
Il ne croyait pas si bien dire et la réception de Vladimir Poutine aura servi à montrer de manière crue à quel point les principaux médias de notre pays pratiquaient le deux poids deux mesures avec outrance et peu d’éthique. Alors que Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon avaient été présenté comme des dictateurs en puissance prêt à s’allier au mal parce qu’ils évoquaient la reprise du dialogue avec la Russie, Emmanuel Macron n’a reçu que des louanges ou presque lorsque la visite de Vladimir Poutine en France a été annoncée. Une fois cette rencontre passée, les mêmes médias qui avaient brocardé Le Pen, Fillon et Mélenchon ont expliqué à quel point cette rencontre avait été bénéfique et comment le dégel des relations entre la Russie et la France se mettait en place. Il va sans dire qu’une telle pratique journalistique est à la fois partiale et scandaleuse tant elle réserve des traitements différents selon de qui il est question. Il est malheureusement peu probable que le Décodex du Monde se jette sur la question pour nous éclairer. Il faut croire qu’il y a des choses qui méritent plus que d’autres d’être étudiées par les Décodeurs – qui, bien entendu, se bornent à l’étude de faits sans aucune idéologie.
Voilà donc ce que l’on pouvait dire sur cette réception de Poutine à Versailles. Le moment le plus marquant de la conférence de presse commune entre les deux présidents résume, dans une merveilleuse ironie du sort, un peu l’ensemble des évènements que nous a appris cette réception. Il s’agit bien entendu du moment où Emmanuel Macron a attaqué frontalement Russia Today et Sputnik – les deux organes de presse du régime russe – devant Vladimir Poutine. Le président français a effectivement affirmé que ces deux médias étaient des organes de propagande – ce qui, ne lui enlevons pas cela, ne manque pas de courage. Néanmoins, loin de défendre la liberté de la presse comme j’ai pu le lire ci et là, Emmanuel Macron s’est avant tout défendu lui-même en fustigeant le traitement que lui ont réservé les deux médias, un peu comme un roi qui expliquerait à la cour le pourquoi de son courroux. Et surtout, Emmanuel Macron se garde bien de critiquer le traitement partial développé tout au fil de ce papier par les médias dominants de notre pays – au rayon des fausses informations diffusées par nos médias qui paraissent si blancs aux yeux de Monsieur Macron on pense notamment à l’histoire du PMU de Sevran qui, assurément, a eu bien plus d’impact sur la campagne que les données propagées par RT et Sputnik. Il y aurait, sur cette question-là, pourtant matière à disserter longuement. La paille et la poutre en somme.