Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron répondait frontalement à Matteo Salvini et Victor Orban qui, lors d’un sommet bilatéral, avaient attaqué sans prononcer son nom le locataire de l’Elysée. La raison de cette opposition réside principalement sur les postures des uns et de l’autre sur la question de l’immigration. Bien mal en point à l’échelle nationale – l’affaire Benalla, les démissions de Collomb et Hulot et bien d’autres événements viennent effectivement assombrir son début de quinquennat – Monsieur Macron voit certainement dans les élections européennes à venir en mai prochain un moyen à la fois d’asseoir son parti et en même temps de s’offrir une bouffée d’oxygène.
A la manière d’un Chirac mal en point sur la scène nationale et cherchant à se revigorer sur la scène internationale, Emmanuel Macron pourrait pourtant subir un échec similaire (bien que sans doute moins cuisant) que celui subi par Chirac avec le référendum de 2005 sur la constitution européenne. Tout acquis à la stratégie qui lui a permis de se retrouver à l’Elysée, Emmanuel Macron tente donc de la déployer à l’échelle européenne en se présentant comme le leader naturel des forces dites progressistes face aux démocraties « illibérales » symbolisées par Orban et Salvini principalement – le président français profite de la timidité de la CDU en Allemagne soumise à la poussée de l’AFD et vise très clairement à faire exploser la droite européenne (le PPE) après les élections européennes. Ce clivage est pourtant un leurre qu’il nous faut urgemment déconstruire afin d’éviter le piège tendu à la fois par Macron et par Salvini/Orban.
Le mythe des différences
La principale tactique des deux bords consiste à souligner leurs différences respectives. Macron serait pro-immigration et société ouverte quand le binôme Salvini/Orban serait opposé à toute immigration. Il nous faut, je pense, déconstruire le mythe qui existe autour de ce positionnement, mythe qui nous mène droit à l’abime à mes yeux. Dans la Grèce Antique, le mythe – qui dérive de muthos – définissait le domaine de l’opinion fausse, de la rumeur, du discours de circonstance. En somme, le mythe est le discours non-raisonné, qui se veut être une forme de fable. Par opposition, le logos était, lui, le discours raisonné. C’est précisément le passage du muthos au logos qui a posé la pierre fondatrice des philosophes de la Grèce Antique. De la même manière que le mythe de la Grèce antique a empêché durant de longues années la mise en place de la philosophie, la fable sur le positionnement radicalement opposé de ces deux blocs nous empêche de penser e manière pertinente les choses.
Macron tout comme ses adversaires se plaisent à se présenter comme étant l’opposé absolu les uns des autres. Ainsi, la séquence autour de l’Aquarius et le refus de la part de l’Italie d’ouvrir ses ports a été vu comme un moyen de différencier les deux positionnements. Remontrances de la part du président français, réactions outragées du ministre italien, tout était réuni ou presque dans ce mauvais remake de la commedia dell’arte pour faire croire à une opposition. Pourtant, sur ce sujet comme sur bien d’autres (le sommet européen d’il y a quelques semaines consacré à la question l’a bien montré), les positions se rejoignent, tout juste Salvini et Orban assument-ils de mener une politique hostile aux migrants quand Macron se cache derrière des bons mots. De la même manière, nous y reviendrons, la politique économique prônée par les deux camps est sensiblement la même. Il devient donc plus qu’urgent de déconstruire cette fable qui est l’équivalent des récits que l’on raconte aux enfants pour mieux les endormir.
Fracasser la mâchoire d’airain
Par-delà même l’artificialité de leurs différences, il nous faut je crois revenir avec attention sur la stratégie des deux camps et ce qu’elle nous dit de leur positionnement politique – en somme, il s’agit de s’attaquer à l’échelle globale plutôt que de s’attarder sur leurs propos. Il est assez fréquent, en effet, que les non-dits et les présupposés en disent bien plus long que les propos réellement tenus. Ce que nous voyons se mettre en place pour la gauche et pour toute personne soucieuse de lutter contre les inégalités n’est ni plus ni moins qu’une forme de mâchoire d’airain semblant se refermer inexorablement sur nous : d’une part les positions nationalistes et xénophobes d’Orban, Salvini et leur compères, d’autre part le néolibéralisme débridé défendu par Macron. Je ne vois, personnellement, pas de grande différence entre les deux et c’est en bloc que nous devons repousser deux modèles tout aussi mortifère l’un que l’autre.
A ce titre, je suis d’ailleurs enclin à penser que le nationalisme défendu par Orban et Salvini n’est que l’excroissance du néolibéralisme porté par Macron. A la concurrence du tous contre chacun se substitue la concurrence entre Etat-nation et ethnies dans le modèle italo-hongrois. Le point commun et le rapprochement entre ces deux idéologies résident principalement dans le fait de jouer sur un seul et unique terrain, le terrain identitaire. Quand Macron se présente comme ouvert et progressiste il fait sciemment le choix de se déporter sur le terrain de Salvini et Orban. Pour mieux les combattre diront certains. Pour mieux imposer son agenda néolibéral pensé-je. L’avantage, pour eux, de cette opposition artificielle réside assurément dans le fait qu’elle court-circuite toute vision sociale et de classe en cela qu’elle ne parle pas d’économie ni de social. Aussi est-il plus qu’urgent de sortir de l’ornière à gauche et de ne pas suivre ces deux blocs dans leurs élucubrations. C’est à la fois en étant ferme sur la question migratoire, en ne reniant pas les valeurs internationalistes, en ne louvoyant pas comme certaines parties de la gauche le font tout en étant acharnés sur la question sociale que nous parviendrons à sortir du piège tendu.