Dimanche avaient lieu les élections fédérales allemande. Angela Merkel, chancelière depuis 2005, briguait un 4ème mandat consécutif à la chancellerie allemande et, si tout se passe comme prévu, elle devrait rempiler pour quatre années de plus dans la machine à laver – le surnom donné par les Allemands au siège de la chancellerie – bien que les négociations risquent d’être très ardues, nous y reviendrons. A en croire beaucoup de médias et de titres que j’ai pu voir passer, sur Twitter notamment, les résultats de ces élections seraient la preuve qu’Angela Merkel est parvenue à « gagner » une nouvelle fois les élections allemandes. C’est une manière de voir les choses puisque la CDU/CSU (Christlich Demokratische Union, l’union chrétienne-démocrate, de droite) a récolté près de 33% des voix, obtenant ainsi 246 sièges au Bundestag (le parlement allemand).
Je suis personnellement bien plus enclin à adopter un regard plus critique sur ces élections. La CDU/CSU est certes arrivée en tête mais elle réalise l’un de ses pires scores depuis l’après-guerre. Si elle s’est imposée, c’est avant tout selon moi parce que le SPD (Socialdemokratische Parteil Deutschland, le parti social-démocrate) s’est écroulé réalisant le pire score de son histoire. Le fameux « modèle » allemand tant loué de ce côté-ci du Rhin a été lourdement sanctionné par les électeurs allemands puisque la « Große Koalition », la coalition rassemblant la CDU/CSU et le SPD a été farouchement rejetée par les Allemands. C’est bel et bien un véritable séisme politique qui a touché l’Allemagne dimanche soir puisque celle-ci était jusqu’alors épargnée par des dynamiques communes à toute l’Europe. Beaucoup mettaient cette singularité sur le compte du « modèle » allemand, à la fois politique et économique. Nous voyons aujourd’hui que l’Allemagne n’est évidemment pas immunisée contre ces phénomènes de montée en puissance de l’extrême-droite, de délitement de la social-démocratie et d’effondrement du bipartisme.
Délitement de la social-démocratie et sanction de la Große Koalition
Jusqu’ici, l’Allemagne avait été relativement épargnée d’une dynamique qui frappe un peu toute l’Europe et dont j’avais déjà parlé au lendemain des élections législatives néerlandaises, celle du délitement de la social-démocratie. Partout en Europe, en effet, la logique commune est celle d’un effondrement de la social-démocratie. Des Pays-Bas à la Grèce, du Royaume-Uni à l’Espagne, de la France à l’Allemagne désormais, les partis ou idées sociaux-démocrates ne font plus recette et cette désaffection croissante des citoyens de toute l’Europe à l’égard de cette idéologie politique est, selon moi, éminemment liée au fait que celle-ci se soit jetée avec amour dans les bras du néolibéralisme financiarisé, abandonnant ainsi toute ambition de modification du système économique en place.
A cet égard, le cas allemand me semble faire figure de véritable exemple dans le sens où le SPD est sans doute le premier des partis sociaux-démocrates à avoir épousé les idées du marché et du néolibéralisme sous la coupe du célèbre Schröder. Le SPD sort laminé de ces élections fédérales allemandes alors même qu’il faisait partie de la grande coalition durant 4 ans. D’ailleurs, si l’on élargit un peu le champ de vision, on constate que les deux pires scores du SPD ont eu lieu en 2009 et donc aujourd’hui. Dans les deux cas, celui-ci sortait de 4 années de grande coalition donc d’apocalypse au sens grec du terme (révélation) de cette collusion entre social-démocratie et néolibéralisme. Toutefois, si le SPD a bien réalisé le pire score de son histoire en perdant plus de 5% des suffrages, le parti qui a été le plus sanctionné demeure bel et bien la CDU/CSU qui a vu son score être amputé de près de 9% par rapport à 2013. C’est donc bel et bien cette Große Koalition qui a été sanctionnée en perdant près de 15% des suffrages par rapport aux élections précédentes.
Le revers du « modèle » allemand mis à nu
Lundi matin, l’Allemagne s’est réveillée en état de choc. Dans un pays où la stabilité politique est la norme et où le bipartisme était solidement ancré, voir un nouveau parti, d’extrême-droite de surcroît, débouler dans le Bundestag et se hisser à la troisième place de l’échiquier politique est un véritable séisme. L’Allemagne post-1945 s’est en effet construite sur le refus absolu de l’extrême-droite et sur la volonté farouche de mettre un haro sur les hypothétiques velléités néonazies. Par bipartisme il faut entendre le fait que seuls deux grands partis pouvaient mener les coalitions (des coalitions rassemblant parfois les deux partis). Le surgissement de l’AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne, extrême-droite), qui a obtenu plus de 12% des suffrages et 94 sièges au Bundestag, couplé au refus du SPD de former une nouvelle grande coalition, va forcer Angela Merkel à faire le grand écart entre les libéraux du FDP, nous y reviendrons plus tard, et les Verts afin de former un gouvernement.
Ce bon résultat de l’AfD a très rapidement été mis sur le compte de la politique d’accueil des réfugiés appliquée par Madame Merkel. La seule variable du vote AfD serait donc le caractère raciste d’un certain nombre d’Allemands à écouter bien des médias de notre pays. Il est vrai que le parti d’extrême-droite a opéré un virage radical en fin de campagne électorale appelant à être fier des soldats allemands durant la deuxième Guerre mondiale par exemple. Néanmoins, de la même manière que la composante raciste a masqué et biaisé bien des analyses vis-à-vis du Front National en France, traiter de néo-nazi l’AfD revient à garder les yeux fermés sur les dynamiques profondes à l’oeuvre dans le pays. Le résultat de l’AfD est aussi la conséquence du fameux « modèle » allemand dont on ne compte plus les laudateurs parmi les éditorialistes français. Ledit « modèle » est pourtant un système qui fait croitre les inégalités et la pauvreté (17% des Allemands vivent sous le seuil de pauvreté) et lorsque l’on regarde la géographie du vote AfD on se rend très rapidement compte que c’est l’ex-RDA qui a massivement voté pour ce parti. Si le génial Quatremer, jamais avare en absurdité, a suggéré que c’était l’héritage du communisme, je suis bien plus enclin à y voir le résultat d’un déclassement grandissant dans cette ex-RDA. Ce vote AfD est finalement aussi la mise à nu de ce revers allemand jamais abordé de ce côté-ci du Rhin. Il serait grand temps de le méditer.
La crise européenne qui vient
L’autre grande information de ce scrutin allemand, c’est bien évidemment le retour des libéraux au parlement et bientôt au gouvernement. Cela est tout sauf une bonne nouvelle pour ceux qui croyaient encore à une réorientation des politiques européennes puisque, évidemment, les résultats des élections allemandes auront une incidence importante sur l’ensemble de l’UE. Avec plus de 10% des suffrages et 80 députés envoyés au Bundestag, le FDP (Freie Demokratische Partei, le parti libéral-démocrate) a su se relever du choc qu’avaient été les élections de 2013 pour lui – il est d’ailleurs assez intéressant de constater que, là encore, c’est à la suite d’une coalition avec la CDU/CSU que le FDP a connu ce résultat famélique, un peu comme si la CDU/CSU affaiblissait ceux avec qui elle gouverne. En revenant ainsi en force au parlement, le parti libéral s’assure une influence quasi-certaine sur la politique du futur gouvernement.
Angela Merkel se retrouve effectivement en manque d’alliés pour former ce gouvernement et va devoir réaliser un véritable numéro de contorsionniste pour convaincre les Verts et le FDP de siéger au même gouvernement tant les visions de ces deux partis paraissent éloignés. Le retour en force du FDP est une très mauvaise nouvelle pour les partisans d’une politique opposée à l’austérité puisque le FDP est le parti le plus sévère sur les questions budgétaires et avait été parmi les plus grands pourfendeurs de la Grèce au début de la crise de la dette grecque. Pour Emmanuel Macron également ces résultats constituent un motif d’inquiétude, lui qui a fondé tout son projet sur l’austérité escomptant ainsi une fédéralisation accrue de la zone euro. Le FDP a par exemple déjà affirmé son refus absolu de la mise en place d’un ministère des finances de la zone euro. A l’heure où l’UE demeure plus que fragile économiquement, le retour des partisans les plus zélés de l’austérité à la tête de l’Allemagne laisse présager d’une crise aiguë. Plus que jamais il va nous falloir nous souvenir de l’étymologie de ce mot puisque la crisis est également le moment du choix.