L’UE, l’Italie et le symptomatique bras de fer

Passée quelque peu inaperçue de ce côté-ci des Alpes en raison du mouvement des Gilets Jaunes, l’actualité italienne est pourtant brûlante à bien des égards. Alors que tous les yeux européens, ou presque, sont effectivement rivés sur le Royaume-Uni et sur la fragilité de Theresa May ainsi que sur la potentialité d’un hard Brexit, l’Italie fait figure de deuxième foyer menaçant au sein de l’Union Européenne en cela qu’elle est, depuis des semaines, engagée dans un bras de fer l’opposant à la Commission européenne à propos du budget présenté par la majorité composée de la Ligue et du mouvement 5 Etoiles.

Vertement critiquée depuis son accession au pouvoir, la coalition semble aujourd’hui vivre ce que l’on pourrait définir comme un mouvement de vérité. Se définissant tous les deux comme des partis antisystème et critiques de l’Union Européenne et de ses règles, les deux partis au pouvoir en Italie voient désormais leurs critiques et leurs positions se heurter à la réalité d’une Commission européenne ayant fermement décidé qu’elle ne souhaitait laisser aucune marge de manœuvre budgétaire au gouvernement italien. Dès lors, tenter de comprendre de quoi cette volonté forcenée de ne laisser aucune marge à la coalition au pouvoir en Italie est le symptôme est, me semble-t-il, la première étape pour comprendre les motivations profondes de l’Union Européenne actuelle et de son bras politique armé qu’est la Commission européenne.

Au royaume de la rigueur

C’est désormais une caricature bien connue, dès lors qu’il s’agit de parler de questions budgétaires au sein de la zone euro, la sacro-sainte règle des 3% de déficit n’est jamais loin. Comme un lointain écho aux propos de Jean-Claude Juncker qui, lors de la crise grecque, avait expliqué qu’il ne pouvait pas y avoir de choix démocratiques en dehors des traités européens – ce qui revient à dire qu’il n’y a plus réellement de choix possibles et que seuls les traités devraient régir la politique des Etats membres – la situation actuelle de l’Italie n’est pas sans rappeler les jours qui avaient suivi les élections générales du pays lorsque le président de la République avait refusé de nommer au ministère de l’économie une personnalité critique de la monnaie commune.

Parce que, finalement, que se passe-t-il actuellement sinon une réminiscence de cette folie autoritaire de l’UE face à toute tentative de politique s’écartant à peine du chemin balisé ? Si par le passé certains des bras de fer ont pu opposer la Commission européenne à des pays dépassant allègrement les fameux 3% de déficit public – règle totalement absurde rappelons-le – dans le cas qui nous occupe ici, l’Italie demeurait bien en-deçà de ce seuil. En faisant le choix de mettre en place une forme de revenu universel, le gouvernement italien a, en effet, revu ses prévisions de dépenses et donc de déficit à la hausse tout en demeurant néanmoins en dessous des 3% autorisés. Malgré cela, la Commission n’a rien voulu entendre et s’est fait un point d’honneur d’exiger le recul du gouvernement sur ces annonces alors même que ces mesures font partie du pacte de gouvernement signé entre les deux partis au moment de leur prise de pouvoir. Comme à l’accoutumée, l’UE montre qu’elle ne tolère qu’une seule politique économique.

L’ordolibéralisme et les monstres

Ce que nous voyons se mettre en place avec l’Italie n’est en réalité que l’épisode le plus récent de cet autoritarisme économique qu’est l’Union Européenne. De la même manière qu’elle a imposée il n’y a pas si longtemps à la Grèce une cure d’austérité semblable aux saignées des médecins de Molière, la voilà qui refuse obstinément que l’Italie mène une autre politique que l’ordolibéralisme défendu avec amour par la CDU allemande. Il est parfois très intéressant de s’intéresser aux non-dits de telle ou telle décision politique. Bien souvent, ceux-ci nous en apprennent bien plus que ce qui est effectivement affirmé, un peu comme un négatif permet de saisir des détails qu’une photographie finale ne permet pas d’appréhender.

Dans le cas présent, quel est donc le négatif de cet autoritarisme économique ? Sans conteste, celui-ci réside dans le fait que si la Commission monte sur ses grands chevaux et rue dans les brancards dès lors qu’une politique économique alternative pointe le bout de son nez, celle-ci ne trouve absolument rien à redire à propos des politiques odieuses et discriminatoires menées à l’égard des migrants. Lorsque Matteo Salvini a refusé d’ouvrir les ports italiens à l’Aquarius, la Commission européenne est restée bien silencieuse. De la même manière, à chaque outrance du dirigeant du parti d’extrême-droite, les mêmes personnes qui s’offusquent d’un budget un peu plus déficitaire se retrouvent muettes quand il s’agit de fustiger la violation des droits humains. Il n’y a, je crois, absolument rien de fortuit dans le choix qui est fait de réprimander l’Italie sur des questions économiques mais de ne rien dire quant à sa politique discriminatoire. Je suis effectivement de ceux qui pensent que cette UE ordolibérale et tout acquise aux forces de l’argent s’accommode très bien de politiques racistes et contraires aux droits humains à l’égard de tout un pan de la population. Pour mieux se présenter sous un visage avenant et affable, cette UE cajole ceux qu’elle définit comme des monstres. Pour se donner une image d’ouverture et de tolérance, elle pousse et laisse les Salvini et autres Orban faire. Finalement, cet état de fait ne fait que confirmer une chose : le nationalisme exacerbé que nous voyons monter dans toute l’Europe n’est que l’enfant hideux de ce néolibéralisme totalement fou. A la compétition de tous contre chacun s’oppose celle entre ethnies. Ils voudraient nous faire croire que seuls ces deux modèles sont possibles et nous enfermer dans cette cage d’airain, à nous de la fracasser.

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