Il y a une dizaine de jours les urnes ont parlé. Emmanuel Macron a été désigné comme Président de la République en récoltant plus de 65% des suffrages exprimés. Il y a deux jours l’ancien Ministre de l’Economie a officiellement pris ses fonctions lors de la passation de pouvoir entre François Hollande et lui-même. Hier il a fait son premier déplacement international de Président de la République en se rendant à Berlin pour rencontrer Angela Merkel. Rarement une élection présidentielle n’aura autant fracturé notre pays – à ce titre l’article de Society sur les « petits meurtres politiques en famille » est excellent – si bien qu’il faudra sans doute énormément de temps avant de cautériser les plaies béantes encore présentes. Cette urgence est plus que jamais présente et il me semble qu’il ne manque pas grand-chose pour que les fractures deviennent irrémédiables.
Si cette campagne électorale a tant fracturé le pays c’est, à mes yeux, pour deux raisons principales. La première c’est que le quinquennat de François Hollande a accouché de ruptures majeures tant et si bien que les visions défendues par les différents candidats étaient diamétralement opposées. La seconde, la plus importante selon moi, c’est que cette campagne présidentielle a été porteuse d’une violence inouïe. Parallèlement à cette violence symbolique et verbale extraordinairement élevée, nous avons assisté à une forme de confusionnisme assez effrayant. Georges Orwell n’aurait sans doute rien trouvé à redire si on lui disait que son novlangue s’applique aujourd’hui dans la vraie vie. A cet égard, l’entre-deux tours aura été le paroxysme de ce double mouvement de violence et de confusionnisme. Toute personne refusant de voter pour Emmanuel Macron s’est alors vue traitée d’antidémocrate ou presque, ce qui est assez comique à mes yeux. Je crois personnellement, en effet, que nous ne vivons actuellement pas dans une démocratie. L’objet de ce billet est d’expliciter cette conviction.
Les enseignements du cas Macron
Rarement dans l’histoire de la Vème République nous avions eu un candidat aussi symbolique qu’Emmanuel Macron. Qu’est-ce qu’un symbole, en effet, sinon quelque chose qui renvoie à autre chose qu’à lui-même ? Si l’élection présidentielle qui vient de s’achever a été porteuse de fractures si profondes c’est également parce que s’y opposaient non pas simplement des programmes qui s’accommodaient du cadre politique dans lequel nous vivons mais précisément parce que certains de ces programmes se proposaient de remettre en cause ce système politique d’un point de vue systémique en voulant changer de République (Benoît Hamon et surtout Jean-Luc Mélenchon ont été les porteurs de cette idée). Avant le premier tour, Aude Lancelin a parlé d’un putsch du CAC 40 en cas de victoire d’Emmanuel Macron lors de l’élection qui était alors à venir. Si le mot putsch a pu (ou peut) heurter, l’expression mérite qu’on s’y arrête maintenant que le fondateur d’En Marche a pris ses quartiers à l’Elysée.
Jamais ou presque, en effet, un Président de la Vème République n’avait été si mal élu. Paradoxalement, malgré les 66% de suffrages qui se sont portés sur lui lors du second tour, Emmanuel Macron restera la figure du Président élu par défaut et par l’aide, consciente ou non, des médias et des sondages. Les médias ont-ils favorisé Emmanuel Macron de manière consciente en permanence, celui-ci s’est-il servi d’eux ou bien est-ce les deux à la fois dans une démarche gagnant-gagnant (le fameux win-win si cher au monde du business) ? Je laisse chacun se faire son avis sur cette question. Néanmoins, le fait est qu’Emmanuel Macron a bénéficié au premier tour du « vote utile » induit par les sondages (près de 50% de son électorat au premier tour auraient voté pour lui par défaut) et au second tour d’un vote barrage face au FN (seuls un peu plus de 3 Millions de Français ont voté pour lui en étant conquis par son programme). Finalement, seuls 9% des inscrits ont voté pour Emmanuel Macron par conviction au premier tour et le voilà qui se retrouve muni d’un pouvoir immense.
Les présidents mal élus, une constante française
Il serait injuste pour Emmanuel Macron de dire qu’il est le seul à avoir été élu sans être majoritaire dans l’opinion. En réalité, l’ensemble ou presque des Présidents de la Vème République ont été élus de cette manière. En moyenne, le vainqueur du second tour est élu par 44,03% des inscrits sur les listes électorales. Ceci signifie donc qu’à chaque fois ou presque, le Président élu est en réalité minoritaire. Il l’est certes moins que chacun des autres candidats mais il ne dispose pas de l’onction du suffrage universel contrairement au mythe que l’on essaye de nous vendre à longueur de temps pour justifier le présidentialisme fou de la Vème République. Le seul Président à faire exception est Jacques Chirac en 2002. Face à Jean-Marie Le Pen celui-ci a, en effet, été élu par 62% du corps électoral. Il faut cependant nuancer ce chiffre par les seuls 13,75% des inscrits qui l’avaient choisi lors du premier tour.
Le fameux adage qui voudrait « qu’au premier tour on choisit, au deuxième on élimine » censé régir les élections présidentielles et législatives en France – notamment du fait du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, nous y reviendrons par la suite – est finalement bien plus dans la réalité remplacé par un « on élimine tout le temps ». Contrairement à ce que beaucoup d’élus affirment pour mieux tenter d’asseoir une légitimité de plus en plus fissurée, non le suffrage universel ne « lave » pas de tout, il n’est en rien une onction. Dans notre système politique actuel le vainqueur est en réalité celui qui est le moins illégitime dans la mesure où un quart – voire un cinquième dans certaines élections présidentielles – des suffrages exprimés au premier tour peuvent permettre de se retrouver avec des prérogatives monumentales du fait de la Constitution de la Vème République. Nous le voyons donc, Emmanuel Macron n’est pas une exception il n’est que le paroxysme d’une dynamique mortifère d’un point de vue démocratique à l’œuvre dans notre pays depuis des décennies.
Les apories de notre système représentatif
« Son principe [il est ici question de la République] est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cette phrase est issue de notre Constitution, de son article 2 plus précisément. Nous reviendrons dans la dernière sous partie plus précisément sur cette phrase mais celle-ci est nécessaire pour comprendre les apories du système politique dans lequel nous vivons. Celui-ci est un système représentatif au sein duquel les citoyens élisent à intervalles réguliers leurs représentants – ce qui fait dire à certains que nous vivons dans une démocratie intermittente ou discontinue. Cet élément est important pour bien saisir qu’il ne faut pas tomber dans un manichéisme primaire ou outrancier. D’aucuns, en effet, nous expliquent que l’on vit soit dans une démocratie soit dans un système totalitaire. Réfléchir de la sorte c’est refuser toute complexité. On peut ne pas vivre en démocratie et ne pas vivre pour autant dans un régime totalitaire. C’est, vous l’aurez compris, la conviction qui est la mienne à propos de notre système politique.
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Cette phrase, tirée de l’article 3 de la Constitution illustre selon moi à merveille les apories du système représentatif dans lequel nous vivons. En effet, si le peuple exerce sa souveraineté par ses représentants, cette possibilité est annihilée par l’article 27 qui postule que « tout mandat impératif est nul ». Aussi notre système politique ressemble-t-il bien plus à une aristocratie élective qu’à une démocratie dans la mesure où la souveraineté populaire est complètement détournée par les élus. En somme il s’agit de choisir tous les 5 ou 6 ans celui qui choisira pour nous. Là n’est pas ma conception de la démocratie – nous y reviendrons dans la dernière sous-partie. Le système représentatif, de manière inhérente, revient à infantiliser les citoyens dans la mesure où là où il y a besoin de représentation c’est que le représenté n’est pas en mesure de se représenter lui-même (en droit par exemple). Au-delà du fait d’élire des représentants en leur abandonnant notre souveraineté populaire, un système représentatif devrait, pour être juste, être représentatif de la société dans sa diversité sociale et culturelle. Il n’en est, évidemment rien, dans notre pays où les ouvriers, les précaires, les chômeurs, les jeunes, les femmes, les minorités ethniques, etc. sont largement sous-représentées à l’Assemblée nationale en regard de leur poids dans la société.
Système représentatif versus démocratie
L’on pourrait dès lors croire que c’est notre système représentatif français qui n’est pas une démocratie mais qu’ailleurs un tel système pourrait épouser les contours de la démocratie. Il n’en est en réalité rien. Un système représentatif peut être plus ou moins démocratique mais il ne sera jamais une démocratie au sens premier du terme. Une rapide mise en perspective historique permet en effet de montrer que le système représentatif n’a que deux siècles et que loin d’être démocratique il a été la ruse ultime pour les tenants du maintien d’une forme d’oligarchie après la Révolution. L’abbé Sieyes lui-même se méfiait de la démocratie et a plaidé pour la mise en place du système représentatif, le mieux capable d’infantiliser le peuple afin de l’anesthésier. La grande prouesse de ce système de gouvernement est de s’être imposé dans l’inconscient collectif comme la seule démocratie valable alors même qu’il la neutralise.
Le gouvernement du peuple, par le peuple pour le peuple. Si vous demandez à quelqu’un ce qu’est la démocratie il y a de fortes chances qu’il vous réponde cela. En ce sens, la démocratie est avant tout reliée à la souveraineté pleine, entière et permanente du peuple. Par une pirouette assez ingénieuse, la Constitution de la Vème République a fait de cette phrase son principe. Ça c’est pour la théorie. Pour la pratique, nous l’avons vu, le peuple est en permanence dépossédé de sa souveraineté dans la mesure où nous sommes condamnés à voter pour des programmes complets sans pouvoir choisir parmi les mesures proposées et, surtout, parce que nous n’avons absolument aucun moyen de contrôler les élus une fois qu’ils ont reçu la fameuse « onction du suffrage universel ». Certains, sans doute pour mieux noyer le poisson, tentent de faire coïncider république et démocratie alors même que rien ne le permet. La République romaine, première république de l’Histoire, n’était en rien une démocratie par exemple. La démocratie athénienne reposait fondamentalement sur deux principes qui ne sont évidemment pas appliqués dans notre pays : l’isegoria qui était l’égalité du temps de parole (ce qui induisait les tirages au sort pour participer à la Boulé le parlement athénien) et l’isonomia qui était l’égalité de chacun devant la loi. Nous en sommes aujourd’hui loin. Il est d’ailleurs assez symptomatique que l’on parle désormais de démocratie directe, démocratie représentative, etc. Je suis de ceux qui pensent que nul adjectif n’est nécessaire derrière le terme de démocratie et que si adjectif il y a c’est que l’on ne parle déjà plus de démocratie. Nous l’avons donc vu, il est erroné de dire que la France est une démocratie, ce qui ne veut pas dire pour autant que nous vivons dans un système totalitaire. Du Coup d’Etat permanent de François Mitterrand aux velléités contemporaines de changer de régime, il y a un lien évident. Espérons que lesdites velléités actuelles ne finissent pas par se tourner le dos à elles-mêmes en cas de victoire tel que l’a fait Mitterrand. En attendant, essayons d’imaginer Sisyphe heureux.
Pour compléter votre excellent point de vue, les électeurs ont de quoi se demander en quoi ils ont choisi leurs représentants :
– les votants de la primaire « socialiste » se sont retrouvés avec deux candidats Hamon et Macron,
– ceux de la primaire de droite ont refusé Juppé, et ils le retrouvent en premier ministre,
– les électeurs de Macron n’ont pas voté pour Juppé, mais Édouard Philippe, soutien du programme de Les Républicains, défendra aux législatives le programme de Macron,
– les electeurs socialistes et de droite aux législatives ne savent pas si leurs « représentants » soutiendront le président ou non puisqu’ils le diront APRÈS l’élection
– quand aux électeurs frontistes ils n’ont plus de programme
Finalement quand Melenchon propose une 6° République avec le vote révocatoire, la proportionnelle ou non, mais une Assemblée Constituante défendue depuis la Présidentielle ET aux Législatives, il est le plus démocrate !
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Le point le plus important que vous soulevez est sur le soutien ou non des futurs députés LR et PS à Macron. C’est le flou artistique le plus total
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