Et maintenant à gauche on fait quoi ?

Dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a échoué à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle. Avec 618 608 voix de moins que Marine Le Pen, il n’est pas passé loin. En cela, la déception est légitime puisque la qualification est passée près. Après des mois de campagne de terrain qui ont permis ce résultat fantastique, la tentation est grande de se laisser aller au ressentiment et au spleen. Mais, passée cette légitime déception, il va nous falloir, à toute la gauche, travailler d’arrache-pied pour lutter contre les forces centrifuges qui semblent poindre depuis quelques jours en même temps qu’il va falloir entamer un profond travail de convergence si nous voulons que ce beau résultat de dimanche soir ne soit pas sans lendemain.

Ne nous mentons pas, cet entre-deux tours, déjà bien entamé, recèle d’un vrai potentiel de division parmi nos rangs. Injonction au vote Macron, débat parfois très viril sur l’attitude à adopter, ressentiment entre électeurs de Mélenchon et de Hamon, il y a bien des éléments qui pourraient venir semer la discorde entre nous. Je crois précisément – et je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises – que c’est dans ces moments-là que nous devons nous garder de toute impulsivité et conserver tête froide et lucidité. Ne tombons pas dans le piège où ils rêvent de nous faire tomber en faisant péricliter le mouvement qui s’est créé et la bataille culturelle qui s’est réenclenchée. Evitons cette aporie ou alors nous serons perdus.

 

Le PS en état de mort clinique

 

Le premier enseignement, et pas le moindre, de cette campagne et de cette élection pour la gauche, c’est que ce que les Espagnols appellent le sorpaso (c’est-à-dire la supplantation de la social-démocratie par une gauche de transformation sociale) s’est produit. En récoltant près du triple de suffrages que Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont précipité la recomposition du paysage politique à la gauche de l’échiquier. Un tel résultat montre combien le Parti Socialiste est discrédité et ceci est un juste retour des choses tant il a trahi ses électeurs et les classes populaires en général – toutefois Benoît Hamon ne méritait pas, à mes yeux, d’être la victime sacrificielle de ce parti.

Nous pensions que le PS avait atteint le summum du ridicule au cours de cette campagne en organisant une primaire pour ensuite ne pas la respecter puis en trahissant méthodiquement le candidat désigné par les électeurs. Pourtant, ce parti nous montre qu’il est plein de ressources pour se couvrir encore et encore de ridicule ainsi qu’en atteste l’immonde tract produit par lui-même pour appeler à voter Macron dimanche 7 mai. Bizarrement le bureau politique du parti aura été bien plus prompt à être unanime pour voter Macron au deuxième tour que pour soutenir Hamon lors de la campagne. Quoiqu’il en soit, le PS d’Epinay est bel et bien mort, peut-être le parti survivra-t-il (cela dépend en grande partie des législatives) mais il a désormais vocation à se transformer en force d’appoint pour Emmanuel Macron. Manuel Valls n’a-t-il pas dit qu’il était prêt à faire une coalition gouvernementale avec Emmanuel Macron ? Les cadres du parti ne sont-ils pas tous acquis au libéralisme économique ? Non décidément je crois qu’il n’y a plus rien à tirer de ce parti qui n’attend plus qu’on le débranche.

 

Rejeter le grand ressentiment

 

Depuis dimanche soir, outre la déception, ce qui semble prédominer chez une partie de l’électorat de la France Insoumise est un profond ressentiment à l’égard non seulement de Benoît Hamon mais également de ceux qui ont choisi de voter pour lui au premier tour – pour certains ce ressentiment est également présent à l’égard des électeurs de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud. Il va sans dire que je trouve cette réaction puérile et hautement dangereuse en cela qu’elle est perverse au sens premier du terme – comprendre quelque chose qui semble bénéfique aux premiers abords mais qui est néfaste à plus long terme. A très court terme, cela permet de se dire que si la qualification au deuxième tour n’a pas eu lieu c’est uniquement de la faute de Benoît Hamon, en somme nous retombons dans le célèbre « l’enfer c’est les autres » du Huis clos de Sartre mais en détournant la phrase.

Pourtant, si l’on s’intéresse de plus près à la phrase de Sartre on se rend rapidement compte qu’elle n’aboutit pas à accuser autrui d’être le mal. S’insérant dans toute la philosophie sartrienne, la phrase « l’enfer, c’est les autres » signifie bien plus que c’est le regard d’autrui qui crée l’enfer de telle sorte que la même action exécutée devant une personne devient honteuse alors même qu’elle ne nous dérange aucunement si personne n’est au courant. Si l’on accepte cette définition je suis donc fondé à dire que l’enfer est bel et bien les autres (électeurs de gauche n’ayant pas voté pour Mélenchon) de la même manière que pour ces électeurs l’enfer c’est nous. Il ne s’agit donc pas de fustiger un tel ou un tel mais de chercher à comprendre pourquoi nous n’avons pas réussi à nous réunir sous une seule candidature. Aussi est-il absolument fondamental de rejeter tout ressentiment et tout sectarisme. Nous sommes tous, électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de Benoît Hamon, de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud ainsi que les abstentionnistes de gauche, dans le même camp et il nous faut travailler à l’unité pour les échéances qui arrivent.

 

Refuser le piège du second tour

 

Depuis dimanche, je vois poindre sur les réseaux sociaux des débats qui virent parfois à l’affrontement entre électeurs de gauche. La division guette et le sujet de discorde est l’attitude à adopter au second tour. Voter pour Emmanuel Macron ? Voter blanc ou nul ? S’abstenir ? Les débats font rage et cela est normal. Ne nous mentons pas, le choix est difficile à faire pour beaucoup et il me paraît primordial – j’y reviendrai bientôt – de ne pas faire entrer la morale dans ce débat. Il ne peut s’agir que d’un choix politique. Je le dis sans aucune ironie, je suis profondément attristé de voir que les débats entre électeurs de gauche autour de cette question tournent parfois (souvent) au pugilat. Dans une forme de manichéisme primaire et outrancier il faudrait soit être un social-traitre qui accepte de voter Macron au deuxième tour soit un dangereux illuminé sans morale qui refuse de voter contre le FN.

Je crois que nous sommes en train de tomber dans une aporie et de nous laisser enfermer dans une impasse. Je ne crois pas, en effet, que nous devions nous déchirer sur cette question puisque, dans tous les cas, dès le 8 mai nous serons ensemble pour lutter contre la politique qui sera menée dans notre pays. Evidemment il est sain de débattre et de discuter de ces questions lourdes et importantes mais il ne me parait pas très judicieux de s’agonir sur la place publique ni même de se violenter verbalement. Discutons de manière franche mais courtoise de cette question mais cessons de brocarder un tel ou un tel au prétexte qu’il aurait fait un choix différent du nôtre. Je crois d’ailleurs que pour beaucoup le choix n’est pas encore fait et que l’entre-deux tours servira également à cela. Personnellement, je suis de ceux qui pensent que chacun fera son choix en conscience mais qu’il ne faut pas nous diviser inutilement sur cette question. Au contraire, il nous faut dès maintenant travailler pour l’après.

 

Travailler à la convergence

 

Je suis, en effet, intimement persuadé que notre grande priorité est celle-là. Pour les législatives évidemment mais également pour après ces législatives. La convergence ne se décrète pas du haut d’une tribune, elle se construit patiemment, elle a besoin d’arriver à maturation. C’est pour cela qu’il nous faut y travailler dès aujourd’hui car les 11 et 18 juin il nous faudra réussir à transformer l’élan de cette campagne présidentielle et de ce premier tour en obtenant le plus de députés favorables à la transformation sociale possible. Cela n’est pas un doux rêve ou une douce utopie à la condition que nous parvenions à créer les conditions d’une réelle convergence. Il ne s’agit pas de dire que le programme de Benoît Hamon et L’avenir en commun étaient identiques en tous points, loin de là. Toutefois il me semble qu’ils portent une même vision des choses notamment sur la question écologique et sur la réforme des institutions. C’est pourquoi des convergences réelles sont possibles, à condition évidemment que l’aile gauche du PS s’émancipe radicalement.

Nous vivons, en effet, un moment historique dans l’histoire de notre pays. Evidemment dimanche le premier sentiment que beaucoup ont ressenti est une immense déception. Néanmoins, pour la première fois ou presque de l’histoire politique française nous nous retrouvons avec quatre blocs politiques quasiment équivalent avec environ 25% des suffrages pour chacun : le pôle de transformation sociale, le pôle du libéralisme complet (économique et politique), le pôle du libéralisme réactionnaire (François Fillon) et enfin le pôle de l’extrême-droite. Et dans mon calcul je ne prends pas en compte le fait que près de la moitié des électeurs de Macron disent avoir voté utile. Aussi la gauche est-elle bien plus forte que ce qu’elle croit et il nous faudra prendre soin de cette flamme qui s’est rallumée si nous souhaitons apporter des changements radicaux dans notre société. Durant la campagne présidentielle la bataille culturelle a repris, transformons l’essai en obtenant le plus de députés possibles aux législatives.

Nous le voyons donc, si nous avons indéniablement des pièges à éviter, nous pouvons également nourrir de légitimes espoirs pour les législatives mais aussi pour l’après (municipales notamment). C’est pourquoi il nous faut à tout prix éviter les divisions idiotes et les anathèmes ou autres attaques ad hominem. Le travail de convergence n’est pas un processus simple mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas tout faire pour qu’il réussisse. Sans cela le bloc de transformation sociale qui a surgi durant la campagne risque de s’essouffler et cela serait la pire des choses puisqu’il laisserait la voie dégagée à l’extrême-droite. Peu importe le vainqueur au soir du 7 mai, notre responsabilité durant le quinquennat à venir sera grande, elle sera celle de montrer qu’un autre chemin est possible. Rappelons-nous des mots du grand Jaurès dans son magnifique Discours à la jeunesse : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense ». Mes amis, faisons preuve de courage.

4 commentaires sur “Et maintenant à gauche on fait quoi ?

  1. En effet il est inutile de débattre du choix du second tour. C’est rageant, on n’a pas le choix, mais c’est ce système pourri de la Ve république (et de l’inversion du calendrier, merci Chirac et Hollande qui ne l’a pas révisé alors qu’il le pouvait).

    Ensuite, sur l’attitude à adopter, vu que Macron aura besoin d’une majorité plus large que ce que le centre peut lui fournir sur certains sujets (sociétaux voire sociaux), je suis pour appeler un chat un chat et acter la division de la gauche: un pôle écolo-hamoniste pro-UE tel que celui qui aux Pays-Bas fait 10% et participe aux majorités gouvernementales, contre un autre mélenchono-poutouiste (même si les divergences sont fortes) qui prônera son plan « A donc B » de révision unilatérale des traités européens.

    Après tout, la gauche est aussi divisée en Allemagne, et le SPD a quand même des chances d’arriver au pouvoir, dans un pays très conservateur et globalement plus âgé.

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