Dimanche 23 avril, Marine Le Pen est parvenue à se qualifier pour le second tour. Si elle a battu le record de voix obtenu par le Front National sur une élection elle s’est placée en deuxième position. En n’obtenant que 21,30% des suffrages alors qu’elle ambitionnait au début de la campagne 30% au soir du premier tour, la présidente du FN est bien consciente que le résultat, pour elle, n’est pas aussi bon qu’il aurait pu l’être. Que l’on s’entende bien, il est déjà dramatique que le Front National soit qualifié au deuxième tour et ait recueilli plus de 7,5 Millions de suffrages. Ce résultat est celui d’un abandon des classes populaires et ce bilan est celui du PS et de LR qui ont pavé la voie à ce parti et à ses idées – je l’ai déjà dit.
Si Marine Le Pen n’a pas atteint un score plus élevé c’est en grande partie parce que la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon sont allés lui contester cet électorat oublié, ces sans-voix qu’Emmanuel Macron et toute la caste politicienne ignorent voire méprisent. On promettait un raz de marée du FN chez les jeunes, ils ont voté à 30% pour Jean-Luc Mélenchon. De la même manière pour les chômeurs et les ouvriers, la campagne de la France Insoumise a détourné de nombreuses personnes du Front National. Si Marine Le Pen n’a pas eu le score qu’elle attendait, elle est en revanche opposée au meilleur candidat possible pour elle. En décidant de transformer le deuxième tour en référendum pour ou contre la mondialisation néolibérale elle tente de piéger Emmanuel Macron qui semble tomber à pied joint dans ledit piège. Dès le soir du premier tour, Marine Le Pen s’est tournée vers les électeurs de Jean-Luc Mélenchon dans une danse du ventre assez prévisible. Pas une seule voix de gauche ne doit aller au FN, il défend des valeurs opposées aux nôtres. C’est pourquoi il faut pointer le danger et les mensonges de ce parti et de sa candidate.
Le mirage social
Mercredi dernier, Marine Le Pen a réalisé un coup de com fabuleux. En se rendant sur le site de l’usine Whirpool à Amiens pendant qu’Emmanuel Macron rencontrait les syndicats à la Chambre de commerce, elle s’est achetée à peu de frais une image de proximité avec les travailleurs. Cette récupération symbolise à merveille le rapport au social qu’entretient la présidente du Front National. Elle n’est, en effet, restée que 20 minutes sur le site, a fait quelques selfies avec des militants et n’a apporté aucune solution concrète. La réalité c’est que Madame Le Pen n’a cure des travailleurs. Elle est conseillère régionale des Hauts-de-France depuis près d’un an et demi et ne s’était jamais rendue sur le site de l’usine Whirpool avant cet entre-deux tours. Marine Le Pen est un mirage social, son programme ne comporte aucune réelle avancée puisque les avancées sociales qu’elle prétend défendre ne sont ni financées ni réfléchies. Avant le premier tour, bien des médias se sont évertués à expliquer pourquoi les programmes économiques de Mélenchon et de Le Pen se ressemblaient. Le paroxysme de cette comparaison a assurément eu lieu lors de L’Emission politique avec Jean-Luc Mélenchon. François Lenglet avait utilisé une infographie et menti effrontément pour diaboliser le programme de la France Insoumise.
La seule chose qu’ils ont réussi à faire est de légitimer le programme du Front National si bien que des militants d’extrême-droite ont repris cette infographie pour en faire un tract et le diffuser. Là où Le Pen peut promettre des choses identiques à Jean-Luc Mélenchon le financement de ses promesses est loin d’être évident : ce n’est pas en supprimant l’AME qui pèse quelques centaines de millions d’euros que l’on finance les retraites à 60 ans. Cette incohérence est inhérente au conglomérat que représente son électorat : elle doit faire tenir ensemble les ouvriers et classes populaires, le nouveau réservoir de voix du parti frontiste d’une part et les petits patrons qui représentent la première base électorale du parti (dans le temps) d’autre part. C’est pourquoi Le Pen se refuse à imposer plus fortement les plus riches. Marine Le Pen et son parti n’ont qu’un verni social. Ne vous laissez pas abuser par ces paroles mielleuses. D’ailleurs, à aucun endroit de son programme n’est prononcé le mot « actionnaire » qui, dans le cas de Whirpool par exemple, est le fond du problème. A ce titre, Madame Le Pen n’est pas favorable à l’augmentation du smic ou au maintien des 35h. Lors de la mobilisation contre la loi Travail le FN n’a jamais soutenu le mouvement, bien au contraire. La réalité des choses, c’est que si Marine Le Pen prêche bien le retour du protectionnisme, elle s’accommode très bien du libéralisme à l’intérieur du pays, son programme est taillé pour les patrons.
Le racisme latent
J’entends ci et là dire que le Front National ne serait plus xénophobe et, a fortiori, plus raciste. Si le racisme ne surgirait pas tout à coup si Marine Le Pen l’emportait – je reviendrai rapidement sur cette question – il est indéniable que le programme du parti d’extrême-droite possède des relents racistes bien vigoureux. La préférence nationale pour ne citer qu’elle est évidemment une mesure xénophobe qui ne se cache même pas. De la même manière vouloir faire payer l’école aux enfants étrangers rompt avec toutes les valeurs républicaines. On entend souvent l’argumentation sur la dédiabolisation du Front National. Bien que le vernis ait quelque peu craqué ces dernières semaines avec les multiples révélations sur l’arrière cuisine du Front National, beaucoup de médias et de Français croient sincèrement à cette rhétorique de dédiabolisation. Je crois qu’il n’en est en réalité rien.
Ce sentiment de dédiabolisation du Front National qui s’est progressivement imposé dans l’opinion publique est, à mes yeux, le fruit d’une double dynamique dont les éléments se nourrissent mutuellement. Premièrement les médias ont, sciemment ou pas, participé à cette entreprise de dédiabolisation en invitant à longueur de temps des responsables du Front National – Florian Philippot fait à cet égard figure de caricature – et en diabolisant la gauche radicale. A ce surgissement de la parole frontiste dans les médias a succédé (ou peut-être ces évènements ont-ils été concomitants) un glissement général de la sphère politique vers la droite. Quand le PS et LR abandonnent d’une part des pans entiers et des questions fondamentales au FN et quand les mêmes partis adoptent d’autre part les positions de l’extrême-droite selon la fameuse théorie de la triangulation – on pense ici aux débats rances sur l’identité nationale ou à la tentative d’inscription dans la constitution de la déchéance de nationalité pour ne citer qu’eux – il me semble que cela participe à donner plus de respectabilité à un parti dont le substrat demeure profondément xénophobe voire raciste. Au-delà de la pratique du pouvoir que pourrait avoir Marine Le Pen une fois élue, il me semble que le plus inquiétant serait la libération de la violence que son élection apporterait. Les ratonnades et autres agressions qui sont aujourd’hui commises dans l’ombre seraient désormais effectuée en pleine lumière et se multiplieraient sans doute en cas de victoire de Marine Le Pen le 7 mai prochain.
Les institutions menacées
« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Cette phrase de Montesquieu, l’un des théoriciens de la séparation des pouvoirs, devrait résonner en chacun de nous tant ladite séparation des pouvoirs pourrait vaciller en cas d’arrivéeaz de Marine Le Pen à l’Elysée. La candidate du FN l’a, en effet, expressément remise en cause lors d’un discours au Zénith de Nantes en février dernier : « La justice est une autorité, pas un pouvoir. Les magistrats sont là pour appliquer la loi, pas pour l’inventer, pas pour contrecarrer la volonté du peuple, pas pour se substituer au législateur. Une fonction publique ne peut pas autoriser son titulaire à usurper un pouvoir ». Plus tard dans son discours elle ira même jusqu’à formuler une menace à peine voilée à l’égard de certains fonctionnaires : « Je veux dire aux fonctionnaires à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’État pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales, de se garder de participer à de telles dérives. Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ces fonctionnaires eux devront assumer le poids de ces méthodes illégales. Ils mettent en jeu leur responsabilité ».
Au-delà du programme frontiste déjà critiqué plus haut, c’est le rapport aux institutions qui pourraient bien être mis en danger en cas de présidence Le Pen. Ce n’est sans doute pas Marine Le Pen qui est le plus grand danger pour ces pouvoirs – je pense avant tout à la presse et à la justice – mais bien plus ses partisans. Si elle devait accéder à la présidence je ne pense pas qu’elle ira jusqu’à s’attaquer frontalement à la justice et à la presse. En revanche, ses militants chauffés à blanc par des mois – voire des années – de campagne hostile à la justice et à la presse pourraient bien se déchainer sur ses deux pouvoirs de la même manière que les ratonnades et autres agressions pourraient augmenter de manière exponentielle en cas d’élection de Marine Le Pen le 7 mai prochain. Alors oui il y aurait un très fort risque qui pèserait sur la presse et sur la justice en cas de victoire du FN, il faut le savoir. C’est peut-être l’une des raisons les plus importantes pour laquelle aucune voix de gauche ne doit aller au FN le 7 mai car dans le cas contraire nous seront sur la pente de l’autoritarisme.
Les conditions déjà réunies pour l’autoritarisme
« En l’état actuel du texte, la France peut basculer dans la dictature en moins d’une semaine ». Cette phrase n’a été prononcé ni par un militant libertaire ni par quelqu’un voulant à tout prix faire le buzz. C’est Romain Sicard, le bâtonnier de Paris, qui s’est exprimé en ces termes il y a un peu plus d’un an en plein milieu de l’état d’urgence et avant l’adoption de lois sécuritaires toujours plus poussées. Lesdites lois ont depuis été adoptées et la France est demeurée sous le régime d’exception depuis bientôt un an et demi. Le tableau dressé est donc sombre et les outils à la disposition du futur monarque présidentiel seront impressionnants. En faisant le choix de conserver l’état d’urgence de manière quasiment indéfinie alors même que son utilité n’est plus prouvée – l’effet de surprise étant passé – nos irresponsables responsables politiques laissent en place la parfaite boite à outil du petit dictateur.
Vous imaginez donc bien qu’un tel arsenal sécuritaire mis dans les mains d’un parti dont l’ADN et la filiation ne rejettent en rien les modèles autoritaires ont de quoi faire frémir. Grâce à l’état d’urgence, à toutes les lois et tous les fichiers de surveillance établis par le gouvernement sortant, Marine Le Pen pourrait plus que rapidement faire basculer notre pays dans un régime très autoritaire où l’exécutif prendrait le pas sur le judiciaire et où les opposants politiques tout comme les personnes indésirables seraient traités comme des criminels de guerre dans le respect des textes aujourd’hui en vigueur. Ce bilan c’est celui du président sortant, Monsieur Hollande, mais il nous menace tous puisque cette parfaite boite à outil du petit dictateur pourrait bel et bien tomber dans les mains d’une personne qui n’a que faire des libertés publiques et qui l’utiliserait pour obtenir un pouvoir démesuré. Alors oui, sans jouer au Cassandre, l’autoritarisme guette.
Voilà les quelques réflexions qui me viennent à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer la question du Front National et de sa candidate. Elle drague, certes ouvertement, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon mais pas une voix de gauche ne doit se porter sur elle le 7 mai prochain pour la simple et bonne raison que tout son projet politique ainsi que l’ADN et la filiation de son parti vont à l’encontre de nos valeurs et de nos combats. De tous temps les nationalistes se sont parés du discours social pour mieux tromper les masses. Ne vous laissez pas berner par cette hypocrisie et ce mirage, le programme de Marine Le Pen est au service des possédants, pas des déshérités. En réalité je n’ai guère d’inquiétude sur la question des électeurs de gauche. Il se pourrait en effet qu’une infime minorité de ceux qui ont porté leur suffrage sur Jean-Luc Mélenchon au premier tour votent pour Marine Le Pen au second mais je suis absolument certains que ces personnes-là auraient voté pour le FN dès le premier tour sans la campagne de la France Insoumise. Le danger ne vient pas de la gauche, qui n’accordera aucune voix ou presque à l’extrême-droite le 7 mai prochain, mais bien de la droite où la porosité avec les idées de Marine Le Pen n’est plus à prouver.