Nice ou l’échec sécuritaire

Jeudi dernier la France a donc de nouveau été frappé durement par un attentat. Après Charlie Hebdo et l’Hyper Kasher, après le Bataclan, le Stade de France et les terrasses parisiennes et après Magnanville c’est Nice et sa célèbre promenade des Anglais qui ont été touchés. L’accélération des horreurs est palpable et semble faire de la France un navire qui fonce tristement à l’abime. Les mots sont chaque fois plus difficiles à trouver, les soucis plus difficiles à porter et la société plus difficile à maintenir soudée. Chaque attentat vient ajouter une fracture de plus à notre société déjà morcelée. Les bougies brillent un peu moins fort qu’après le 13 novembre mais elles sont toujours là et témoignent de ceux qui nous séparent des semeurs de mort, le fait que nous nous sentons solidaires des autres malgré la solitude de nos craintes.

Le drame de Nice marque toutefois une rupture à mon sens. Il y a d’abord l’accélération du tempo déjà évoquée mais il y a aussi, et peut-être surtout, l’élargissement de la terreur à toute la France. Inconsciemment ou non, beaucoup pouvait se sentir relativement à l’abri tant qu’ils n’étaient pas résident dans Paris. Cela est peut-être égoïste mais l’attentat de Nice m’a bien plus secoué que ceux du 13 novembre. Peut-être parce que l’accumulation des attaques est pesante mais surtout parce que cette fois on se dit qu’on aurait vraiment pu y être. Cet attentat marque également une rupture parce que la France et les Français pensaient peut-être en avoir fini avec cette spirale infernale. Nous avions retrouvé les joies de se retrouver dans la rue et, osons le dire, une forme d’unité derrière le parcours de l’Equipe de France de football. Une rupture enfin parce que cette fois, contrairement aux attentats précédents, l’unité nationale a volé en éclat en quelques heures et que les responsables politiques ont repris leurs querelles politiciennes alors que les cadavres étaient encore fumant.

La débâcle du tout sécuritaire

Christian Estrosi, président de la région PACA et premier adjoint à la mairie de Nice (dont il fut ancien maire durant des années), a dégainé le premier pour expliquer que tout était de la faute du gouvernement et qu’il avait demandé des moyens supplémentaires pour organiser la sécurité de cet évènement. Le même Christian Estrosi expliquait en janvier 2015 que les frères Kouachi n’auraient pas fait plus de trois carrefours dans sa ville eu égard aux nombreuses caméras de vidéosurveillance présentes à Nice. Lesdites caméras n’ont pourtant pas empêché un camion de 19 tonnes de se balader dans la ville et d’ôter la vie à 84 personnes innocentes. Il ne s’agit en aucun cas ici de chercher qui est le plus responsable entre les élus locaux (Estrosi, Ciotti) et le gouvernement mais simplement de rappeler que Nice possède une caméra pour 300 habitants et qu’elle est souvent présentée comme un modèle en termes sécuritaires.

Néanmoins, tout cet arsenal n’a pas permis d’éviter que la ville soit la principale fournisseuse (en valeur absolue) de départs vers la Syrie. Il ne s’agit pas non plus de nier les dysfonctionnements des services de renseignement – mis en avant par un rapport récent sur les attentats du 13 novembre et aussitôt enterré par le ministre de l’intérieur – mais de se questionner sur la pertinence de toujours plus d’état d’urgence. « Etat d’urgence permanent » pour Éric Ciotti, « guerre totale » pour Nicolas Sarkozy, volonté d’un tour de vis sécuritaire encore plus grand au gouvernement comme chez Les Républicains voilà ce que proposent les dirigeants politiques pour sortir de cet engrenage infernal. Comme ces médecins de Molière, ils nous expliquent que les précédentes saignées de nos libertés individuelles n’ont pas été un remède mais que la prochaine le sera. Jusqu’au jour où le patient mourra ?

Du fond, encore du fond, toujours du fond

Puisque la République – et la cohésion de la société française – est en danger, tentons de nous inspirer de certains grands Hommes de notre Histoire à commencer par Danton. Lui qui expliquait que l’audace seul pouvait sauver la République serait sans doute horrifié par les débats minables et les actions à seul but politicien mené par nos dirigeants ou proposé par les membres de l’opposition. Il serait peut-être temps de s’échiner à parler du fond, d’arrêter les postures faussement viriles qui ne sont ni efficaces ni bénéfiques pour la société française et de se rappeler des mots de Camus dans ses Lettres à un ami allemand : « Car nous serons vainqueurs, vous n’en doutez pas. Mais nous serons vainqueurs grâce à cette défaite même, à ce long cheminement qui nous a fait trouver nos raisons, à cette souffrance dont nous avons senti l’injustice et tiré la leçon. Nous y avons appris le secret de toute victoire et si nous ne le perdons pas un jour, nous connaîtrons la victoire définitive. Nous y avons appris que contrairement à ce que nous pensions parfois, l’esprit ne peut rien contre l’épée, mais que l’esprit uni à l’épée est le vainqueur éternel de l’épée tirée pour elle-même ».

Aussi insupportable et tragique que cela puisse paraître, il faut entendre que les attentats perpétrés et les vies ôtées ne sont qu’un moyen et en aucun cas une fin. Le terrorisme n’est pas que nihilisme, il est également le porteur d’une idéologie politique et tant que nous ne voudrons pas regarder en face cette réalité et accepter le fait que Daech a avant tout un but politique, celui de fracturer la société française, et propose un idéal qui n’est pas aussi mortifère que ce que nos yeux d’Occidentaux voient, nous aurons beau bombarder et attaquer aussi longtemps que nous voudrons nous ne pourrons détruire le terrorisme. La tête de Daech sera peut-être coupée mais telle une hydre le terrorisme ressurgira peut-être plus puissant encore. N’est-ce pas précisément ce qu’il s’est passé après la perte d’influence d’Al Qaeda ? Tâchons de tenter de réfléchir politiquement et posément à la situation, de tenter de frapper les causes plutôt que les symptômes et œuvrons au quotidien pour ne pas que notre société se délite car cela est le but de Daech et nous sommes les seuls à pouvoir leur offrir cette victoire.

Les discours martiaux et va-t-en guerre de nos irresponsables responsables politiques ne participent absolument pas, selon moi, à la solution mais bien au contraire au problème. Effectivement les attentats attaquent un mode de vie mais ils sont également une réponse à une politique étrangère et ont avant tout une portée politique sinon pourquoi des attentats auraient lieu en Irak, au Bengladesh en Turquie ou même en Arabie Saoudite ? Comme le disait Mandela, c’est à la fois l’oppresseur et l’opprimé qui perdent leur humanité dans le terrorisme et il nous faut urgemment œuvrer à préserver cette part d’humanité qui fait que nous serons toujours au-dessus de ceux qui veulent semer la mort parce que la vie, elle, continue même si elle continue douloureusement. Dans la nuit de jeudi à vendredi des bébés sont nés, cela ne réconfortera évidemment pas les cœurs saignants des proches des victimes mais cette donnée vient nous rappeler que la vie prend encore le pas sur la mort. Tâchons de faire perdurer cela. N’oublions, enfin, pas qu’après la guerre il faut construire la paix comme le disait déjà Dominique de Villepin dans son magnifique discours à l’ONU contre la guerre en Irak. Les efforts pour construire et préserver la paix sont immensément plus grands que ceux qui poussent à faire fanatiquement la guerre et à bombarder à tout va. Sommes-nous prêts à les faire ? Je l’espère.

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