Le mécénat culturel en quelques lignes

De la Fondation Louis Vuitton à la Collection Pinault en passant par l’Institut de France et bien d’autres acteurs, nombreuses sont les grandes fortunes à œuvrer dans le mécénat culturel. Plus largement, bien que pouvant apparaitre comme plus discret, le concours de grandes entreprises ou de fortunes pour la mise en place des expositions dans tous les musées ou presque est une condition quasi sine qua none – jetez un œil au bas des affiches desdites expositions ou contemplez la liste des « généreux mécènes » souvent mis en avant à la fin du parcours dans les musées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si tous les musées et institutions culturelles disposent d’un service mécénat, parfois très bien pourvu, tant cette fonction est désormais au cœur de leur modèle économique.

S’il y a sans doute un attrait pour la culture (ou, nous y reviendrons, une certaine forme de culture) de la part de ces mécènes, il y a également des stratégies qui dépassent le simple intérêt pour ce domaine. Bien évidemment, il est difficile de ne pas évoquer la volonté d’acquérir de l’influence en finançant ces musées et expositions mais il y a également une logique d’optimisation fiscale dans cette dynamique dans la mesure où ces dons ou engagements financiers donnent le droit à une réduction d’impôts de l’ordre de 60%. Pouvant, de prime abord, apparaitre comme une bénédiction, cet engagement financier a tous les contours d’un effet extrêmement pervers tant pour la diffusion des cultures que pour l’égalité devant l’impôt.

Du recul de l’Etat aux nouvelles indulgences

Il y a quelques mois, après l’incendie de Notre-Dame de Paris, l’Etat a appelé aux dons pour permettre une reconstruction rapide du monument. Agissant comme une forme de symbole de ce qui se passe dans le monde culturel, cet appel aux dons est venu illustrer le recul de l’Etat dans le financement de la culture en France. En expliquant qu’il n’a pas les moyens de la restauration, tout comme en refusant de donner des moyens à la culture en général, le pouvoir ne fait rien d’autre que d’acter définitivement son recul – quand bien même il continue à vanter les mérites de l’exception culturelle française. C’est bel et bien parce qu’il n’y a plus de politique volontariste, notamment sur les questions culturelles, ni de fonds alloués à ces thématiques que l’Etat se complait dans ce rôle du mendiant absolument intolérable. C’est bien là tout le triomphe du néolibéralisme et de ses préceptes exhortant l’Etat à devenir le plus maigre possible.

L’appel à la philanthropie est donc bien l’un des marqueurs de cette logique mortifère qui gouverne depuis des décennies. En sollicitant les grandes fortunes, cet appel ajoute à l’ignominie. Tout se passe effectivement comme si cette dynamique était une nouvelle forme d’indulgences. Alors même que les inégalités explosent dans le pays, que ces grandes fortunes voient leur richesse augmenter de manière exponentielle, financer la culture serait un moyen de s’absoudre pour elles. Au Moyen-Age, les riches, profitant de la vénalité de l’Eglise, voyaient dans leur démarche un moyen de se couvrir après avoir volé les honnêtes gens pour construire cette fortune. Bien entendu, les grandes fortunes contemporaines n’achètent pas la salvation de leur âme mais se payent des indulgences médiatiques et, espèrent-elles, dans l’opinion publique en finançant via le mécénat des œuvres que d’autre part elles concourent à fragiliser en pratiquant toutes les formes d’évitement fiscal.

Mise à mal de l’impôt et de la diversité culturelle

Si la pratique du mécénat est le révélateur de la mise à mal de l’impôt c’est évidemment parce que les grandes fortunes font tout pour éviter de payer leurs impôts en France par le biais de montage tous plus alambiqués les uns que les autres et font semblant de se rattraper en versant quelques miettes par le mécénat mais pas uniquement. Je parlais plus haut de réduction d’impôt à hauteur de 60% dans le cadre du mécénat culturel. Cela signifie ni plus ni moins qu’en agissant comme elles le font, ces grandes fortunes mettent à mal l’un des principes fondateurs de l’imposition à la française, celui de la non-spécialisation. Pour le commun des mortels, il n’est pas possible (et bien heureusement selon moi) de choisir à quoi seront alloués les impôts que nous versons. Dans le cadre du mécénat, ces grandes fortunes ne font rien d’autres que de décider que leurs impôts iront au financement de leurs fondations culturelles ou de certains musées et non pas aux écoles, aux hôpitaux ou à d’autres sujets.

Si ceci a des conséquences évidemment concrètes sur les budgets de tout un tas de secteurs, l’un si ce n’est le secteur le plus touché est évidemment le monde de la culture qui subit en d’autres termes une forme de double peine. Ces grandes fortunes pratiquant le mécénat souvent pour la culture déjà établie, un fossé béant se creuse entre la culture dite légitime et les autres formes de cultures. Alors que le rôle de l’impôt est normalement d’être redistributif, en agissant de la sorte, ces grands mécènes font affluer tout l’argent ou presque dévolu au secteur culturel vers les grands musées et leurs fondations, laissant de côté toutes les autres formes de la culture. Il devient plus qu’urgent de réformer cet état de fait qui n’est pas loin d’être un scandale démocratique, participant sans doute aucun à l’érosion du consentement à l’impôt d’une grande partie des Français.

Crédits photo: Wikipedia

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