Société consumériste, par-delà la superficialité

Il y a quelques jours s’est achevée la période des soldes d’hiver et avec elle l’un des marronniers les plus appréciés par les médias dits dominants souvent en mal de sujets à traiter à cette période de l’année. Cette année encore, l’un des principaux angles utilisés pour parler des soldes qui viennent de se terminer a été celui consistant à dire que les résultats n’étaient pas ceux escomptés. L’on pourrait voir dans ce constat, devenu récurrent depuis quelques années, l’effet d’une politique grevant le pouvoir d’achat d’une bonne partie des Français ou, mieux encore, le début d’une prise de conscience collective des affres du consumérisme. Il n’en est malheureusement rien et les raisons de ces résultats en berne sont bien plus à chercher du côté de la multiplication des périodes de réduction dans les commerces. Black Friday, liquidation et autres ventes privées ont effectivement remplacé les soldes si bien qu’il n’est désormais plus réellement nécessaire d’attendre cette période pour obtenir des promotions.

Derrière cette question et la multiplication des occasions de consommer à prix réduit se niche en réalité toute l’architecture de cette société consumériste qui, en France plus qu’ailleurs au vu de la structure de la croissance économique française depuis des décennies, est l’un des piliers centraux du capitalisme. S’il est indéniable que la financiarisation mise en œuvre depuis les années 1970 a fait muter ledit capitalisme, il demeure toujours juste que la question de la consommation des biens produits est l’une des problématiques centrales de ce modèle économique avec toutes les conséquences écologiques et sociales que cela suppose. Il est plus que temps d’aller au-delà des analyses superficielles sur le sujet, puisque la question des modes de consommation – à mettre en parallèle avec celle des modes de production – sera assurément l’un des grands enjeux des décennies à venir.

Surconsommation, le constat accablant

Avant d’aller plus en avant sur cette problématique, il me parait important de faire une sorte de point d’étape, un constat de la situation à l’instant T et il est euphémique de dire que celui-ci est accablant. Depuis l’émergence d’un certain nombre de pays, les analystes se plaisent à répéter à longueur de temps que si les Chinois ou les Indiens avaient le même mode de consommation que les Occidentaux, il faudrait trois à quatre planètes pour satisfaire la demande mondiale. Il me semble que tout ou presque est résumé dans cette assertion qui explique en somme que nous, Occidentaux, possédons un mode de consommation complètement sourd et aveugle aux questions tant écologiques que sociales.

C’est sans doute là l’un des principaux effets de la fameuse moyennisation de la société occidentale – même si ce concept de moyennisation a toutes les raisons d’être remis en cause dans les sociétés contemporaines – celui de l’accession à une consommation à grande échelle, la caricature voulant que chaque foyer dispose désormais de plusieurs véhicules par exemple. Plus largement, la course effrénée (nous y reviendrons) des entreprises commerciales pour écouler leurs produits à la plus grande échelle possible a finalement abouti à cette situation de surconsommation globale et principalement causée par un tout petit nombre de pays.

Le piège des prix bas

Le corollaire de l’avènement de cette société de consommation à outrance est assurément la course aux prix bas. Arrivés à saturation sur un marché donné, les entreprises n’ont effectivement plus d’autres choix que d’essayer de gagner de nouveaux marchés et pour ce faire de toucher des catégories de personnes qui n’ont pas les mêmes moyens que leurs précédentes cibles. En miroir de cela, l’incitation quotidienne à la consommation, le martelage de l’adage selon lequel c’est par la consommation que l’on se réalise aboutit au fait qu’y compris parmi les classes les plus populaires – peut-être encore plus que parmi certaines des classes qui leurs sont supérieures – la consommation prend un sens presque vital.

Aussi a-t-on vu se mettre en place une double logique : d’une part la production de marchandises vendues à très bas prix avec pour incidence de ne respecter aucune des règles environnementales ou sociales et de l’autre la prolifération comme je le disais en introduction des promotions tout au fil de l’année dont le paroxysme est certainement matérialisé par le Black Friday. Cette double logique, un peu comme un effet de ciseaux, a eu pour conséquence d’habituer la population et particulièrement les classes les plus modestes à ces produits qui, certes ont un prix assez bas, mais sont également d’une qualité bien moindre avec toutes les incidences que cela peut avoir en termes de santé notamment dès lors que cela touche à l’alimentation par exemple.

La question des salaires

Il est aisé et confortable de dresser ce constat en laissant entendre que, finalement, ce serait en bonne partie la responsabilité des classes modestes dans cette inflation de la consommation notamment de produits mettant à mal normes sociales et environnementales. L’analyse serait pourtant très partielle et éminemment critiquable. Il est, je crois, à la fois plus juste et plus courageux d’aller plus en profondeur mais cela nécessite de remettre en cause le système économique global. Très récemment encore les promotions pour le Nutella ou pour le Thermomix ont occasionné des scènes de cohues où des personnes se sont littéralement battues pour y avoir accès. Les réactions quelques peu goguenardes tant sur les réseaux sociaux que dans les médias dits dominants traduisaient, me semble-t-il, une forme de mépris de classe.

Il est évident que le haut-cadre, l’éditorialiste ou le politique qui touchent des salaires bien supérieurs à la médiane française n’ont guère besoin de ces promotions pour s’offrir ce genre de biens quand l’achat d’un tel produit représente souvent un sacrifice pour des personnes qui ont du mal à terminer le mois. Il est évident que les modes de consommation ont une incidence sur les modes de production et que dans une forme de serpent qui se mord la queue il est actuellement très compliqué de faire bouger les choses. Il ne faut toutefois pas oublier que l’inverse est aussi vrai et que les modes de production, notamment les salaires versés, ont une incidence encore plus directe sur les modes de consommation. Acheter des produits qui respectent des normes environnementales et sociales a un coût et c’est logique mais aussi longtemps que les classes les plus modestes seront maintenues dans un état de domination économique aussi puissant, elles seront incapables de faire ce genre d’achats.

S’attaquer aux racines du problème

En d’autres termes, le réel problème et les vraies personnes à accuser ne sont pas celles qui consomment in fine mais bien plus toutes celles et tous ceux qui rendent possible cet état de fait. Il est trop facile de faire porter encore et toujours la responsabilité sur les mêmes. L’on sait bien que le cœur de la pensée néolibérale est corrélé à cette notion de responsabilité individuelle et qu’appliquée à ce sujet il s’agit de dire que s’il y a surconsommation de produits de piètre qualité ce n’est que de la faute de ceux qui les consomment. Cette stratégie argumentaire a un double avantage, non seulement elle procède par une injonction venue d’en haut où les classes supérieures expliquent doctement aux classes dominées qu’elles sont le problème alors même que ces dernières n’ont aucune espèce de poids dans le système économique actuel mais surtout elle dédouane complètement les dominants et ledit système économique.

Ce faisant, cette analyse anesthésie toute remise en cause du système global pour faire reposer la faute sur les individus. Si l’on suit cette logique ce n’est pas parce que les entreprises pratiquent l’obsolescence programmée que les individus changent régulièrement leurs appareils électroniques (particulièrement gourmands en métaux rares et donc générateurs de pollution à grande échelle) mais plutôt parce qu’une envie soudaine les prendrait ; ce n’est pas parce que la publicité force presque à l’achat de gadgets inutiles et polluants que les meubles sont remplis de ceux-ci mais parce que les individus auraient un amour immodéré pour ces choses-là. L’on pourrait continuer la liste durant un long moment mais tout cela converge vers un même point de fuite, l’urgence de démonter ce système avant qu’il n’ait définitivement démonté tous les rouages sociaux et pollué l’ensemble de la planète.

Crédit photo: Slate

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