La Vème République en quelques lignes

Il y a quelques jours, revenant de son voyage en Israël pour commémorer le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, Emmanuel Macron a pesté en présence de journalistes à propos de ceux qui affirment que la France vit une accélération de l’autoritarisme. Frisant le degré zéro de l’argumentation – sorte de point Godwin des dirigeants plus ou moins autoritaires derrière une façade démocratique se lézardant – le locataire de l’Elysée a enjoint tous ses contempteurs à aller essayer la dictature avant d’émettre des critiques. Il va sans dire qu’une telle défense est d’un ridicule sans nom et n’est finalement que l’exact opposé de ceux qui affirment de manière exagérée que nous serions en dictature sans nuance aucune.

Je suis effectivement de ceux qui pensent que l’argument du moindre mal est toujours un sophisme, une ruse rhétorique. Si l’on en vient effectivement à dire « regardez nous sommes mieux qu’en Corée du Nord ou en Iran » c’est qu’il y a déjà un problème profond. En réalité, le monarque présidentiel tente, par cette outrance, d’imposer l’idée selon laquelle il y aurait une forme de binarité. En somme, si on le suit, l’on ne peut être qu’en démocratie ou en dictature un peu comme s’il n’y avait pas cinquante nuances d’autoritarisme et que notre pays n’était pas déjà bien avancé dans cette logique parmi les pays que l’on appelle « démocratiques ». Cet entre-deux dans lequel la France se trouve a largement été rendu possible par l’avènement de la Vème République qui porte en elle-même les germes de cet autoritarisme.

Fondée par et pour temps de crise

Comme un lointain écho à la saillie du successeur de François Hollande sur la dictature, la phrase du Général de Gaulle à son retour en pouvoir en 1958 semble répondre. Lorsque celui-ci prend les Français à témoin en leur affirmant en substance qu’on ne commence pas une carrière de dictateur à soixante-sept ans – affirmation n’ayant aucun fondement rationnel soit dit en passant – il agit en quelque sorte de la même manière que Macron c’est-à-dire en fustigeant le mal absolu pour mieux faire accepter le système institutionnel qui sera proposé quelques mois plus tard au pays. Pour bien comprendre le système institué par la Vème République, il faut en effet revenir aux sources de ce dernier.

Si la IVème République avait bien des défauts (il ne s’agit pas ici d’en faire l’éloge inconditionnel a posteriori), elle était indéniablement bien plus démocratique que ne l’est sa successeur. Pour saisir l’entièreté des rouages institutionnels de la Vème République – et avec eux les germes de l’autoritarisme actuel – il faut traverser la Méditerranée et se souvenir que De Gaulle est rappelé en catastrophe en juin 1958 précisément parce que la République est menacée par un putsch mené par des généraux à Alger. C’est pour répondre à cette tentative de coup d’Etat et faire en sorte qu’une autre n’arrive jamais que la Vème République est mise sur pied, plaçant le président en clé de voute du système en lui accordant des pouvoirs exorbitants.

Personnalisation à outrance et extension du domaine autoritaire

Ce faisant, la Vème République a installé une très forte personnalisation avec le statut du président. Pensé par et pour De Gaulle, ce système institutionnel fait effectivement la part belle au chef de l’Etat. Il est d’ailleurs assez ironique de constater que la France est le seul pays à avoir tranché la tête d’un roi mais qu’aujourd’hui parmi les pays dits démocratiques elle est celui qui conserve le plus cette prééminence d’une personne à sa tête. De là découle l’ensemble des fadaises sur la rencontre d’un homme et du peuple que l’on nous ressort à chaque élection présidentielle.

Cette personnalisation et ce pouvoir exorbitant accordé au président va se trouver renforcer par la mise en place du quinquennat et surtout l’inversion des élections. Désormais placées juste après l’élection présidentielle, les élections législatives ne sont plus qu’une formalité pour le président élu qui dispose (depuis l’avènement de ce rythme électoral) d’une majorité fantoche à l’Assemblée, dynamique que le président actuel a poussé à son paroxysme. Au fur et à mesure du temps, les quelques garde-fous imaginés pour limiter – très modérément – le pouvoir présidentiel ont progressivement disparu si bien que cela permet maintenant à Emmanuel Macron d’expliquer en substance que la démocratie se limite au vote et donc qu’il peut faire absolument ce qu’il veut jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Héritière d’un temps ancien et daté, la Vème République dévoile désormais la plénitude du caractère brutal et a-démocratique qu’elle portait en germes, pour le plus grand plaisir du néolibéralisme autoritaire.

Crédits photo: Courrier des maires

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