Dans quelques jours la France est de nouveau appelée aux urnes. Les Français devront donc choisir – ou pas – entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Dès le soir du premier tour, la majeure partie du sérail politicien a expliqué à qui voulait l’entendre qu’il fallait absolument ressortir le front républicain. Je ne reviendrai pas ici sur cette notion que j’ai déjà traitée la semaine dernière. La notion qui me parait particulièrement intéressante et l’un des points saillants de cette campagne d’entre-deux tours a été l’argument du « vote moral ». A tous ceux qui expriment des doutes ou qui affirment qu’ils ne veulent pas voter pour Monsieur Macron est opposé l’argument de la morale.
Dès le soir du premier tour, dans son discours au parc des expositions, Emmanuel Macron n’a pas appelé à faire barrage au Front National mais bien à tourner la page en adoptant pleinement son projet. La comparaison avec Jacques Chirac en 2002 est cruelle tant lui avait rappelé que voter pour lui n’était pas forcément une adhésion mais bien un geste pour contrer Jean-Marie Le Pen. C’est assurément en raison de cette différence que le principal argument opposé à ceux qui hésitent ou qui ne souhaitent pas glisser un bulletin Macron dans l’urne n’est pas un argument politique mais moral. Loin d’essayer de convaincre sur le projet du leader d’En Marche – qui finalement n’est partagé que par une portion très maigre de l’électorat – les défenseurs du front républicain expliquent en long, en large et en travers que voter pour Macron est un acte moral. L’objet de ce billet est une tentative de déconstruction de cette logique perverse.
Du vote utile au vote moral
L’élection présidentielle de 2017 est particulière à bien des égards mais le passage du vote utile au vote moral n’est sans doute pas le moins surprenant des éléments induits par la campagne qui a lieu depuis des mois. Tout au long de la campagne de premier tour nous avons entendu quasiment à longueur de journée qu’il fallait « voter utile ». J’ai déjà dit à quel point je trouvais cette expression odieuse en cela qu’elle présuppose qu’il existerait des votes inutiles et donc des électeurs inutiles. C’est pourquoi je considère que le « vote utile » est une insulte à la démocratie.
Toutefois, l’originalité de cette élection est que le vote utile du premier tour a rapidement muté en vote moral une fois le premier tour passé. Emmanuel Macron ayant décidé qu’il n’amenderait en rien son projet et ne semblant pas prêt à comprendre que près de 39 Millions d’électeurs ont décidé de ne pas voter pour lui au premier tour, le voilà qui a martelé qu’il ne fallait pas voter en sa faveur pour contrer le FN mais bien en étant en adhésion avec son projet. Etant donné que bien des électeurs de gauche ne seront jamais en phase avec un tel projet, ceci parait antinomique, les défenseurs du front républicain ont progressivement expliqué qu’il fallait voter pour Macron pour des raisons morales. Mais adopter une telle position, n’est-ce pas faire preuve d’une hypocrisie sans nom ? De deux choses l’une, ou bien le FN est un parti contraire aux valeurs de la République et devrait être interdit ou bien, il me semble que c’est le cas, le FN n’est pas interdit et il faut le combattre politiquement et non pas moralement.
La stratégie perverse
Il me semble qu’adopter une telle position est particulièrement pervers. Pervers est ici pris dans son sens originel à savoir une chose qui semble bénéfique mais qui se révèle maligne sur le moyen ou le long terme. La substitution du vote moral au vote utile n’est pas surprenante pour qui a quelque peu écouté le discours de Macron depuis le lancement de son mouvement. En prônant le dépassement du clivage gauche/droite pour imposer ce qu’il appelle le clivage progressiste/conservateur, l’ancien ministre de l’économie tente d’imposer un modèle consensuel où les débats politiques n’auraient plus lieu d’être puisque tout serait régi par le pragmatisme, le fameux bon sens.
Aux yeux de beaucoup une telle stratégie est bénéfique dans la mesure où elle induirait la fin des postures sectaires. Toutefois, selon moi, cette illusion du consensus, ainsi que l’appelle Chantal Mouffe dans son livre éponyme, porte en elle les germes d’une violence sourde. En affirmant que les clivages politiques n’existent plus et en rejetant le modèle agonistique, Emmanuel Macron et ses soutiens, substituent les oppositions morales aux oppositions politiques. C’est précisément en cela que ce modèle est dangereux et repose sur la même logique que le discours de l’extrême-droite. Dans le règne du politique il existe de la nuance, de la complexité, des degrés. Dans celui de la morale tout cela disparait. Nous sombrons, en effet, dans le règne du manichéisme, du raisonnement binaire. La morale c’est noir ou blanc, c’est les gentils contre les méchants, c’est le refus de toute complexité. En cela, parler de vote moral est l’étape qui suit logiquement le processus enclenché par Emmanuel Macron lors de la fondation d’En Marche. Dans le règne du politique nous parlons d’adversaires à adversaires, dans celui de la morale il n’y a plus d’adversaire mais des ennemis. Aussi parler de vote moral concourt-il selon moi à préparer les conditions de la violence.
Voilà les quelques mots que je voulais dire à propos du fameux « vote moral » auquel beaucoup appellent depuis des jours. Les injonctions, les accusations de collusion et la culpabilisation n’ont jamais convaincu personne de voter pour quelqu’un. Si vous souhaitez que des personnes hésitantes ou franchement hostiles au vote Macron changent d’avis tentez de les convaincre par des arguments pas en les fustigeant. A ce petit jeu-là vous risquez avant tout de faire fuir ceux qui auraient pu choisir de voter pour Emmanuel Macron en vue de faire barrage à Marine Le Pen. Beaucoup de ceux qui utilisent l’argument du vote moral pour convaincre les autres de voter pour Macron expliquent à longueur de temps que ce choix est celui de la responsabilité. Je le dis très cordialement mais très fermement, il n’y a pas un choix qui serait plus moral que l’autre. Voter blanc ou nul, s’abstenir ou voter Macron sont trois choix tous aussi légitimes les uns que les autres pour un électeur de gauche. Je souhaite simplement rappeler aux électeurs de Macron qui nous appellent à la responsabilité que ladite responsabilité va dans les deux sens. C’est pourquoi avant de brocarder la supposée irresponsabilité des autres il serait de bon ton de vous regarder avant dans une glace. En somme c’est la vieille histoire de la paille et de la poutre
parfait,et oui,il faut convaincre ceux qui vote LePen de voté pour autre choses.avec des arguments.excellent
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Complètement d’accord, le passage vers une guerre entre bien et mal est une structuration religieuse. Elle n’effraiera pas le FN. au contraire.
Elle fait apparaître le poids de gourous évangélistes dans l’entourage de Macron.
Cela ne peut pas rassurer dans cette période où l’action du Président doit tendre vers la Paix. Qu’il ne mette de l’huile sur le feu.
Merci de votre éclairage
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