Depuis quelques années, et plus encore depuis l’année dernière, le mot populisme est utilisé à toutes les sauces. Si le dictionnaire Oxford a décidé de désigner « post-vérité » comme mot de l’année, il n’aurait guère été surprenant que celui-ci soit le mot « populisme » tant celui-ci est brandi à tout bout de champ pour tenir lieu d’argumentaire. Comme le savent ceux qui me lisent régulièrement j’attache une importance toute particulière au sens des mots. Il est euphémique de dire que dans le cas du terme populisme, son sens a été tourné et retourné afin d’y faire rentrer tout et n’importe quoi si bien qu’aujourd’hui il est bien difficile de savoir ce qu’un tel ou un tel veut dire lorsqu’il l’utilise.
« Idéologie et mouvement politique (en russe narodnitchestvo) qui se sont développés dans la Russie des années 1870, préconisant une voie spécifique vers le socialisme » ; « Idéologie politique de certains mouvements de libération nationale visant à libérer le peuple sans recourir à la lutte des classes » ; « Tendance artistique et en particulier littéraire qui s’attache à l’expression de la vie et des sentiments des milieux populaires ». Voilà les trois définitions que donne le Larousse au mot populisme. Une fois que l’on a dit cela, j’en conviens, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés. Dès 2011, Dominique Reynié dans Populismes : la pente fatale commençait à utiliser ce mot pour faire des amalgames plus que douteux. A l’heure actuelle, dans la bouche des éditocrates et des tenants du statut quo, le terme populisme est en quelque sorte devenu le nouveau point Godwin.
Populisme, le point Godwin de notre époque
Le point Godwin, tout le monde le sait ou presque, est cette tendance universelle à parler à un moment ou à un autre d’Adolf Hitler dans une conversation. Par extension, ledit point est progressivement venu définir la stratégie qui consiste à convoquer le leader nazi pour décrédibiliser autrui dès que l’on n’a plus d’argument à lui opposer. Il ne me paraît pas aberrant de voir dans le terme « populisme » le nouveau point Godwin de notre époque. Dans la bouche des défenseurs du système en place, ce terme équivaut, en effet, à traiter la personne que l’on place sous le vocable de populiste de démagogue. Par le recours retors à ce terme, les éditocrates et le camp politique représenté par Emmanuel Macron tentent effectivement d’ostraciser ceux qui ne pensent pas comme eux.
Il est assez simple de constater que toute personne qui s’oppose à la vision du capitalisme néolibéral globalisé et financiarisé qui nous dirige depuis des décennies est immédiatement cataloguée comme populiste. Plutôt que d’accepter un débat contradictoire sur cette globalisation folle qui n’a eu de cesse de faire croitre les inégalités, les grands pontes de ce système opposent une fin de non-recevoir à ces multiples interpellations. On le voit assez rapidement, l’accusation de populisme porte en creux celle de nationalisme. Aussi voit-on régulièrement se mettre en place un argumentaire digne des plus belles heures de 1984 au sein duquel se côtoient approximations, cynisme, mauvaise foi et morgue crasse.
Populisme ou populismes ?
Election de Donald Trump, Brexit, émergence de Jérémy Corbyn au sein du Labour, surgissement de Podemos dans la politique espagnole, bons scores de Bernie Sanders, résultats élevés pour Marine Le Pen en France soit autant d’éléments que médias et politiciens aiment à placer sous la bannière du populisme. Il va sans dire que placer tous ces évènements dans le même sac relève de la mauvaise foi la plus totale. Non seulement il est compliqué de voir dans ces multiples choses un destin commun mais, pire encore, je suis incapable de trouver un dénominateur commun à tous ces éléments politiques. Evidemment, cet amalgame n’a rien de gratuit, il est fait pour empêcher de penser à une véritable alternative au système en place. Toutefois cette stratégie se lézarde graduellement depuis quelques temps.
Plutôt que de parler du populisme comme s’il était monolithique, je suis bien plus enclin à évoquer des populismes. Quel lien en effet entre les positions de Jean-Luc Mélenchon et celles de Marine Le Pen pour reprendre la dichotomie que nous avons en France. Quand l’un oppose effectivement le petit peuple à des élites déconnectées, l’autre compte sur un « conglomérat » ainsi que l’explique très bien le livre collectif Les Classes populaires et le FN pour accéder à l’Elysée. Marine Le Pen n’est finalement guère populiste si l’on s’en tient à la définition première de ce courant politique. Son populisme, en effet, ne se préoccupe pas de la partie (et donc de la question sociale comme l’a historiquement été le populisme) mais bien du tout (à savoir non pas le petit peuple mais bien plus l’ensemble des Français dans une stratégie purement nationaliste). En ce sens, de la même manière qu’aux Etats-Unis médias et intelligentsia ont tout fait pour empêcher Sanders d’émerger en le comparant à Trump, le confusionnisme ambiant sur la notion de populisme est savamment et sciemment orchestrée. Pour les dominants, et je pèse mes mots, l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen est bien moins inquiétante que celle d’une véritable alternative de gauche. Le patronat s’est toujours accommodé du fascisme, il en fera de même avec le néofascisme de Madame Le Pen.
Nous le voyons donc, le terme populisme a été détourné et vidé de son sens premier. En cela, Marine Le Pen n’a même pas eu à se l’approprier tant les grands pontes de notre société lui ont offert sur un plateau. Un peu partout sur les plateaux télé et dans les éditos nous entendons que le populisme est en passe de tuer l’Union Européenne. Je crois que ces Cassandre nous mentent de manière éhontée pour mieux nous forcer à voter pour le statut quo. Et si finalement, contrairement à tout ce que l’on raconte, le populisme était ce qui sauverait l’âme de l’Europe ? Nulle construction politique qui se veut démocratique ne peut en effet se passer de l’adhésion des peuples.