Le mythe du capitalisme vert

Mardi dernier, nous avons assisté à un débat historique. Le débat entre les 11 candidats demeurera en effet comme le premier (peut-être le seul) débat entre tous les candidats à l’élection présidentielle. Bien que touffu et confus par moments, ce débat m’a semblé être une formidable respiration démocratique à l’heure où le système politique en place essaye – vainement selon moi – de verrouiller les règles du jeu (on pense notamment aux nouvelles règles sur l’égalité du temps de parole). Mardi dernier, sur le plateau de BFM TV et de CNews, ils étaient tous là. Deux femmes et neuf hommes présents pour tenter de montrer pourquoi il/elle était le/la plus à même de diriger la France.

Ils étaient tous présents et pourtant elle était absente. Personne ou presque ne l’a évoquée alors même qu’elle devrait être omniprésente. Déjà lors du premier débat (entre les cinq candidats recueillant le plus d’intention de vote) elle était passée inaperçue. Elle, c’est la question écologique et environnementale, la grande question de notre siècle. Malheureusement pour elle, le triptyque dette-terrorisme-chômage lui a encore volé la vedette, un peu comme si elle n’était qu’une « question de bobo » pour reprendre l’expression de Ruth Elkrief. Durant presque sept heures de débats (en cumulé) jamais ou presque n’aura été abordée cette question ô combien importante, un peu comme si celle-ci ne représentait pas une question politique majeure mais que sa gestion était laissée aux seuls individus. C’est toute cette mythologie qu’il faut prestement déconstruire.

 

Responsabilité individuelle et mythologie

 

Dans la campagne qui a lieu actuellement dans notre pays, il est assez édifiant de constater que seuls deux candidats (Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon) considèrent la question écologique comme primordiale. Un troisième, Emmanuel Macron, en parle un peu mais toujours de manière floue – sans doute une manière de rester fidèle à l’ensemble de son œuvre. Pour le reste, c’est morne plaine ou presque. En somme, sur les quatre candidats qui paraissent en mesure de l’emporter au soir du 7 mai prochain, Jean-Luc Mélenchon est le seul à intégrer pleinement la question de la transition écologie – il en fait même la clé de voute de toute son architecture programmatique. Pour les trois autres, en creux se dessine une vision de la question qui affirme que c’est à l’individu de se responsabiliser. A les écouter, c’est en triant nos déchets que nous sauverons la planète.

Il nous faut, je pense, déconstruire le mythe qui existe autour de ce positionnement, mythe qui nous mène droit à l’abime à mes yeux. Dans la Grèce Antique, le mythe – qui dérive de muthos – définissait le domaine de l’opinion fausse, de la rumeur, du discours de circonstance. En somme, le mythe est le discours non-raisonné, qui se veut être une forme de fable. Par opposition, le logos était, lui, le discours raisonné. C’est précisément le passage du muthos au logos qui a posé la pierre fondatrice des philosophes de la Grèce Antique. De la même manière que le mythe de la Grèce antique a empêché durant de longues années la mise en place de la philosophie, le concept de responsabilité individuelle vis-à-vis de la question environnementale, très en vogue à l’heure actuelle dans notre pays, nous empêche de faire advenir une politique qui trancherait radicalement avec celle en place depuis des décennies. Que l’on s’entende bien, il ne s’agit pas de dire que le tri des déchets est inutile. Il est nécessaire, toutefois il ne saurait être suffisant.

 

La nécessaire sortie du cadre

 

Je crois pour ma part qu’il faut arrêter avec ces affabulations. Plutôt que de penser que la seule responsabilité individuelle permet de lutter contre le réchauffement climatique je crois, au contraire, qu’il est absolument nécessaire – au sens philosophique du terme, à savoir ce qui ne peut pas ne pas être ou être autrement – de sortir du cadre économique actuel. Il ne peut y avoir de politique environnementale ambitieuse et raisonnable dans le système économique financiarisé et prédateur dans lequel nous vivons. Croire que le marché se moralisera par je ne sais quel miracle c’est croire que le Père Noël existe et qu’il viendra assurer la transition écologique. Le marché est comme ces contes que l’on raconte aux enfants, dans la réalité aucune main invisible ne vient le réguler pas plus que le capitalisme est capable de devenir vert.

Cette gigantesque opération de greenwashing est pourtant à l’œuvre. On nous explique que si les entreprises polluent c’est qu’elles ne peuvent pas faire autrement. C’est, en somme, le retour du TINA de Thatcher. Depuis quelques années nous avons vu émerger la notion de RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) dans les milieux économiques et les business cool de toute la planète se complaisent dans des cours de « Sustainable development » qui ne sont en réalité que des fadaises présentes pour se donner bonne conscience. Sans un volontarisme étatique fort, sans un changement économique majeur, sans un combat farouche face aux forces qui n’ont que le profit en tête et des calculatrices en guise de cœur et de cerveau, nulle transition écologique digne de ce nom n’est possible. La bérézina du marché des quotas de CO2 à l’échelle européenne est, à ce titre, très révélatrice : le marché sait contourner les règles quand on ne le régule pas de manière franche et directe.

 

Nous le voyons donc, parler de la seule responsabilité individuelle sur la question écologique est un moyen de diversion. Ceci permet de ne pas remettre en cause les méfaits du capitalisme néolibéral financiarisé qui ravage la planète et nous mène à l’abime. Il n’y a pas, à mon sens, de thème plus républicain que celui de l’écologie puisque la Terre est notre Res Publica, notre chose commune. Dire que le marché s’autorégulera et que le capitalisme deviendra vert comme par magie serait risible si la situation n’était pas si tragique. Il n’est pas encore trop tard pour agir mais l’urgence se fait chaque jour plus pressante. Tâchons de rapidement nous rappeler que, selon la magnifique phrase d’Antoine de Saint-Exupéry, « nous n’héritons pas de la Terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».

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