Il y a une dizaine de jours, les cinq candidats recueillant le plus d’intention de vote dans les sondages ont débattu durant près de trois heures sur TF1. Marine Le Pen, François Fillon, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ont donc confronté leurs projets dans un débat que j’ai personnellement trouvé de bonne tenue. Au-delà de l’aberration démocratique que constitue à mes yeux la scandaleuse non-invitation des six autres candidats – ceux que les médias appellent les petits candidats – il me semble que la tenue de ces débats (celui du 20 mars puis les deux autres qui se tiendront entre les 11 candidats d’ici le 23 avril prochain) est un symbole puissant du délitement de la Vème République.
Assurément, le débat du 20 mars dernier pouvait être un tournant dans la campagne présidentielle. Jean-Luc Mélenchon l’attendait avec impatience et il s’en est plutôt bien sorti, Marine Le Pen a pu jouer dans la cour des grands, François Fillon a pu s’adresser aux Français sans que les affaires soient omniprésentes dans le débat. Je crois plutôt que ce débat, et les deux autres qui vont suivre, marque un tournant historique dans la vie politique de notre pays. Peut-être me trompé-je mais je suis persuadé que cette élection marque une véritable rupture. Après la renonciation de François Hollande – grande première pour un président sortant – l’instauration de ces débats vient mettre selon moi une nouvelle balle dans la tête d’une Vème République complètement exténuée et à bout de souffle.
Assassinat cathodique
Qu’est-ce qu’un symbole sinon une chose qui renvoie à autre chose qu’à elle-même ? En cela, il ne me semble pas absurde de voir dans le débat qui s’est tenu il y a une dizaine de jours et les débats à venir comme des symboles d’une Vème République à l’agonie. Finalement, lors du débat de lundi soir, plus que les différents projets des candidats, c’est le début de la fin de la Vème République qui a été mis en scène. Par le passé, jamais les deux candidats favoris n’auraient accepté de jouer ce jeu et de venir débattre avec leurs outsiders. A fortiori, les débats à venir au cours desquels les 11 candidats seront présents viendront d’autant plus souligner cet état de fait. Rien, absolument rien, dans ces débats ne répond aux us et coutumes de la Vème République où le seul débat qui devrait avoir lieu est celui, très solennel, de l’entre-deux tours.
Devant la télé lundi dernier, j’ai eu l’impression d’assister à un épisode de Borgen (le premier notamment) au cours duquel les différents partis débattent avant l’élection. La grande différence avec notre système politique est que les pays où ont lieu ces grands débats avant les élections sont des régimes parlementaires. Je l’ai dit, j’ai trouvé le débat de très bonne tenue avant tout parce que les candidats ont parlé du fond (chacun à leur manière). Loin du mythe de la rencontre entre un homme (une femme ?) providentiel et le peuple voulu par le Général de Gaulle au moment de créer la Vème République, les débats ont mis en scène des débats d’idées. Plutôt que les personnes ce sont les positions et les convictions qui ont été mises en avant, ce qui constitue un grand chambardement dans notre suffocante Vème République.
Sciemment ou pas, tous les candidats concourent à la chute de la Vème République
Etymologiquement, le mot symbole dérive du grec ancien symbolon qui signifiait « mettre ensemble ». Dans la Grèce Antique le symbole était un morceau de poterie que deux cocontractants partageaient afin de se reconnaître à l’avenir. Je crois que cette définition désigne bien les débats pré-premier tour que nous avons vécu ou que nous vivrons dans les semaines futures. Le 20 mars sur le plateau de TF1, il y avait clairement deux groupes vis-à-vis de la question de la réforme de nos institutions. D’un côté Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron ont défendu avec vigueur la Vème République expliquant que celle-ci était pertinente et adaptée à notre temps – chose que je ne crois pas. De l’autre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon affirment qu’il faut au contraire passer à une VIème République.
Dans Qui est Charlie ?, Emmanuel Todd met en évidence les différences qui peuvent exister entre ce que l’on pense être subjectivement et ce que l’on est objectivement. Dans son analyse sociologique il applique cette grille de lecture au Parti Socialiste qui serait subjectivement ouvert à l’étranger et objectivement raciste. Je pense que l’on peut recycler cette grille d’analyse pour les trois candidats qui ont défendu la Vème République lors de ce débat. De Marine Le Pen à Emmanuel Macron en passant par François Fillon, les trois candidats ont beau défendre la Vème République il me semble qu’une victoire de leur part aboutirait presque forcément à un bouleversement de nos institutions. Il est, en effet, peu probable que Marine Le Pen ou Emmanuel Macron parviennent à former une majorité solide à l’Assemblée Nationale. D’ailleurs, le fondateur d’En Marche dit lui-même qu’il veut que soit formée des majorités d’idées ce qui correspond bien plus à une démarche parlementariste qu’à la Vème République césariste. Toutefois, l’ancien ministre de l’Economie semble bel et bien attaché au pouvoir monarchique du président. Quant à François Fillon, il est assurément celui qui a le plus de chances d’obtenir une majorité à l’Assemblée mais comment pourra-t-il gouverner alors qu’il est devenu complètement inaudible pour les Français et qu’il est obligé de faire campagne sans les côtoyer ?
Nous le voyons donc, les différents débats mis en place avant le premier tour n’ont rien d’une innovation anodine. Au contraire, je crois fermement que lesdits débats sont le symbole peut-être le plus éclatant d’une Vème République en train de péricliter. Les débats sont en train de participer à la révélation de cette situation. Le cache-sexe est tombé, le roi est nu. Pressons-nous de renverser cette République archaïque.