Il y a quelques semaines, à croire les médias français, les élections néerlandaises ont réservé une grande surprise : le Parti de la liberté (extrême-droite) mené par Geert Wilders n’est finalement pas arrivé en tête. Avec 13,1% des voix et 20 sièges celui-ci est arrivé derrière le Parti populaire libéral et démocrate du Premier ministre sortant Mark Rutte. En réalité ceci n’est guère une surprise que pour nos médias français puisque ces résultats étaient relativement attendus aux Pays-Bas. Le véritable enseignement de ces élections est que la coalition entre le parti de Mark Rutte et le Parti travailliste a été lourdement sanctionnée dans les urnes, le Parti travailliste payant le plus lourd tribut puisqu’il a perdu 19% des voix, 20 sièges et qu’il se retrouve comme troisième force classée à gauche dans l’échiquier politique.
Pour le Parti travailliste hollandais cette déroute est une grande première mais elle vient souligner, confirmer et accentuer la dynamique à l’œuvre un peu partout en Europe qui sanctionne les grandes coalitions et frappe durement les partis sociaux-démocrates qui ont fait alliance avec la droite ou qui ont d’eux-mêmes menés des politiques néolibérales saupoudrées de quelques mesurettes sociales. En somme, c’est cette troisième voie, celle du blairisme, qui est sanctionnée un peu partout en Europe. La détresse dans laquelle la social-démocratie a jeté les peuples en abandonnant ses deux piliers – la démocratie et le social – font aujourd’hui courir le risque d’une poussée d’extrême-droite. Il est temps de se réveiller et d’analyser l’une des vraies raisons de la montée de l’extrême-droite sur le Vieux Continent.
Le délitement de la social-démocratie, seule constante à l’échelle européenne
Lorsque nous écoutons les politistes et autres analystes qui ont leur rond de serviette dans toutes les émissions de télé, les rédactions journalistiques et autres stations de radio, le phénomène qui est toujours mis en évidence à l’échelle européenne est celui de la montée de l’extrême-droite. Alors oui certains parlent plutôt de populisme, ce mot fourre-tout qui permet d’amalgamer des positions de gauche radicale avec celles d’extrême-droite, mais la plupart de ces gens nous expliquent que l’Occident vire bel et bien de plus en plus à droite comme l’avait prédit Raffaele Simone il y a déjà sept ans dans Le Monstre doux. Ces analystes nous expliquent donc, chiffres à l’appui, que la colère présente un peu partout en Europe ne se manifeste que par l’intermédiaire d’un vote d’extrême-droite, nationaliste et xénophobe.
Toutefois, une étude plus poussée de la situation européenne nous emmène à une conclusion toute autre. Il ne s’agit pas de nier que la droite extrême et l’extrême-droite connaissent des poussées très importantes dans de nombreux pays (France, Royaume-Uni, Allemagne, etc.) mais résumer la dynamique européenne à cela est partiel et partial. Ce à quoi nous assistons dans l’ensemble de l’Europe, c’est bien plus le délitement d’une social-démocratie transformée en astre mort depuis qu’elle s’est jetée amoureusement dans les bras du néolibéralisme effréné. Effondrement du PASOK, affaiblissement du PSOE, refus d’une nouvelle grande coalition en Allemagne par Martin Schulz, scission du Parti démocrate en Italie, avènement de Corbyn au sein du Labour, effondrement des travaillistes hollandais, la liste n’est pas exhaustive mais elle montre bien l’apocalypse – c’est-à-dire la révélation selon l’étymologie du mot – à laquelle nous assistons : celle d’une social-démocratie à l’agonie et aux abois. En cela, la catastrophe – là encore je prends l’étymologie à savoir le renversement – que tous les éditorialistes nous demandent de craindre est sans doute le plus sûr moyen de combattre l’extrême-droite.
Réarmer la gauche pour sortir de l’ornière nationaliste
Lors des dernières élections générales en Espagne, il s’en est fallu de peu pour que le sorpaso – comprenez le dépassement du PSOE par Podemos – se produise. Je crois précisément que c’est dans l’avènement d’un tel phénomène, c’est-à-dire le dépassement de la social-démocratie par la gauche radicale (au sens premier du terme c’est-à-dire qui revient à la racine tout en réussissant à s’adapter au monde contemporain avec les problématiques de raréfaction du travail notamment). Comme l’écrit brillamment l’écrivain Alain Hobé dans son billet intitulé « Quelque chose est rompu entre nous », il est grand temps d’arrêter d’enjoindre les gens à éviter le désastre – comprenez l’extrême-droite. Le désastre est déjà là. En effet, il est indéniable que les idées de l’extrême-droite ont peu à peu colonisé le débat public jusqu’à entrer dans le logiciel de certains représentants de la social-démocratie, Manuel Valls en tête.
Il faudrait être soit fou soit aveugle ou peut-être même les deux à la fois pour ne pas prendre conscience de cet état de fait. Face à cela que convient-il de faire ? Répéter la litanie affreuse du vote utile, ce même vote utile qui a permis à l’extrême-droite de prospérer et a accéléré l’effondrement de la social-démocratie ? Assurément pas, soyons sérieux. En regard de cette extrême-droite conquérante et sure de son fait, il nous faut opposer une gauche également conquérante, solidaire et proche de ceux que la social-démocratie a lâchement abandonné. Mon adversaire c’est la finance disait un candidat qui, une fois devenu président, s’est empressé de s’allier à la finance pour maltraiter ceux qui l’avaient porté au pouvoir. A l’instar de Chantal Mouffe, je suis convaincu qu’il nous faut urgemment retrouver de véritables clivages politiques. A défait de cela nous courrons au risque de tous les désastres. Je suis intimement persuadé que c’est par la gauche, profondément par la gauche, humainement par la gauche que se fera la lutte la plus efficace contre les idées de l’extrême-droite. Nous avons perdu trop de temps, il est urgent de nous mettre en route.
Au milieu de cette dynamique globale le cas de la France semble pourtant quelque peu singulier. Notre pays a, il est vrai, toujours été en décalage avec le reste de l’Europe politiquement. Ainsi nous avons vu surgir Emmanuel Macron propulsé en favori face à Marine Le Pen alors même qu’il est le symbole le plus éclatant de cette social-démocratie qui a renié ses deux piliers pour étreindre le néolibéralisme le plus destructeur. « Le vote utile c’est Macron » nous scandent les marchands du temple sondagier à longueur de journées sans même se rendre compte que si jamais il se retrouvait au deuxième tour face à la présidente du FN, les Français auraient le choix entre l’extrême-droite et celui dont la politique ferait à coup sûr advenir l’extrême-droite à l’élection suivante (puisque c’est la politique qu’il préconise qui fait que le FN représente un quart des votants). En somme les Français auraient le choix entre la nuit sans étoiles et celui qui la ferait advenir dans un futur très proche. Paradoxalement, les personnes aveugles sont parfois celles qui sont les plus lucides, c’est toute la leçon que nous donne Homère en faisant souffrir de cécité le voyant Tirésias. Il nous faut je crois face à cette nuit sans étoile qui nous guette méditer les vers plein de sagesse d’Apollinaire : « Les étoiles mouraient dans ce beau ciel d’automne / Comme la mémoire s’éteint dans le cerveau / De ces pauvres vieillards qui tentent de se souvenir / Nous étions là mourant de la mort des étoiles / Et sur le front ténébreux aux livides lueurs / Nous ne savions plus que dire avec désespoir / ILS ONT MÊME ASSASSINÉ LES CONSTELLATIONS / Mais une grande voix venue d’un mégaphone / Dont le pavillon sortait /De je ne sais quel unanime poste de commandement / La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria : IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ÉTOILES ». Le temps presse grandement de rallumer ces étoiles. Il n’est pas trop tard mais l’urgence se fait chaque jour plus pressante. Au travail.
[…] épargnée d’une dynamique qui frappe un peu toute l’Europe et dont j’avais déjà parlé au lendemain des élections législatives néerlandaises, celle du délitement de la social-démocratie. Partout en Europe, en effet, la logique commune est […]
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